La nue-propriété
D’ébats
Poème à lire ici et à entendre là
Texte téléchargeable en format Pdf
J’habite, encore pour quelques semaines, dans le 5ème arrondissement de Paris. Comme tous les quartiers de toutes les villes du monde, la tonalité de son style de vie est estampillée. Ce qui, comme toujours, permet à eux qui se réfèrent à cette estampille de « savoir de quoi ils parlent ». Ou plutôt de qui ils parlent puisque parler d’un quartier c’est surtout parler de ses habitants. Les évoquer tels que l’image commune les fige c’est en retour se situer soi-même sans risque de s’ouvrir à l’ouverture.
Ainsi, il y a une dizaine d’années, Philippe Val, au creux d’une émission radiophonique indispensable puisque promouvant sa vie son œuvre – il venait d’être nommé directeur de France Inter – après avoir conventionnellement versé une larme de circonstance à propos de son père, porta à notre attention le fait que lorsqu’il traversait le 5ème arrondissement en scooter, se demandait comment l’on pouvait y vivre tant cet endroit lui semblait ennuyeux. Ce à quoi je répondis alors par une brève expliquant que le même jour, une dame âgée, très bien mise et attentionnée m’avais demandé tout naturellement si j’avais trouvé là une belle araignée… alors qu’elle me voyait accroupi sur le trottoir en train de photographier la première fourmi annonciatrice du printemps. Oui, ennuyeux le petit grain de folie poétique du 5ème.
On peut donc ainsi faire sonner les timbales de tous les points de vues permettant d’envisager ceci ou bien cela concernant la tonalité d’un quartier, pour ne retenir, concernant ce coin de la capitale, que celle du grain intellectuel et universitaire. Permettez-moi à mon tour de placer mon regard, issue de ma perspective quotidienne de la chose via, entre autres, les échanges fréquents dont je suis coutumier. Regard qui me fait dire que si intellectuels et universitaires il y a effectivement à profusion, et bien de pensées s’extrayant de l’univocité bourgeoise – au sens de la préservation de l’inessentiel – il n’y en a que discrètes et dispensées avec une extrême parcimonie. Vous me direz que cela répond aux critères du discours scientifique dans lequel l’élément discret est celui qui n’est pas relié aux autres. Ce à quoi je réponds que ça ne l’empêche pas de faire partie de l’ensemble. Voire même,qui ne le sait, de constater qu’il soit une condition nécessaire à sa tenue.
C’est de la part de l’un de ces éléments discrets que je reçu un mail la semaine dernière. Employé d’une mairie de banlieue, peu enclin aux discussions effervescentes et auto validées de la communauté ambiante, évoquant parfois des lectures qui manifestent son soucis permanent de la recherche et de la curiosité, je l’appréciai définitivement le jour où, alors que j’évoquais devant lui un travail précieux sur la Constitution des États-Unis relevant que (1)…, il m’interrompis tout sourire en me disant « Nous sommes d’accord, le vers était dans le fruit », avant même que je n’ai terminé de lui présenter l’argument permettant de conclure la chose par cette, dés lors, évidence.
Dans son mail, il évoquait un article du journal Le Monde, L’État de droit est mis à nu (2), de Dominique Rousseau, précisait qu’il y trouvait certains des éléments qui alimentaient ses réflexions personnelles à ce sujet et demandait un éventuel retour sur la question.
Pour ma part, ce retour, le voici
Si la révolution promet à tous, croyants et athées, des lendemains qui chantent, elle se définie pourtant simplement du tour sur soi-même, soit le plus souvent, un retour au même, en pire. De là, le retour sur la question – sur quelque question que ce soit – n’est à considérer qu’au niveau du repérage du lieu où le lecteur est revenu après lecture au regard de celui d’où il est parti, afin de relever, ou non, un différentiel de l’un à l’autre.
En l’occurrence, il s’agirait alors pour moi ici, afin éviter l’écueil de la révolution figée, de faire se conjoindre deux différentiels sans que pourtant ils ne s’effacent. Le premier est celui relevant d’un dépassement, d’un franchissement de la butée de la ligne de pensée tracée par l’auteur de l’article. Le second est celui me permettant d’accéder à la formulation d’un point de vue jusqu’alors non encore formalisé par moi.
Pour redistribuer ce qui m’est venu dans ce sens je vais commencer par reprendre la conclusion de l’article en question. « En voulant mettre de côté le droit, l’état d’urgence sanitaire à fait redécouvrir que l’État limité par la loi était une idée démocratique. L’urgence politique est là et nulle part ailleurs », ainsi que, à nouveau, son titre « L’État de droit est mis à nu ».
Pour ce qui est du premier point, de l’urgence actuelle dont on nous tanne en toute obsessionnalité névrotique, il suffira de se référer à « Malaise dans la civilisation », de Freud. J’y ai déjà fait allusion dans deux courts textes à l’adresse professionnelle, « Lhommalaise » (3) et « Ça urje wo es war » (4), en m’appuyant pour ce dernier sur le credo-constat de Freud, « Wo Es war soll Ich werden » – Où était le ça le Je doit advenir – pour désigner l’idée que le Je dont il est question en psychanalyse n’est aucunement à typifier d’un caractère d’urgence, mais à situer en toute occasion au lieu dit.
Lieu dit qui, pour ce qui est de la signalétique routière, aura interrogé une bonne partie de mon enfance de devoir être écrit, lettres blanches sur panneau bleu, pour, dit, seulement sembler pouvoir l’être.
Lieu dit que cet article avançant une parole qui passe sous le frontispice de son titre dans et par lequel Je lis que « le roi est nu ». Retour à la révolution dite plus haut…
Alors, pour redescendre sur terre, comme si je n’y avais jamais été aussi profondément ancré que durant les quelques lignes précédentes, sur la terre et sa révolution quotidienne, n’est-ce pas, quelle question – me – pose la permanente nudité royale ? Non pas la question sollicitant la connaissance encyclopédique mais celle sollicitée à partir du savoir inconscient – lequel se révèle à parfois s’ouvrir, subreptice, pour se refermer aussitôt, confer le rêve, non sans laisser de trace pour qui sait pêcher – dévoilée au prétexte de l’urgence.
Quelle question donc si ce n’est celle-ci. Du fait de la nudité du corps du roi, de l’État ou de la Nation, le corps de tout un chacun est il soudainement propulsé de manière pérenne dans un nouvel espace de jouissance – jouissance étant à entendre, puisqu’il s’agit du juridique, capacité d’usage de lui-même ?
Autrement dit, traduction, la question que Je pose – marque de mon différentiel – est la suivante.
Par la rencontre d’un nouveau corps, fut il nommé virus, le corps – imaginairement identifié au lieu dit confiné – est il amené à faire l’amour différentiellement ?
Jean-Thibaut Fouletier
Paris, le 29/10/2020
Les commentaires sont fermés, mais les trackbacks et pingbacks sont toujours ouverts.