« ELLE » s’appelle Graciela Prieto


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J’ai rencontré Graciela pour la première fois dans un groupe de travail, un cartel, quelque part au mitan des années 2010. Après quelques séances, l’une des participantes ayant fait preuve d’une virulence et d’une agressivité insupportables autant qu’apparemment inattendues envers Graciela nous décidâmes tous d’en rester là. Évidemment.

Par la suite, Carlos Guevara me contacta pour que je me joigne à Place Analytique, groupe de travail sur la psychanalyse dont je devins l’un des responsables et auquel Graciela participa un temps après que je l’y eus à son tour conviée.

Entre temps Graciela et moi nous étions déjà retrouvés pour échanger à propos de choses et d’autres. Comme deux psychanalystes peuvent le faire pourrais-je dire. A savoir, avant tout, si tel est leur désir, reconnu. Et ensuite, si, rigoureusement, la parole se révèle féconde, cela quelles que soient les modalités de son cheminement.

Je présente les choses ainsi sans doute en écho de l’idée que je me suis assez rapidement faite de Graciela. Celle d’une femme impliquée et indépendante. C’est bien là que je place sa marque. Au lieu de cette contradiction apparente – impliquée et indépendante – qui gagne à être lue comme une énigme et utilisée comme une tension. Celle-là même qui vient éclairer le « apparemment inattendues » que je disais plus haut.

De son vivant, lorsque je l’évoquais, je disais à son propos qu’elle ne faisait pas l’unanimité autour d’elle pour la simple raison – transgressive au regard du moindre collectif – qu’elle n’était pas dans la séduction. Dans le panier de crabes institutionnel cela eut pu lui être fatal si elle n’avait pas été capable – de toujours – de goûter au sel de cette merveilleuse formule que je lui redistribuais, Le diable se niche dans les réputations à protéger (1).

Lors de mes passages à Paris nous nous sommes donc retrouvés ci et là dans des cafés avons échangé des heures durant. Je m’autorise ici à rapporter une anecdote de ce temps. Alors que je lui disais apprécier énormément le travail de Ginette Raimbault, elle sourit et, de son inénarrable voix de fumeuse argentine, elle me dit, J’ai une histoire à te raconter avec elle..

La voici l’histoire. Etudiante elle participait un jour à un groupe de travail dirigé par Ginette Raimbault (2). Alors qu’àun moment Graciela avait décroché de la discussion, Ginette Raimbault lui demanda ce qu’elle pensait de ce qui venait d’être dit. Graciela, gênée, reconnu son absence et Ginette Raimbault lui dit alors Vous êtes nulle Graciela!.

Graciela enchaîna, racontant que le jour même elle avait une séance avec sa psychanalyste, séance durant laquelle elle rapporta l’anecdote, anecdote que ladite analyste ponctua dans le sens de la réconforter du plus qu’elle le pouvait. Et Graciela de conclure, Á l’instant où je suis sortie de son cabinet je savais que je n’y remettrai jamais les pieds. Et j’ai voulu ensuite aller chez un lacanien parce que ce que je voulais ce n’était pas du tout qu’on me réconforte, ce que je voulais c’était savoir pourquoi ces mots m’avaient fait tant de bien… !. Que la parole soit féconde disais-je…

S’il en était encore besoin voilà bien qui illustre ceci, que la fonction nécessaire du zéro, dont Ginette Raimbault lui avait désigné la voie, est effectivement incompatible avec la bonne réputation qui fait le fil des conventions ; collectives bien entendu.

se situait Graciela. Engagée dans les mâchoires du conventionnel comme un coin dans la gueule du fascisme. Je ne dis pas cela pour rien mais à la lumière de ce que me rapporta sa fille, après sa mort, lors d’une conversation téléphonique. Une autre histoire d’engagement.

Graciela ne m’en avait pas fait part, mais, jeune étudiante dans l’argentine de Videla (3), alors qu’elle était recherchée par les sbires du régime, la mort aux trousses donc, elle dut fuir et trouva refuge, précaire et peu fiable, au Brésil avant de pouvoir enfin rejoindre la France. Un engagement de jeunesse pour une mise en gage de toujours.

C’est pourquoi je souris encore plus aujourd’hui au souvenir du Elle s’éloignedit à son propos par Colette Soler des décennies après ces évènements. Graciela me raconta en effet ce que je retranscris comme suit. Alors qu’après y avoir longtemps répondu elle ne satisfaisait plus aux exigences surmoïques de l’école de psychanalyse dans laquelle elle était inscrite en ne prenant plus part aux insatiables injonctions de manifestations d’obédience, ces mots furent donc prononcés à son sujet par la maîtresse des lieus. Elle s’éloigne...

Elle riait en me rapportant la chose, oui, pleinement et sans obscénité Elle, ni de la voix ni du regard. Elle qui savait – en connaissance de sujets – avoir la dent dure et éclairante.

C’est cela qui m’est revenu lorsque j’ai lu il y a peu le récit de Lacan au lendemain de son intervention écourtée par les instances en place au congrès de Marienbad en 1936, récit où il fait part de ces quelques mots où le définitif se conjugue à l’étriqué, que lui adressa Ernst Kris, courtoisement – bien sûr – en français, Cela ne se fait pas !.

Tout comme cela me retrouve lorsque j’entends dans le même genre de contexte cette adresse qui m’a été faite encore tout récemment, Tu as été trop loin...

Je dis, il ne peut en être autrement. Puisque c’est ainsi que s’épèle la rencontre.

Puisque c’est ainsi que, de la violence machûrante des militaires argentins à celle ouatée des écoles analytiques, se repère la présence de Graciela (4). Ni fuyante, ni empêchée, ni éloignée, non.

Et en tous cas affine.

Oui, c’est ça, l’affine Graciela.

Jean-Thibaut Fouletier

Die, le 11/01/2024

(1) Formule entendue lors de la remise de l’un des 6 prix Anticor 2024 – Discours de 6min58s à 10min54s.

(2) Ginette Raimbault 

À voie nue 1 – France Culture

À voie nue 2 – France Culture

(3) Cf Le texte Le sentier Qatar sur le présent site.

(4) Cf le poème Mes amis éperdus sur le présent site.

Quelques écrits de Graciela :

Livre paru : 

Lien: Ecritures du sinthome 

Livre à paraître :

Le livre que Graciela venait de terminer sur la danse n’est pas encore édité mais le sera sous peu.

Article :

Ecritures du noeud du sujet

Interventions à Place Analytique :

Vibrations de « l’âme à tiers » topologique.

Du Sujet Supposé Savoir au Savoir sans Sujet.