Lhommalaise 5-chapitre 4 partie 2/2 (émission de radio)

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LHOMMALAISE

UNE SÉRIE D’ÉMISSIONS DE  JEAN-THIBAUT FOULETIER

AVEC LA PARTICIPATION DE BLANDINE DESVIGNES

Émission numéro 4 :   Le sexuel à la trace de son odeur  - 2ème partie 

A entendre ICI

C’est sûr l’amour est la réponse.
 Mais pendant que vous êtes en train d’attendre la réponse 
le sexe pose des questions très pertinentes.

Woody Allen 


Chapitre 1 

Le mythe de l’éternel puzzle

Le sexuel à la trace de son odeur donc. Je précisais en vous quittant lors de ma dernière intervention que cette odeur n’était pas celle du soufre, mais belle et bien, littéralement, celle du sexe. L’odeur du sexe évoquée par Freud pour accès à la nécessaire souffrance qui s’en dénote. Oui, la nécessaire souffrance qui se révèle depuis ce repérage particulier. Je reviendrai de façon précise sur cette affirmation puisqu’elle est le cœur de ce que dévoile Freud.

Avant cette conclusion j’avais retracé le parcours emprunté par Freud nous présentant les méandres suivis par l’Homme pour tenter de s’asseoir dans la satisfaction au cours de son existence. Au moyen de l’amour notamment, qui, nous dit-il, des satisfactions, ne lui en apportera que très partiellement. 

Toujours au niveau de la satisfaction Freud nous décrit bien sûr les contours du rapport liant les individus et la civilisation. Un rapport fortement connoté d’un trait qu’il ne cesse de souligner. Ce trait est celui de la coercition que la civilisation exerce à l’encontre des individus pour obtenir d’eux la quantité d’énergie qu’elle affectera ensuite aux fins de sa propre expression. 

Une énergie extraite de ce que l’on peut définir comme étant le viatique libidinal, le crédit d’énergie sexuel dont chacun dispose et dont chacun doit accepter d’en voir une partie réorientée. Celle qui sera donc ponctionnée par le collectif, par la civilisation. La Kultur dans la langue de Freud.

Ce qu’il nous livre dans le chapitre IV de son livre Malaise dans la culture est tour à tour ce qui s’apparente à une démonstration et à une synthèse de ce qui, à ce niveau, tresse les liens entre le collectif et l’individuel. 

Une démonstration et une synthèse ce n’est pas ma même chose. Une démonstration livre la singularité de son auteur, elle peut même prendre son nom, alors qu’une synthèse s’origine de la démonstration singulière, mais peut censément être la même énoncée par qui que ce soit. Alors ici, ce qui rend définitivement au propos de Freud son caractère de démonstration c’est la ponctuation étrange dont il marque ce chapitre IV.

Quelques phrases non étayées de prime abord qui viennent mettre à mal le fil que Freud vient patiemment jusqu’alors de tisser tout du long de son propos. Voilà ce que, lors de l’émission précédente, je disais concernant la teneur de ces fameuses quelques dernières phrases.

Ce qui s’y révèle c’est l’erreur de ceux qui situent ZE cause de l’insatisfaction individuelle comme étant nichée au creux de quelque organe du collectif que ce soit, le couple, la famille, la société, la civilisation. Et là, contrairement au processus qu’il vient donc de nous détailler, Freud nous ouvre à devoir encaisser - le terme est choisi - que cela n’est possiblement pas le cas. 

Pour le dire en des termes délestés de la moindre ambiguïté, si ça déconne pour l’individu, si il y a malaise, cela n’est imputable à aucune collectivité que ce soit. Ni les parents, ni le couple, ni la famille, ni la société. Lacan enfoncera d’ailleurs le clou dans son émission Télévision en soutenant aussi justement que cela puisse se faire, c’est à dire d’une touche, en passant, que les entités collectives citées, la famille ou bien la société, ne sont elles-mêmes que des produits de ce trouble. Symptômes qui s’estampillent Malaise.

Pour le coup, entre synthèse et démonstration, c’est moi qui synthétise ici cette démonstration de Freud pour ouvrir au radical qu’elle propose. Celui que seule la voie de la recherche, de sa recherche, peut accorder à qui en supportera les étapes de rigoureuse logique. Logique issue de logos je le répète. C’est à dire la logique d’un frayage, d’une avancée, d’une ouverture au sein de la parole, plutôt qu’une fermeture issue du circuit fermé de la répétition. 

La parole c’est le symbolique et avancer au sein du symbolique cela veut dire aller à la rencontre de la structure à laquelle mène ses lois. Non pas lois en tant qu’organe de légifération, mais comme limites du langage. 

Autrement dit, si il y a des choses que l’on ne peut pas dire ça n’est pas, loin s’en faut, qu’elles soient interdites au sens de prohibées, mais qu’elles ne peuvent littéralement qu’être inter-dites – en deux mots – c’est à dire dites en creux, à qui saura les entendre, soit, les supporter. C’est une manière de représenter ici en passant que l’inter-dit, qui s’entend d’une traite mais s’écrit donc ici de deux mots, peut être un pur dépassement de la censure. Voire, le seule qui ne la renforce pas. 

Ce qui nous ramène à la démonstration de Freud, puisque le radical de ce qu’il  nous sert est extrait du jus de parole - première pression - issu des séances de psychanalyse, hors le filtre de la censure habituelle, c’est à dire hors l’usage convenu de la parole quotidienne. En effet, pour rappel, une des règles fondamentales de la psychanalyse est la libre association. Libre association de la parole de l’analysant, oui, mais cela à la condition de l’écoute contingentée de l’analyste. 

Et il faut bien noter ici que cette contingence est l’un des seuls savoirs du psychanalyste. Elle est précisément ce qui entérine l’impossible réalisation de la libre association en ceci que c’est en elle, dans cette parole dite libre, que gît la répression originale. La seule qui, à y être repérée telle par l’analysant, accompagné en cela par le psychanalyste, lui permettra de changer de discours. 

C’est à dire, le plus simplement du monde, qu’à réaliser, par la muleta de la libre association, que le vers est dans le fruit, à l’issu de sa psychanalyse l’analysant vivra éventuellement les mêmes choses, pourquoi pas, mais différemment. Cela de ne plus pouvoir imputer son malaise à quelque figuration de l’autre que ce soit. Y compris soi-même. Et ça, oui, l’analyste le sait. De l’avoir éprouvé.

Ceci étant dit, après avoir évoqué un premier couplage - démonstration-synthèse - puis avoir rappelé la proposition de Freud - le malaise de l’individu n’est pas imputable au collectif - j’ai brièvement évoqué un second binôme, celui de la répétition et de la recherche. Au moyen de sa pratique clinique et de son édification conceptuelle, la psychanalyse établit que la répétition et la recherche sont deux notions qui illustrent au mieux ce que peut être un rapport  antonymique.  

En effet, quoi de plus opposé à la répétition - en tant que fermeture revendiquée, en tant que bouchon face à l’incomplétude - que la recherche, qui ne trouve, elle, la dynamique de son mouvement que dans et par cette même incomplétude ?

Parlant de la recherche, puisque moi aussi je suis mon fil, il y a ce fameux bon mot de Picasso, Je ne cherche pas, je trouve ! Ce qui est amusant c’est qu’il aura alors passé sa vie à trouver puisque jusqu’à son dernier souffle comme l’on dit, il aura,  avec le succès que l’on sait, mis la main à la pâte. Ce qui peut se traduire ainsi, la découverte est au motif de la continuité, du mouvement à partir du circuit ouvert maintenu tel, alors que la répétition, elle, maintient la fermeture au service de l’arrêt puis du mortifère par effondrement endogène. 

Je souligne à ceux qui veulent bien l’entendre qu’il ne s’agit pas là de considérations éthérées mais bel et bien de notre réalité la plus concrète. En effet, ces deux perspectives - ouverture / fermeture - représentent deux politiques. Deux politiques cela veut dire deux options de cheminements effectifs et vitaux pour les humain. Deux voies aux effets qui se manifestent dans ce que l’humanité offre de plus palpable et de plus saisissable dans son quotidien. 

Et ce qui est déterminant à ce niveau c’est que ces deux options - radicalement opposées - s’abreuvent à la même source, puisque l’ouverture et la fermeture sont de fait une caractéristique de la pulsation de l’inconscient. Je me souviens de mon rêve et je l’oublie et inversement. Une caractéristique bien dérangeante - malaise - puisque comme je l’ai avancé dans la troisième session de Lhommalaise(...) le rapport «ouverture - fermeture» est la mesure d’incompatibilité patente qui lie entre eux l’Homme et la civilisation. Incompatibilité redoublée par le fait que ce rapport est le même de chacun à lui-même. (...)

S’il est acquis - acquis d’être éprouvé - s’il est acquis pour le psychanalyste que l’inconscient ek-siste, je dis bien ek-siste et non pas existe - ek-siste cela veut dire qu’il est situé et que son lieu est, disons cela comme ça, compris en dehors - s’il est acquis donc que pour le psychanalyste l’inconscient ek-siste, la pulsation ouverture/fermeture témoigne que sa saisie subreptice ne s’opère pas au moyen d’un ratio que figurerait une barre séparant la conscience et l’inconscient, mais par le seul biais du franchissement de cette barre. 

Franchissement dont le corollaire, en tant que la condition sine qua non, est donc un se lancer. Ce qui équivaut à un décrochage du ratio opérant dans le champ de la conscience. Nous avons pour illustrer cela la référence historique du franchissement symbolique du Rubicon par Jules César.

Afin d’éclairer ce que nous venons de traverser et faire le lien avec ce vers quoi cela nous mène, je vous propose maintenant de nous pencher quelques instants sur la pratique du puzzle. Le puzzle, qui consisterait à combler du vide jusqu’à le faire disparaître…, alors que c’est exactement le contraire que l’on peut constater. Un puzzle c’est le cernage permanent du vide puisque ce vide, durant la réalisation du puzzle, on ne cesse de le définir. En commençant par le repérer, puis par y mettre une pièce. Pièce qui à son tour fera office de frontière jouxtant et désignant le nouveau vide à investir par une autre pièce.  

Ceci jusqu’à la pose de la pièce finale. Pièce finale qui une fois placée viendra enfin, croit-on, combler définitivement le vide… Le fantasme totalitaire - ou communautaire - de la complétude menant à la plénitude ! Mais enfin, il est manifeste que si c’était vraiment le cas, l’enfant ne s’amuserait pas à défaire immédiatement ce qu’il vient de terminer pour recommencer et l’adulte, satisfait, ne passerait pas à un autre puzzle. Alors pourquoi repiquent-ils à la chose ?

C’est qu’en réalité ce petit vide comblé par la dernière pièce posée marque moins la fin du puzzle que la désignation du grand vide qui l’entoure désormais. Le puzzle terminé est en effet devenu lui-même une seule et même pièce et le fait est que, la plupart du temps, il s’agit de s’y remettre pour en réaliser une autre de pièce. Un autre puzzle.

Encore une fois, pourquoi cette répétition ? On pourrait considérer que, dans un mouvement de bascule, c’est pour aller combler le vide que le premier puzzle, du simple fait d’être fini, aura défini autour de lui. C’est en partie vrai, mais ce constat est insuffisamment explicite. Je dis plus précisément que c’est surtout une réaction face à ce qui se constate une fois un puzzle terminé, ceci,  La plénitude ne se définit que du vide qui la supporte. Et, doit-on alors ajouter, du vertige que cela procure.  

À propos de ce vertige, je rappelle que l’ouverture de cette série d’émissions s’est faite il y a quelques mois à partir de ce constat que les humains sont assujettis à la parole, qu’ils en sont les sujets du fait de son caractère aléatoire, ce qui fait d’eux disais-je alors des êtres de verti-Je. 

Autrement dit le Je ne nous assoit dans le langage qu’à la condition d’être indexé au vertige que le rapport au dit langage induit. Et là, j’en reviens à l’image du puzzle, la réponse primale qui y est donnée à ce verti-Je est donc la répétition. Se lancer dans un nouveau puzzle pour y pratiquer le contingentement du vide qu’il s’agit d’entourer, de détourer, de délinéer, de posséder, bref, d’avoir à sa main. Une main censée faire contrepoint au verti-Je - au malaise, une main qui se traduit très précisément ici par main mise de maîtrise. 

Cette maîtrise - pièce après pièce du puzzle valant pour mot après mot du discours, vous l’aurez saisi - cette maîtrise qui se retrouve à nager et à frétiller comme un poisson dans l’eau et que supporte le à l’aise à tous crins que promeuvent les tenant de l’humanité accomplie, cette maîtrise auto-proclamée et donc suffisante de suffisance est incompatible avec le franchissement dit précédemment qui seul donne accès à la pulsation de l’inconscient. 

Or, je le rappelle en passant, c’est en son lieu, au lieu de l’inconscient, que gît ce qui toujours marquera la fatuité, l’inconsistance, la vanité et finalement l’échec de quelques politiques de maîtrise du langage que ce soit. Mais avant cela, surtout, l’inconscient est le témoin absolument irréductible du délétère de ces politiques qui se révèlent en l’occurrence n’être que l’écho dissonant de ce que Freud nous avance comme étant le corps du malaise - nécessaire - qui étreint l’Homme.

Malaise qu’il s’agirait donc d’encaisser à fin de maintenir les conditions de la perpétuation de l’humanité.

Ce sur quoi nous aurons l’indicible joie de nous pencher dans le dernier chapitre du jour après avoir écouté Nicolas Jaar nous répéter musicalement son « Encore », avec les mots de Marcel Duchamp en ouverture...



Chapitre 2

Chasseurs cueilleurs de la fleur malheur

Le meilleur moyen que Freud a trouvé pour nous redistribuer sa découverte est de nous faire passer par les ressorts de celle-ci plutôt que de nous la servir sur un plateau. L’un de ces ressorts est que si les effets de cette découverte sont patents, son accès, lui, n’est pas direct. Sans doute est-ce là la raison de l’étrange présentation, de l’étonnante architecture de son chapitre. 

Un chapitre qui, pour le résumer, présente donc, tout son long, le rapport entre l’individu et la collectivité, entre la collectivité et l’individu, en soulignant et la charge qui incombe à chacun de celles et de ceux qui constituent le collectif et le déficit que ces mêmes subissent alors, pour finir, comme nous l’avons vu, par l’affirmation dés lors apparemment contradictoire que ce que l’individu semble laisser comme plumes dans l’affaire n’est pourtant pas imputable à quelque collectivité que ce soit.

Si le corps de cette démonstration est présenté dans ce chapitre, son cœur lui, le cœur de ce que Freud avance est transcrit dans deux notes, chacune longue comme le bras, qui figurent en tête et en fin de ce même chapitre. 

Ce qu’il ne faut pas laisser passer, ce qui est à saisir, c’est que la disposition de ces deux notes placées en début et en fin de  chapitre indique que c’est lui qui est à leur service et non pas le contraire. Ainsi, le chapitre IV présente ce que ses notes révèlent. Autrement dit, la découverte, une fois mise à nue, c’est à dire une fois dite, pour pouvoir être transmise, redistribuée, se pare des mêmes voiles qu’il aura fallu auparavant écarter pour y accéder. 

Quant à son corps, le corps de la découverte cette fois, il est tout entier constitué du même principe. Un principe qui est que l’insaisissable de la découverte désigne l’irréductible distance qui constitue sa matière même. Cette matière Freud semble n’avoir pas d’autre choix que de nous la présenter par le biais de ce qui, du corps, est aussi insaisissable qu’indéniable, l’odeur.

Une odeur précise puisqu’il s’agira, à partir de l’odeur de la merde, de déceler ce que recèle littéralement le rapport à l’odeur du sexe. Voilà, à travers un extrait de l’une de ces deux notes, quelle est cette découverte de Freud et comment il nous la livre. 

(…) Mais l’hypothèse allant le plus au fond des choses est celle qui se rattache aux remarques exposées dans la note de la page 49. Du fait du redressement vertical de l’être humain et de la dévalorisation du sens de l’odorat, non seulement l’érotique anale, mais bien la sexualité toute entière aurait été menacée de succomber au refoulement organique. De là cette résistance autrement inexplicable à la fonction sexuelle résistance qui en empêchant la satisfaction complète, détourne cette fonction de son but et porte aux sublimations ainsi qu’aux déplacements de la libido.

Freud commence donc par faire référence à ce qu’il a livré dans la note de la page 49 de son livre. À savoir que lors du passage à la station debout, l’Homme s’est éloigné, voire s’est coupé du lien entre l’olfactif et le sexuel. Un lien pourtant déterminant concernant le maintien de l’activité sexuel, et à partir de là rien moins que nécessaire à la reproduction de l’espèce humaine, laquelle ayant été jusqu’alors indexée au repérage des cycles des menstruations au moyen de l’olfaction. 

C’est, nous dit-il, à ce refoulement organique - le dégoût lié aux odeurs excrémentielles et sexuelles - que la fonction sexuelle fait résistance par ce qu’elle est. A savoir, non pas l’instance de la satisfaction, qualifiée de naturelle du fait notamment de la complémentarité apparente des appareils génitaux, mais, tout est là, par ceci que précisément elle est ce qui par dessus tout ne peut ni ne doit donner complète satisfaction. Ce sur quoi nous allons revenir dans une minute.    

Avant cela retour sur la parole de Freud,

Tous les névropathes, et beaucoup de non névropathes sont choqués par le fait que « inter urinas et faeces nascimur ». Nous naissons entre les excréments et l’urine. Les organes génitaux dégagent aussi de fortes odeurs qui sont intolérables à un grand nombre et les dégoûtent des rapports sexuels. Il s’attesterait ainsi que la racine la plus profonde du refoulement sexuel, dont les progrès vont de pair avec ceux de la civilisation, résidât dans les mécanismes organiques de défense auxquels la nature humaine eut recours au stade de la station et de la marche debout, en vue de protéger le mode de vie établi par cette nouvelle position contre un retour du mode précédent d’existence animale.(...)

Une précision avant de dire deux mots à partir de cela. La formule latine ainsi traduite, Nous naissons entre les excréments et l’urine est de Saint-Augustin. Ce chantre de l’amour savait ainsi situer l’amour au lieu de son  origine. Une origine à la valeur ambivalente au regard, ou plutôt à l’olfaction de ceux qui auront à en découdre avec elle durant toute leur vie. Au sujet de la naissance, j’ai d’ailleurs entendu paroles de femme tout aussi directes quoi que plus imagées à mon sens  puisqu’éprouvée, l’accouchement est une boucherie. N’en déplaise à ceux qui ne mangent pas de viande. 

Pour en revenir maintenant à ce que développe Freud, il soutient que pour prévenir un retour à l’état animal précédant celui de la station debout, l’Homme prendra appui sur le dégoût que lui inspire l’odeur excrémentiel placée à l’un des croisements névralgiques des pratiques animales. 

Un dégoût qui pour beaucoup trouve donc son pendant dans l’odeur dégagée par les organes génitaux. Rejet du sexuel qui, je reprends le terme utilisé précédemment, se soutient d’une ambivalence ontologique. En effet, se définir à partir du point que l’on rejette, quel qu’il soit - ici le sexuel - désigne évidemment combien ce point est naturellement nécessaire à ceux qui s’appuieront dessus afin d’y fonder, en réaction et par défaut, leurs propres coordonnées. 

Ambivalence donc pour l’odeur du sexe puisque d’un côté son attrait, au stade animal, est incompatible avec  l’évolution qu’entérine le passage à la station debout,  mais que de l’autre côté, à rester fixée à cette perte d’attrait, à se détourner du sexuel, l’humanité se serait également détournée de la reproduction. Ce qui l’aurait bien entendu mené à sa fin.

Or si il n’en a rien été en cette occurrence Freud en tire la conséquence logique que,  indépendamment de quelque conjoncture que ce soit,  le sexuel porte en lui le germe de ce qui tour à tour, 
- premièrement, va préserver son caractère attractif 
- et, deuxièmement, va permettre d’instaurer le dérivatif de la sublimation - on pourrait dire le préservatif de la sublimation puisque le sexuel y est en quelque sorte mis à l’abri de toute ponction. 

Ces deux points, l’attractif et le dérivatif, se conjoignent en un seul dont ils s’originent et dont ils dépendent. Ce point étant la butée autant que le socle de la découverte Freudienne à ce niveau. Découverte qui est que si le sexe peut accorder une certaine satisfaction - ce qui, qui ne le sait, n’est pas le cas pour tous, ne l’est que ponctuellement et sous conditions sévères - si donc le sexe accorde une certaine satisfaction, le sexuel, c’est à dire le sexe transfilé par le langage, le sexuel, lui, est indéfectiblement marqué du sceau du bancroche, de la boiterie et pour tout dire de l’irréelisable.

Irréelisable, je sors ce terme de mon chapeau pour poser que le seul sens, le seul, qui puisse être accordé au sexuel c’est de permettre de toucher au Réel dit par Lacan, c’est à dire à l’impossible. Ce qui nous renvoie au dicton bien connu À l’impossible nul n’est tenu. Une parole très prisée voire célébrée puisqu’elle assoit le malentendu fondamental auquel on se raccroche pour en faire usage de ce diction au niveau où, croit-on, il accordera le plus de satisfaction. À savoir, faire office de dispense. Puisqu’à l’impossible nul n’est tenu.

Or, là, Freud nous fait la courte échelle pour traverser ce malentendu, pour nous permettre de le redistribuer correctement, et de toucher à ceci, que tout le monde éprouve au gré de son quotidien le plus ancré autant qu’au fil de sa dérive existentielle la plus partagée, de toucher à ceci que c’est très précisément, au contraire, par la grâce de l’impossible que tous sont tenus.

Un impossible que plus tard, Lacan, cernera d’une formule sans ambiguïté, Il n’y a pas de rapport sexuel inscriptible. Des relations sexuels oui, mais chacune pour témoigner de l’impossible nécessaire à ce que l’humanité souffre de tenir son rang. Un rang qui est la reproduction sans fard de ce qui la caractérise cette humanité et qui permet de la définir encaisseuse d’une valeur, d’une jouissance à laquelle elle n’a pas accès. 

Conclusion


Rien de ce qu’un individu manifeste de malêtre n’est imputable à quelque instance collective que ce soit et si cette souffrance est repérable dans l’ordre du sexuel il s’agira de se plier à ceci que ce malaise est radicalement constitutionnel, c’est à dire nécessaire à la pérennité de l’espèce humaine.
Voilà l’acmé du parcours animé par Freud lors de ce quatrième chapitre de Malaise dans la culture.        

À ce point de mon développement comme tout du long de ce que j’ai pu avancer lors des différentes présentations de Lhommalaise il ne s’agit ni de prendre ma parole pour argent comptant ni de la cantonner à la valeur d’une monnaie étrangère dont on ne pourrait en aucun cas faire le change.

Entre les deux certains d’entre vous déploieront ils peut-être l’ouverture atypique, de temps et d’espace, que l’on peut qualifier d’être l’altérité. Altérité qui se constitue non pas de recevoir la parole de l’autre, mais de reconnaître pour ce qu’il est l’Autre de sa propre parole. L’Autre - avec un grand A. 

Bien, alors, pour en finir aujourd’hui avec ce que j’ai titré Le sexuel à la trace de son odeur, nous allons très très brièvement nous pencher sur deux plantes délivrant des parfums aux bouquets sidérants. 

La première de ces deux plantes est la colchique dont nous parle Claude Lévi-Strauss dans un court texte datant de 1980, texte intitulé, Une petite énigme mythico littéraire. Dans cet écrit, à propos du poème d’Apollinaire Les Colchiques, Claude Lévi-Strauss pose la question suivante, Pourquoi le poète, aux vers 10-11, appose-t il aux colchiques, en matière d’épithète, l’expression « mères filles de leurs filles »?     

Son texte, dense, nous entraîne dans des considérations, botaniques, scientifiques, sociologiques, historiques et sémantiques qui ont toutes à faire avec la réalité de la reproduction. Je retiens évidemment ici pour ce qui nous intéresse la dimension sémantique qu’il cerne après nous avoir présenté une étude extrêmement précise du mode de reproduction de cette plante. Voici ce qu’il en dit, Et comme le montre l’exemple des formes biologiques, le signifiant (le descendant) peut devenir le signifié (le parent). Il suffit pour cela du laps de temps d’une génération. L’esp d’un laps disait Lacan pour évoquer l’espace d’un lapsus.

En effet, Claude Lévi-Strauss tient pour acquis que la relation entre signifiant et signifié s’établit avec cette propriété essentielle d’être réversibles. Or, parlant d’odeur, se mettre au parfum de ce que hume la psychanalyse revient à aller au-delà de cette affirmation. Cela en actant cette loi du logos que c’est indéfectiblement le signifiant qui produit du signifié. Et par là, ce qu’il faut bien entendre, c’est que cela revient à entériner que le signifiant ne touche jamais au but. 

Ce qui est une définition tout à fait recevable de la reproduction. C’est à dire de ce qui se reproduit via la distance incompressible par laquelle l’Homme touche à lui-même. Voilà pour cette première fragrance.

La seconde plante à propos de laquelle je souhaite vous entretenir un instant est la Balsamine des bois, autrement appelée Impatiens noli-tangere. Je n’ai pas rapporté ici les particularités biologiques relevées par Claude Lévi-Straus à propos de la colchique mais je vais vous signaler la particularité de l’Impatiens noli-tangere. Qui est que celle-ci réagit au toucher par une brusque dissémination de ses graines aux alentours, ce qui lui permet de préserver sa reproduction. Ce mode de réaction à pour nom autochorie.

Impatiens noli-tangere. Ce qui veut dire Impatience ne me touche pas. Il se trouve que le titre de la troisième émission de Lhommalaise est Noli me tangere, le premier geste barrière, la névrose au fondement. Noli me tangere - ne me touche pas - étant une parole du Christ adressée à Marie-Madeleine voulant l’étreindre après sa résurrection.

Mais encore, dans un texte datant de 2020 je m’étais déjà appuyé sur l’Impatiens Noli-tangere et sur le Noli me tangere christique pour dire combien la période dite du confinement aurait gagnée à être considérée comme un lieu de suspension. 

La suspension non pas comme un arrêt, comme un temps mort, mais la suspension qui, durant un saut, un saut de danse par exemple, confer Le jeune homme et la  mort, de Jean Cocteau et Roland Petit, permet d’envisager un atterrissage Autre. Entendez par Autre, à tout le moins, quelque chose de différent que ce que l’on désignait lors du confinement par cette dénomination aux boursouflures adipeuses, le monde d’après. 

L’atterrissage Autre que je dit est de l’ordre de l’indétermination, ceci pour faire contrepoint au déterminisme arrangeant qui scelle les destinées avant même l’envol de ceux qui s’y inscrivent. Une indétermination assimilable à un différentiel fécond d’avec le convenu. 

L’autochorie de l’Impatiens noli-tangere, comme la mise à distance du Noli me tangere comme le ne vous touchez pas du geste barrière sont les effluves de la servitude que l’humanité doit à sa propre cause. 

Une humanité séparée d’elle-même par le rapport s’établissant entre sexe et langage. 

Une humanité séparée d’elle-même par le sexuel donc, qui pourtant seul la fonde.


Alors ami auditeur, et toi,
sauras-tu faire preuve d’humanité,
solitaire sans doute, 
en reco-nnaissant enfin être tenu par l’impossible ?



Rendez-vous est donné dans quelques semaines pour la sixième émission de L’Hommalaise. 
Il y sera présentée la suite de l’interprétation du livre de Sigmund Freud Malaise dans la culture via son chapitre 5. 

Vous pouvez retrouver l’intervention d’aujourd’hui en podcast sur le site de la radio RDWA - R-D-W-A.FR, ainsi que, accompagnée de sa version écrite téléchargeable, sur le site de Jean-Thibaut FouLEtier, tybolt.fr, T-Y-B-O-L-T . FR 

Et si l’humanité est séparée d’elle-même, entendons maintenant ce que Stereo MC’s peut faire pour elle avec son titre Connected...



Jean-Thibaut Fouletier
Die, le 24/05/2022