Adresses
… NPAI était l’acronyme d’une destinée, celle des courriers qui revenaient à l’envoyeur après avoir été adressés aux clients N’habitant Plus à l’Adresse Indiquée, sachant que l’envoyeur était alors une société gérant les portefeuilles de points de fidélité des clients d’Air France.
Lorsqu’il s’est agit pour cette entreprise de s’aligner aux critères en vogue à l’époque pour toucher à son idéal d’efficacité commerciale, le service du tri courrier, jusque là dernière roue du carrosse, a été immédiatement ciblé par elle comme l’une des pierres angulaires des réajustements nécessaires. Ce service devint alors aussi difficile d’accès que Fort Knox.
De l’importance de la lettre donc, mais soumise à l’aléa de la bonne adresse. Remarquons que l’adresse en question est bien entendu – bien entendu cela veut dire la question que cela pose doit absolument n’être pas investie – celle du destinataire. C’est ainsi que cela tombe sous le sens; bon comme il se doit.
Mais, pisté par le psychanalyste autant que le cernant, au niveau du mal-entendu donc, le non-sens, celui à partir duquel seulement peut se figurer le moindre mouvement de sens – bon, commun ou mauvais -, le non-sens reviendrait à se questionner sur ce qui paraît pourtant être un acquis indubitable – sans aucun doute possible – à savoir l’adresse de l’envoyeur.
Au début des années 70, petitement, il y a eu une courte amorce de mouvement dans cette direction. Cela prit la forme, dans certains milieux, d’une question posée ainsi au détour d’une conversation, « D’où me parles-tu ? ». Mais ce n’était là qu’un mirage. En réalité, maldonne, s’ouvraient par là toutes grandes les portes de la communication. Communication grâce à laquelle chacun devrait désormais pouvoir vivre dans un monde adroit puisque tout entier fait d’adresses certifiées.
La bonne adresse ainsi tamponnée c’est le bon sens prêt de chez vous, n’est-ce pas, comme le disait le fameux slogan publicitaire. La valeur ajoutée du temps gagné. La solution vendue clé en main à Proust et à tout ceux que désignait comme suit l’un de ces immortels qui vient de mourir et dont la France a le secret – sans semble-t il en avoir pourtant l’apanage… :
« Il est courant de rencontrer des lents qui n’ont pas compris que la vitesse c’est la vie moderne et qu’on ne peut la traverser en gastéropode sans souci des autres et de l’environnement. Bien sûr le conseil « Il faut tuer les lents » est une image brutale et simplement satirique. Il serait plus humain de les parquer dans des cités réservées où tout se ferait lentement…lentement…lentement…
Le lent ne sait pas qu’il freine tout le monde : le flot des voitures comme les études des élèves normaux… »…
Pasolini est mort lui aussi. Voilà ce qu’il disait lors d’une interview livrée sur une plage inhospitalière,
« Maintenant, contrairement aux régimes fascistes, nous avons un régime démocratique. Mais ce « culturicide » cette uniformisation que le fascisme même n’avait pas réussit à obtenir, le pouvoir d’aujourd’hui, celui de la société de consommation réussit à l’obtenir parfaitement en détruisant les différentes réalités particulières en enlevant du réel aux diverses façons d’être des humains que l’Italie a produit historiquement de manière très différenciée. Donc ce « culturicide » est en train de détruire l’Italie. On peut dire sans hésitation que le vrai fascisme c’est le pouvoir de cette société de consommation. Elle est arrivée si rapidement qu’on ne s’en est pas rendu compte, ces cinq, six, sept…dix dernières années. Cela a été comme un cauchemar dans lequel on a vu l’Italie se détruire jusqu’à disparaître. Et maintenant, en se réveillant, on regarde autour pour se rendre compte qu’il n’y a plus rien à faire. »…
Que la vitesse ségrégationniste vantée par l’immortel détermine le cadre du fascisme repéré par Pasolini est une chose, mais si le réel de la psychanalyse – qui est tout autre que le réel érigé en maître aux petits pieds sur France Culture – désigne bien une chose autre, c’est celle-ci, que le système le mieux huilé ne se fonde que de (devoir reconnaître) sa limite. Ce qui n’est pas la définition à laquelle s’accorde notre universel contemporain.
Mais qu’il se donne toutes les mines d’en faire fi et de n’en rien vouloir savoir ne l’empêche pourtant, cet universel, dedemeurer manifestement indexé en aveugle à ses propres radars.
Lesquels se révèlent du coup n’avoir qu’une fonction, celle de lui désigner ses limites en pure perte.
Non, en pertes pures. Donc recyclables, soit l’idée du pire via l’infini.
Ce que formule ainsi un vieillard, personnage de la bande-dessinée La mort de l’indien ( Luis Garcia – Collection Pilote – 1980), Nous pouvons attendre sans bouger que l’homme blanc soit détruit par sa civilisation. Nous durerons plus longtemps.
Et là – limite – je dis, il n’est pas certain que ce soit mieux.
Jean-Thibaut Fouletier
Die, le 30/12/2024
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