Plight

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LES PIEDS DANS LE PLIGHT (1)

Dessin réalisé le jour de la visite

2015 – 21/14,7 cm

Plight est une installation de l’artiste allemand Joseph Beuys (1921-1986) présentée dans les collections permanentes du centre Beaubourg à Paris.

Comme tout visiteur il aura fallu que je me baisse pour en franchir l’entrée et accéder à l’espace où cet œuvre se déploie. Une fois passée cette porte basse des rambardes délimitaient un petit périmètre duquel seulement, nouvelle contrainte, je pus voir la chose.

En l’occurrence, une première salle où était placé un piano à queue, fermé, sur lequel étaient posés un thermomètre et un plateau de bois où était inscrite une partition musicale, sans notes. Des rouleaux de feutre de plus de deux mètres de haut étaient plaqués contre les murs, du sol au plafond, comme dans la seconde pièce de l’installation, visible seulement en partie depuis l’endroit où le spectateur était retenu.

C’est ainsi que je suis entré dans Plight et que Plight m’est entré.

Avant de vous (d’) écrire comment je fus touché, je dois commencer par évoquer la bonne fortune qui fit qu’au moment de découvrir l’installation je m’y suis retrouvé seul quelques instants.

Un décrochage. Le silence prenant corps par le mien.

Je ne parle pas de cette sensation que l’on peut avoir lorsqu’au milieu de la cité on entre dans une église et que le calme, ou parfois le sacré mais plus prosaïquement le moins de bruit, vous enveloppe.

Non, ici, avant le son de quoi que ce soit, fut-ce celui du silence, ce fut la prise en chair d’une texture d’intensité, d’une tessiture de souffle, enfin bref, l’incorporation de l’envers de la médaille.

Vous savez, la médaille, la gloriole, l’insigne, la décoration, la ceinture des arts martiaux, le taste-vin de la confrérie des chevaliers du Taste-vin ou quoi que ce soit qui fasse office d’attribut de la reconnaissance fraternelle pour faire marque que l’on se comprend et que l’on est de la même chapelle.

Même si au final le fait qu’enfin l’on soit compris par l’autre désigne que chacun est compris dans l’autre. Confère Le baiser de Picasso.

Car enfin qui ne le sait, même langage pas de langage.

Parlant de  » l’en gage », notons que la matière silencieuse n’est pas une matière scolaire. Sans doute parce que l’accès au silence induit l’ouverture à un Autre lieu du tangible que celui de la note ou de l’évaluation.

Celles-ci, loin d’être les garantes du bien fondé de la geste de chacun, sont en réalité les hilotes, convenues et érigées en golems, de nos dérapages incontrôlés, qu’ils soient individuels ou collectifs.

Cet Autre lieu, pourtant, se pratique, singulièrement, et c’est par son biais, voire de son tiers, que, debout, j’ai pu mettre les pieds dans le Plight, lieu d’un silence où lui-même, le sort, s’infléchit aux prix de l’engagement.

Là, précisément, mieux vaut être au clair avec le corps à mettre en gage pour cela. L’en gage seul étant capable de faire contrepoint à la valeur ajoutée qu’estampille le galon.

Car si, comme le disait René Leriche, sans doute aidé en cela par les tombereaux de cris de douleur qu’il aura pu entendre durant sa pratique en temps de guerre, « la santé c’est la vie dans le silence des organes» et que, comme le relève Paul-Laurent Assoun, ainsi considéré, le corps en bonne santé serait un corps frigide, le frémissement de la sensation, sa reconnaissance tout au moins, s’amorcerait par où pourrait s’entendre qu’au lieu du silence sur-git la langue.

Encore donc faudrait-il disposer de l’organe pour l’entendre.

Qui fasse passer de la valeur ajoutée à la valeur ajourée.

C’est à dire du médit asséné au mi-dit proposé.

Mi-dit que chacun trouvera à sa porte, tour à tour ouverte et fermée, battante quoi, puisqu’ indexée aux miroitements pulsatiles de l’inconscient !

L’horsgane…

(1) Plight: Situation désespérée, embarras, sort, promettre, engager (fiançailles)…

JTF, Paris, janvier 2015