L’insupporteur : Onfray ou La rigoureuse lâcheté.

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A Dominique Noguez

L’INSUPPORTEUR

Onfray, ou La rigoureuse lâcheté

– Présentation –

Le premier des deux textes qui suivent, Machines à desseins, aura été écrit 6 années après celui qu’en définitif il introduit, L’insupporteur – Onfray ou la rigoureuse lâcheté.

L’un et l’autre entérinent que le présent éternel de Michel Onfray, à considérer comme ce qui caractérisera sans doute ultérieurement la position tenace impostée par notre temps, ne se conjugue pas à celui de la vitalité qui se décèle dans les traits façonnés par Schuiten et tirés par Peeters.

MACHINES A DESSEINS

L’exposition Albert Camus, Aix en Provence, 2013, donna lieu à un psychodrame que Pierre Assouline qualifia de Patacaix, nœud pathogène qui prit comme figure la désignation du commissaire de l’exposition.

Vous n’aurez aucun mal à en suivre la trame en vous reportant aux articles de l’époque pour y retrouver les places tenues par les différents protagonistes, Albert Camus, sa fille, Catherine Camus, la maire d’Aix en Provence, Maryse Joissains-Masini, Benjamin Stora, Aurélie Philipetti et Michel Onfray.

Chacun tirera la ligne qu’il pourra et la portée qu’il voudra de cet imbroglio apparent où les rebondissements successifs pouvaient pourtant déjà à l’époque être pressenti comme inévitables au regard des incompatibilités évidentes d’intérêt et d’idéologie entre les uns et les autres.

Différences portées avant tout, et c’est là un cas d’école pour le toucher du doigt, par des hauteurs de vue absolument inconciliables d’être littéralement incomparables, au sens de sans rapport.

Ce qui trouve à s’illustrer dans un article du Nouvel Observateur, le 13 septembre 2012, où Michel Onfray explique entre autres que l’éviction de Benjamin Stora n’a rien de politique et que l’entité Marseille – Provence 2013 l’a contacté, je cite, « pour succéder à Benjamin Stora – et non pour le remplacer »…!

– Les choeurs :  » La filiation Michel, la paternité Onfray. »

Le 14 septembre 2013, il annonce pourtant via son compte Twitter (de l’anglais to tweet, pépier) qu’il renonce à devenir le commissaire de l’exposition. Conformément à la posture de la vermine qui ronge les cadavres des grands pour en sustenter à bon compte sa gloriole, il pourra alors dire que Camus aura été le grand perdant de cette affaire dans le même temps où il aura été, lui, conforté dans sa détestation des politiciens, des héritiers, des réseaux, des tribus, des ministres…

« Rien de neuf sous le soleil ! » conclut cet éthernel adolescent qui, après avoir fait mine d’engagement, crie sa révolte démagogique. Pas tant défenseur de la veuve et de l’orphelin au fond que redresseur de mort pour étayer sa propre déliquescence. « Rien de chatoyant dans la poussière ! » donc.

J’écris cela bien des années après avoir fait le même constat concernant son imposture, poudre aux yeux toujours très diffusée, à l’endroit de Jacques Derrida et de Benoit Peeters.

Une dernière précision avant que vous ne lisiez ce texte. Je reviens tout juste, ce jour, d’une exposition de Schuitten et Peeters au musée des arts et métiers à Paris. Oui, une exposition qui s’est tenue, elle, sans valeur ajoutée autre que celle apportée par les spectateurs.

A la différence de celle, de valeur, habituellement déportée par ce magistral calculateur qui ne trouve place, avant de se défausser, qu’à s’appuyer sur ceux-ci qu’il désigne insuffisants, Peeters par exemple, pour mieux se grandir à l’ombre de ceux-là qui n’ont eu besoin de personne pour avoir une stature, Camus ou Derrida.

Pour ma part, je reconnais la fierté d’avoir su être au rendez-vous, six ans après l’écriture de mon premier texte, et d’avoir pu à cette occasion répondre à l’invite faite aux visiteurs de l’exposition, enfants ou adultes, d’exécuter un dessin. Une pièce avait été aménagée à cet effet et chacun disposait d’une table à dessin provenant des fameux ateliers « Boules » et d’un crayon à papier donné à l’accueil. Les feuilles mises à disposition étaient toutes tamponnées ainsi « Schuiten & Peeters Machines à dessiner ».

Pour n’avoir, heureusement, pas porté mon attention sur ce qui était demandé, faire un dessin des quelques machines présentées comme objets d’études, je figurais le lieu avec mes trois enfants, Solal, Tim et Eliah, en train de dessiner ou de scruter les dessins de l’exposition.

Oui, ces trois là mus comme machines à desseins, tirant ainsi au présent composant leurs révérences aux créateurs, à Peeters et à Schuitten.

JTF, Paris le 11/12/2016

L’INSUPPORTEUR

Onfray, ou La rigoureuse lâcheté

(C’est un philosophe historique, il est dans la liste !)

Ce texte a été écrit en décembre 2010 suite à la lecture de l’article Pitié pour Derrida, de Michel Onfray, paru dans le Nouvel Observateur de novembre 2010, article dans lequel Michel Onfray critique la biographie de Jacques Derrida établie par Benoît Peeters.

Introduction

Facilité de félicité est le fruit d’un sacré travail. De là, lapalissader sans peur de l’avanie est chose que je partage tout naturellement, avançant par exemple que la ponctuation de la recherche du temps – où trouves-tu le temps de faire tout ça ? – peut trouver à s’inscrire en un lieu et que la réalisation de ce lieu ait à se faire en son temps.

Petite ritournelle directement reliée à la pratique du psychanalyste qui l’amène à être placé sans cesse au lieu (tenant), morne ou passionné, des causes sans temps afin qu’aient une chance de s’en délier celles et ceux qui pourraient, par ce biais, être amenés enfin à pouvoir se pointer au temps des lieus sans causes…

causerie s’entend d’une autre oreille.

La lâcheté et la pitié du présent éternel

Si le présent éternel est ce sans fin mortifère qui donne main à la répétition, le début de sa fin s’amorcerait à supporter le pluriel, invention permanente pour répondre à l’invitation du langage ainsi investi par une parole moins tenue.

C’est ainsi que jeune homme, avant de m’engager dans une psychanalyse, je croyais bon d’ embrasser large la lecture des différents auteurs et ponctuais mes déambulations annexes par un livre balayant le champ historique des différentes écoles. Je fus alors saisi au cœur, écœuré, par un article pétri de facile médisance et de suffisance insuffisante par lesquelles était rendu compte d’une pratique, à l’aune, orientée, de n’en jamais, fut-ce d’une ligne, aborder le fondement théorique.

La démagogie couchant avec la mauvaise foi. Et pourquoi pas ?! Chacun sait que parler de l’autre depuis le point où l’on se manque soi-même, lot commun, fait poindre la bouée de la connivence, pépite immonde à laquelle il semble être si bon de s’accrocher pour se laisser aller aux courants porteurs de tous les abandons. Je pense ici particulièrement à ceux qui alimentent le fleuve opaque des communautarismes pour toujours et à jamais l’on s’comprend.

J’ai retrouvé ce type de rigoureuse lâcheté dans « Pitié pour Derrida », article de Michel Onfray placé à propos de Benoît Peeters, et cela m’a rendu chagrin. Il peut s’y lire, à propos de Peeters : « Voilà un homme connu pour une biographie d’Hergé, des collaborations dans des BD et pour être un spécialiste de Tintin – autant de titres de noblesse philosophique bien sûr… ».

Peu de choses en fait, mais juste ce qu’il faut de mépris veule, hautain et pour tout dire fleurant mauvais la fibre abjecte de l’entente collusive aux raccourcis faciles et intéressés, pour qu’en retour je m’accorde la curiosité de relire, à quelque chose malheur est bon, un ouvrage de Peeters qui m’avait été offert il y a de cela bien des années. Un présent ayant pour titre « Souvenirs de l’Éternel Présent ».(1)

Certes un simple livre illustré, une bande dessinée, un presque rien donc… qui à le bon goût de ne pas s’habiller de la prétention d’une quelconque portée intellectuelle, je vous laisse juges, mais donnant la possibilité tout de même d’y reconnaître l’analogie qui se file entre, d’une part, le discours des tenants du régime totalitaire qui y est décrit et, d’autre part, celui tenu par notre critique totalisant.

Ne serait-ce qu’au titre de la répétition qui s’y recèle. Là encore, le présent éternel… Mais éclairant aussi à quelle aire du possible devoir s’accorder, comme l’enfant que l’on suit tout du long de cette aventure, pour enfin pouvoir inscrire une biographie hors lignes déjà écrites, montrant qu’il y a des façons plus ou moins élégantes de monter sur les épaules de celui dont on se fait…le descendant.

L’encoche et la morne norme

Bref, une biographie d’un autre tonneau que celles rêvées par notre cher critique habilitant, lequel, conducator es qualitas ISO 9000 auto normé, se prend à dispenser la licence permettant d’œuvrer ou non en la matière. Constitutionnaliste tautologique qui valide ainsi l’exclusif de son savoir imaginé, de l’instituer étalonnage universel.

Un guindage qui le pousse d’ailleurs de son aiguillon pour venir tout aussi indéfectiblement s’échouer sur les tartes à la crème de la critique à l’endroit de Freud. Tartes à la crème sur lesquelles viennent se tamponner les bornes inusables de son présent éternel personnel. L’auteur de « Pitié pour Derrida » s’accorde ainsi à la répétition, joug issu d’une loi qu’il renforce de la dénoncer de tout son aveuglement.

A chaque époque son Œdipe donc, ce qui laisse apparaître également qu’à chacune son vicomte De Valvert. Les petites bornes du « Vous…. vous avez un… heu… un nez… très grand. » contre plongées à l’encontre de l’esprit vif de Cyrano, semblent toujours autant trop longues d’être toujours autant trop courtes au regard, tranchant, de l’élégance et du panache qui en retour les effacent. Les Cyrano ont en effet cette outrecuidante présence de supporter la parole hors la marque d’une réponse pré cochée.

Encoche qui est le joug du vainqueur des Curiaces Publius Horatius. Au titre d’être devenu tour à tour champion puis sororicide, il fut porté aux nues après avoir préservé la loi de la cité des attaques extérieures, pour ensuite, d’avoir été malgré cela condamné, confirmer l’assise de cette loi en interne. Chaque fonction a ses temps d’astreinte et chacun de ces temps livre sa chose.

Reconnaître cela donne au commerce de la parole et de l’écrit la possibilité d’ advenir en temps réel – rien à voir avec l’usage drolatique qui se fait de cette expression dans les médias actuels -, c’est-à-dire sans que ceux qui y sont soumis ne puissent rien faire d’autre qu’éventuellement pouvoir venir témoigner y trouver limite à leur propre dimension, soit, par là et par là seulement, de s’y cocher.

C’est à ce titre que vouloir écraser le désir de l’autre, que ce soit celui d’une sœur de Grèce Antique, d’un médecin autrichien, ou d’un artiste français, renvoie toujours à l’impuissance affectant celui qui s’y essaye, impuissance inaccessible à lui-même.

Discours ob-scène où se marque d’ailleurs la limite de mon propos à l’encontre de l’immondain.

L’éternel présent de la juste causerie

S’agissant du critique médiatique, sortir de ce présent éternel aurait pu consister à ne pas s’endormir comme il le fait sur le supposé sommeil de Freud pendant les séances avec ses patients. Cela lui aurait peut-être permis de se voir lui-même n’attaquer à la rame que la falaise là où il croit, religieusement bien entendu, mettre à bas la statue du Commandeur.

Oui mais voilà, ce pas de côté aurait dû, pour éventuellement être soutenu, supporter le risque majeur de faire passer Freud pour ce qu’il reste par-dessus tout, malgré ou par sa complexion.

Un simple homme qui avança dans la parole avec des femmes des hommes et des enfants aussi simples que lui, en assumant les effets ainsi déclenchés à son endroit et tout particulièrement celui-ci, de faire converger sur son nom la demande d’une parole qui, de simplement être iné-dite, ne peut être rendue.

Ce qui de sa part, à mes yeux, fait œuvre d’offrande, de présent éternel, celui par lequel pourrait s’accorder à elle-même ensuite, en guise d’ouverture perpétuée, la juste cause-rie.

Demander Pitié pour Derrida est une main dé-mise sur son indépendance et ce doublement. Primo, à vouloir railler Peeters, de poser sans barguigner que Derrida et son œuvre puissent être pris en otages et tenus par un bourreau, quel qu’il soit. Secundo, avec la note d’identification qu’infère le « pour » de « Pitié pour Derrida», de parler et demander en son nom, de parler pour demander en son nom. Humilité et respect mis à part, n’est-ce pas, ouvrant sur l’absence à soi en étendard.

Nul ne sait si Derrida aurait demandé pitié, encore une fois je vous laisse juges, mais pour autant, nous savons désormais à travers cette substitution forcée ce qu’est une imposture.

Celui qui formule cette demande érige les murs qui relèvent l’obscurité des lignes de sa propre biographie, laquelle, qu’il n’en puisse mais, ne cesse de s’écrire malgré lui, en toute indépendance, comme il sied à la liberté de la Lettre, liberté astreinte par laquelle se marquent nos limites ainsi que le champ de nos possibles.

Michel Onfray, auteur de cet article nauséabond, manifeste qu’il n’est pas au lieu de s’en rendre compte. Mais ceux qui en ce lieu s’y rendent, à temps plein sonnent leurre.

C’est à cet écho précis que répond la mise en mouvement du gardien, personnage central du livre La Tour (2) de Benoît Peeters.

Mouvement qui désigne celui de Lêttre humain…

Sa morne place est récupérée par le gardien de Derrida, qui, à son tour, fait donc que

n’être pas.

Éternellement …

JTF, Paris, décembre 2010 / novembre 2016

(1) Livre : Souvenirs de l’Éternel Présent; Auteurs : Peeters & Schuiten ; Collection : Arboris

(2) Livre : La Tour ; Auteurs : Peeters & Schuiten ; Collection : univers d’auteurs ; Série : les cités obscures.