Au revoir les enfants

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AU REVOIR LES ENFANTS

(The poppies)

l’Histoire est faite aussi de celles et ceux

qui ont été pris avant d’avoir pu se donner.

JTF

« Depuis quelques mois j’ai voyagé

et traversé la frontière

dans tous les sens des mots. »

Rafael Trujillo

INTRODUCTION

Durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy nous avons tous vécu les effets d’une communication placée au diapason du volontarisme, revendiqué, de sa politique. A moins que cela ne fût l’inverse et que, la communication prenant le pas sur la politique, elles devinrent l’une de l’autre plus encore indiscernables qu’indissociables.

Et en fin de mandat le constat qui découle de cet irrésolu, comment le volontarisme de l’un, unité idéalisée et imaginairement réalisée du je veux je peux, hystérisa, mit en scène douloureuse la ligne de scission des autres, le peuple de France.

Pour faire image, disons que cette constante caractéristique (1) de sa pratique de la chose politique amena les français de tous bords à vivre la condition de ceux qui auront été astreints à la prise d’une substance addictive pour en être ensuite soudainement privés.

Certains redemandant leur dose à corps et à cris, les autres encaissant le choc d’un sevrage espéré suite à une prise forcée. C’est de la ligne venant faire frontière entre ces uns et ces autres que je voudrais maintenant vous entretenir.

Aux lendemains des élections présidentielles de 2012 j’eus de nombreux échanges à propos des cinq années qui venaient de s’écouler (2). A l’écoute de ces témoignages contrastés, visions crispées d’un temps inapaisé, je me suis laissé aller à me demander quelle serait la ligne qui permettrait d’imaginer que puissent se retrouver celles et ceux que le grain de cette mandature avait si profondément rendus incompatibles les uns aux autres.

Quel acte politique marqueur de ces années-là pourrait-être reconnu comme une terre vive capable de supporter la parole commune des citoyens, engagés d’êtres unis par delà le clivage de leurs familles politiques ? Quel point aveugle du volontarisme décomplexé pourrait-être avancé qui rendrait une vision partagée du partage à ceux qui eurent à en vivre l’arrogance ?

Pour répondre à cette question sans doute est-il nécessaire de définir à qui elle s’adresse, ou mieux encore, par qui elle m’agrée. Et bien, par toute la partie de la population qui pour un temps n’aura pas son mot à dire lorsqu’il s’agira d’élire l’homme ou la femme qui décidera pourtant de la politique à mener à son endroit, les enfants.

Alors par eux ma réponse est la suivante. L’acte politique traçant la ligne permettant aux français d’avancer ensembles, sur quelques pas, malgré leur appartenance à des familles politiques différentes, pourrait-être qu’en France entre 2007 et 2012 des policiers sont allés dans des écoles, maternelles, primaires et collèges, sont entrés dans les classes pour en sortir des enfants n’ayant pas de titre de séjour.

A l’addition, la multiplication, la soustraction et la division, une opération subtile venait s’inscrire au programme de la mathématique humaine, l’extraction. Subtile mais réchauffée.

Peu de chose me direz-vous, trois fois rien, peccadilles, détails. Mais comme nous finissons tous par le réaliser tôt ou tard, les détails font la mémoire du futur (3). Considérons ici qu’ils sont de ces grains de sable qui du haut de leur insignifiance apparente peuvent pourtant, d’être revisités, faire dévier le cours des blocs les plus lourds, idéologie, croyance, savoir, imposture…

Charge à ceux qui me suivront ici tour à tour sur les chemins de l’imaginaire du symbolique et du réel de considérer que mes apparentes digressions ou mes chemins de traverse pourront faire office de route de leur soi, qu’avancer en aveugle n’empêche d’être en mouvement ou encore qu’accepter de s’en remettre ligne à ligne au fil de mes discrets-dits permette d’envisager qu’Ek-siste un contrepoint, si insoutenable paraisse-t-il à dégoter, à une parole dévorante et omnisciente dont la publicité ou la communication sont tour à tour les hérauts et héroïnes, ténèbres célébrées d’un temps qui n’aménage pas lieu d’Être(4).

1 – Dérivée de caractériel.

2 – De l’une de ces conversations, anecdote, je retenais ces deux mots qui ne cessaient de revenir, Sarkozy et nihilisme. Me vint en ponctuation l’idée du sarkhilisme.

3 – 6 millions de morts et autant de votants 25 années plus tard.

L’IMAGINAIRE

2007-2012 La ligne départie

Communication disions-nous pour aborder d’un trait global le grain du quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Pour préciser notre pensée à ce sujet et définir l’orientation que nous lui donnons, établissons un parallèle entre le célèbre slogan des employés de LIP en 1973, l’imagination au pouvoir et celui auquel pourrait se résumer ce que reflète la communication que nous décrivons ici, l’image de l’impuissance.

L’impuissance du pouvoir est une chose, elle est communément partagée dans ce domaine, la dérobade républicaine en est une autre. Nous allons aborder la République par le biais du triptyque qui en fait le flambeau national à l’heure où il se figure que, ce triptyque, lui redonner pleine figure passerait par le devoir de scotomiser certains visages des photos de classe.

Fraternité :

Séparation des pouvoir ?

Sous la Vème République, après-coup, comme partout ailleurs et de tous les temps d’une Histoire qui se sustente des plats qu’elle se ressert à l’infini, la tonalité d’un mandat présidentiel est toujours au moins autant donnée par la personnalité de celui à qui échoit la plus haute charge de l’État qu’aux évènements qui ont jalonnés la durée de la présidence.

Chose frappante, cette mandature aura été restreinte dans sa durée (2002), passant du septennat au quinquennat, dans le même temps où les moyens technologiques de la diffusion médiatique se sont accrus au point de désormais sembler faire corps avec le moindre support d’expression de la sphère privée.

Au lieu même de cette conjonction, croisée inédite de l’expression publique et du domaine privé, la télévision, la radio, l’ordinateur, internet, la téléphonie mobile et les réseaux dont ils sont les supports sont devenus les vecteurs d’un champ nouveau. Un champ nouveau, reconnu et semble-t-il pourtant encore innomé.

Il devra pourtant l’être, dussè-je pour cela en passer par le biais du forçage néologique en utilisant pour l’instant, à défaut de mieux, le mot valise de publivé. Champ précis où se repère que l’instance du pouvoir républicain reconnait en avoir cédé à celle du pouvoir technologique. Le publivé est le nom d’une faillite annoncée que nous allons relever.

Pour ce faire entreprenons cette apparente pirouette d’aller au rebours de ce que véhicule l’appréhension habituelle et consensuelle d’un temps linéaire – passé, présent, futur – qui d’être ainsi présenté inéluctable dans l’ordre de son déroulement impose l’inéluctable de ses effets comme unique référence.

Il s’agit donc de renverser la proposition en posant que du futur, de l’à venir, puisse se lire notre présent. Présent, pour éclairer mon lumignon et tournebouler la proposition, présent où doit s’entendre cadeau. Un cadeau encore emballé qui ne se révèlera en tant que tel, au final de chacun de ses instants, qu’à la condition d’en bien savoir tirer les ficelles.

Ce qui commence par reconnaitre la conclusion à laquelle nous mène notre présent fil. La faillite que nous disions concerne évidemment le devenir de l’un des principes au fondement des Républiques de France, la séparation des pouvoirs, pour en dire ce que suit.

Est désormais repérable que ce principe censé dénouer, délier et répartir les lignes de pouvoir, ne semble dés l’origine avoir été inscrit dans notre Constitution qu’à l’unique fin, – en réalité ce n’en est que l’effet, mais lequel -, d’y mieux être cadenassé et ainsi faire de chacun de nous les témoins impuissants de son dévoiement annoncé.

Nous déballons seulement maintenant le présent d’alors et il s’offre à nous par le biais du dévoiement qui s’en présentifie à travers l’actualité du publivé et de son corollaire, l’avènement de la technidéologie. Non inscrite puisqu’innomée, non constitutionnalisée donc instituée.

Le dire permet de devenir acteur et tout rôle est porteur de force. Choisi ton camp camarade…

Prophéties : des chars sur la plage

Lorsque en 1981 François Mitterrand fut élu Président de la république j’étais alors à l’âge de de n’avoir pour la politique qu’une appétence se limitant à glaner ça et là les motivations des avis, des positions et des engagements tenus par celles et ceux auxquels mon quotidien m’accordait.

De cette époque un souvenir particulier et partagé, ce bruit colporté et devenant la rumeur dont le bruissement chatouilla la France entière, – les chars soviétiques allaient entrer dans Paris. Et pourquoi pas ? Souvenons-nous que de la même veine, au temps d’avant et d’un autre chœur « s’aint-jaculait » sous les pavés la plage.

Nous savons maintenant que jamais n’a pu se réaliser, ni chacun pour soi ni d’un camp à l’autre, la conjonction des rêves de jouissance lumineuse avec les prophéties les plus noires et que jamais chars rouges ne lézardèrent sur une plage de sable jaune de Saint-Germain-des-Prés.

De là tout de même cette évidence que de droite ou de gauche la connerie, c’est-à-dire l’assertion imaginaire personnelle faisant figure de savoir universelle, d’être sans limite n’a pas de borne et que son camp à elle fait son feu de tous nos bois.

Fraternité donc.

Restent Égalité et Liberté.

Égalité

Du discours au nom de la lettre :

Voici le mois de mai où les feuilles volent au vent… En 2007 en cette saison, en sus de ce fredon à chantonner, nous eûmes droit à un joli bois de paix. Le 16 mai 2007, dans le bois de Boulogne, Max Gallo et Nicolas Sarkozy prononcèrent chacun un discours d’un peu plus de 6 minutes.

Le premier évoqua la mémoire des 35 jeunes hommes assassinés par les forces d’occupation et leurs affiliés français dans la nuit du 16 au 17 août 1944, sur le lieu même de la cérémonie. Le deuxième s’adressa encore plus précisément à la jeunesse en s’appuyant sur la lettre que Guy Môcquet, adolescent de 17 ans, écrivit à ses parents le jour de son exécution le 22 octobre 1941.

Max Gallo, en quelques mots tout à fait remarquables, promut cette réalité que ces valeureux étaient issus des horizons les plus variés et que la richesse de la palette géographique, sociale, professionnelle (religieuse?) et politique qu’ils représentaient aura conditionné la nécessaire communion à laquelle ils nous permettent de prendre part, dans un engagement dont ils nous auront fait don.

Nicolas Sarkozy relève avec une grande justesse que leurs bourreaux sont les défaits de cet acte abject et que le cri de ceux là qui sont tombés en cette nuit d’éternité arrive jusqu’à nous comme une parole, faisant office d’un témoignage dont nous aurions à prendre le relais afin que de générations en générations se perpétue la valeur du dépassement de soi à l’endroit de la France.

Les mots et les idées de Max Gallo et de Nicolas Sarkozy étaient ce jour là beaux comme peuvent être belles les promesses de l’aube. Mais je voudrais pointer ici qu’ils étaient aussi et surtout unis et accordés d’être transfilés par un singulier trait commun. Voici lequel.

C’est en réalité une symphonie homophonique de noms et de non qui fut subtilement coordonnée dans les discours alternés et reliés des deux orateurs. Max gallo cita en effet un à un les noms des 35 héros alors qu’à sa suite Nicolas Sarkozy scanda les non de la résistance aux manquements nombreux qui appellent à la bassesse humaine, convoquant en creux le nom tutélaire de celui qui, de cet humanité, su en convoquer la présence puis en incarner la grandeur, le général De Gaulle.

C’est d’ailleurs par les mots de ce dernier que Max Gallo conclura son propos en posant que les morts, les assassinés du bois de Boulogne n’auront pas entendu la voix du général déclamer quelques jours plus tard un …Paris libéré par le peuple…. Dont ils sont à jamais.

Il peut se dire de cela que dans ces discours, la flamme de Guy Môcquet fut présentée comme alimentant le phare De Gaulle et que Nicolas Sarkozy s’y reporta avec l’intention de nous le présenter comme la source d’une lumière dont à son tour il éclairerait nos esprits à l’orée de son mandat. Au risque de nous aveugler. Nom par noms de non !

L’effacement du nom :

Mais point n’est besoin ni d’être mort au combat ni d’avoir un destin national pour transmettre la valeur du don de soi et, parlant de cela, l’Histoire est faite aussi de celles et ceux qui ont été pris avant d’avoir pu se donner.

Il y a quelques années, après avoir fait le constat que Guernica pouvait être supposé la toile la plus connue du XX ème siècle, de celles placées au croisement de l’engagement politique et de la notoriété de leur auteur, je réalisais qu’à la fin du même siècle et qu’au début du suivant une telle nomination pouvait n’être plus possible.

Je vous invite par exemple à essayer de trouver en Afghanistan le nom des lieus, villages et montagnes où les drones décimèrent par erreur en plusieurs occasions la foule d’invités qui participaient à un mariage… Les noms introuvables des lieus, des morts et de ceux qui à distance dirigèrent les drones, bref l’anonymat de ces infamies est la négation consommée de Guernica.

Mais nous le savons tous, Guernica n’a plus de nom. Mais nous le savons tous, Guernica n’existe plus. Mais nous le savons tous, Guernica existe toujours.

Et je soutiens que c’est à ce titre même, au point pivot que représente l’effacement des noms, qu’aura été estimé nécessaire l’oubli de ceux des enfants qui en France, en temps de paix civile, 2007 – 2012, 2013…, auront été extraits de leurs classes ou attendus à la sortie de leurs écoles maternelles ou primaires, collèges et lycées, par les forces de l’ordre.

Alors, avant de conclure, revenons un instant aux discours sus cités et à la volonté de faire lire la lettre de Guy Môcquet dans ces mêmes écoles. Évoquons d’une touche bien sûr le fait que transmettre un message personnel – dans toutes les acceptions du terme, c’est là qu’est l’os – à des enfants, jeunes et très jeunes, par le biais d’autres enfants morts dans des conditions atroces, est une aberration éducative, fatum névrotique qui en dit un brin sur ce qui anime ceux qui ont voulu la promouvoir.

Mais là n’est pas l’essentiel, qui se trouve plutôt dans l’orientation que recèle ce qui gît entre ce que nous avons appelé la symphonie homophonique, nom par noms de non, et l’effacement des noms.

Dans les conditions que nous décrivons, le vif du message mis sur orbite dans l’espace s’inscrivant entre les discours et les actes est que la mémoire ravivée du nom des uns appelle moins à alimenter la fonction du souvenir fécond qu’à normer l’effacement de celui des autres.

Égalité donc.

Reste liberté.

Liberté

I have a dream

Bien entendu ces deux discours adressés aux enfants ignoraient les enfants. Je me suis alors accordé en contrepoint cette liberté politique enfantine de rêver par eux. Voici ce rêve.

Nicolas Sarkozy inaugurait son initiative et lisait la lettre de Guy Môcquet. Les enfants étaient debout à coté de leurs chaises tandis qu’il continuait sa lecture, mot après mot, ligne après ligne, années après années. Lorsqu’il eut terminé, heureux du travail accomplit, tout plein du sentiment d’avoir contribué à l’éclosion d’adultes valeureux ayant intégré la bonne parole du mort, il levait enfin les yeux et son regard ne croisait que le vide absolu institué par l’absence des enfants, tous emportés manu militari sans qu’il ne s’en soit rendu compte du temps de ses bonnes intentions…

…pavés de l’enfer, comme chacun sait.

Une promesse tenue, nom et adresse :

J’ai évoqué précédemment les promesses de l’aube*. Dans son livre*, Romain Gary est plus subtile qu’un Président de la république sur le retour – avant même d’être parti. Il sait jouer du temps pour faire revivre, ne serait-ce qu’un instant, ne serait-ce qu’une souris. Et cela en toutes circonstances.

Au début des années 20, petit garçon en provenance de Moscou, il habitait provisoirement à Wilno en Pologne avec sa mère. Après que celle-ci, qui savait…, eut frappé d’un poing vengeur à toutes les portes de leur immeuble pour annoncer que plus tard son fils serait ambassadeur de France, il dû souffrir les moqueries et les rires de tous. Le sien compris. Il décrit alors comment dans la foulée il tenta de se pendre et comment il fut sauvé par un chat.

Dans les jours qui suivirent cet épisode il eut à faire à un voisin, discret petit homme-souris qui avait assisté à la scène promouvant la science maternelle, et qui se fendit, après moult circonvolutions tactiques, d’une demande oubliable que l’enfant su rendre éternelle :  » Les mères sentent ces choses-là…Et bien ! Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire… : au n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M.Piekielny… ».

Et Gary de décrire comment devenu adulte, de la reine d’Angleterre aux autres grands de la planète en passant par les millions de téléspectateurs des réseaux américains, il porta au monde la nouvelle qu’au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka

Il formulera la fin de ce chapitre dans un pur style Desprogien en portant à notre connaissance que lorsqu’il tint sa promesse, la petite sourit juive – dont le nom voulait dire infernal, tient, le retour des bonnes intentions – avait depuis longtemps fini sa vie dans les fours crématoires et que ses os avaient sans doute servit de savon à ses bourreaux.

Oui, le genre de détail qui permet de rester en éveil. Ou de bien dormir, c’est selon.

La demande de Monsieur Piekielny touche à l’éternité de n’avoir pas été oubliée, car il existe des mots qui raccordent les temps, à condition qu’il y ait des Hommes pour les transmettre et d’autres pour les accepter.

Du rêve à la réalité

Mais si elle n’est pas infinie, la liberté du rêveur est tout de même portée par la prolixité de son inconscient. Alors, après que ce premier rêve m’eut réveillé, je me suis à nouveau endormi et en ai produit un autre.

« Le bois de Boulogne, au lieu où Max Gallo et Nicolas Sarkozy avaient lu leurs discours, là où les 35 jeunes hommes avaient été assassinés, se trouvait dans la cour du palais de l’Élysée. Le perron était démesurément grand. Le porte parole du gouvernement faisait une déclaration. Ce porte parole était des centaines, des milliers, des millions, une infinité d’enfants qui récitaient de mémoire, inconnue, par cœur, vidé, les adresses et les noms de ceux des leurs extraits des écoles. »

Ombres hurlantes auxquelles ne viendra jamais à l’idée de dire à qui que ce soit qu’au palais de l’Elysée, à Paris, habitait…

Ombres muettes et tues à jamais, car dans la réalité Patrick Buisson n’est pas Romain Gary et Nicolas Sarkozy n’est pas la reine d’Angleterre.

Alors, ce tableau, Au revoir les enfants.

Liberté donc.

Qu’en reste-t-il ?

LE SYMBOLIQUE

Bleu blanc rouge

Ou

En découdre

La liberté qu’en reste-t-il ?

Mettons comme préambule à toute réponse que de quelque reste que ce soit il s’agisse de savoir comment l’on s’en débrouille et ce que l’on en fait. Soit un déchet à évacuer, soit le socle des possibles.

L’alternative, le ou bien, la question du choix, n’est pas autre que celle de l’engagement dont il s’agirait tout d’abord que chacun s’accorde capacité, puis s’oblige ensuite à la condition sine qua non de le définir par soi-même, pour seulement alors pouvoir possiblement s’en prévaloir. Mouvement princeps duquel je ne me défilerai pas.

Donc, je défini l’engagement pour la liberté d’être le lien qui se tisse entre, primo, ce qui de liberté en reste de matière après qu’elle eut été ébouillie au contact de la moindre réalité, deuzio, ce qui surgira du statut de socle que par choix l’on accorde à ce reste et, tertio, l’obédience faite à ce choix.

D’où peut se dire que je situe le rapport à la liberté plus proche du genou fléchi que du menton bravache.

Au revoir les enfants est un tableau en bleu en blanc et en rouge peint de bleus de blancs et de rouges. Deux séries donc, ce qui préfigure le minimum nécessaire, un certain couple, pour qu’apparaisse le symbole.

LE SYMBOLE

La proportion Ou du tricotage

Quelle est la fonction d’un drapeau ? Représenter.

Le drapeau français représente l’emblème national de la République française. Il symbolise aussi le gré des circonstances qui ont déterminé les éléments qui le composent. De dates en évènements et de lieus en personnes il prend corps et bat la mesure donnant sa proportion à tout ce que l’on entend lui faire ceindre.

Si de sa taille, de ses couleurs ou de son motif se lit et s’embrasse l’histoire de la nation française il faut encore avancer cette évidence qu’il ne représente pas tout et que, de cet impossible, ce qu’il véhicule est également la figuration du choix.

Le drapeau est l’une des insignes du choix. Glissons ici que selon les circonstances et le choix qui est fait à leur sujet, les enfants, qu’ils demeurent ou soient extraits, sont symboles, c’est-à-dire qu’ils font reste.

Or, si l’engagement, comme je le suggère à propos de la liberté, se défini à partir du reste et que, nous venons de le voir à propos des enfants, en bout de chaîne symbolique, du reste ce reste en produit, est-il possible d’envisager d’un autre œil ce mouvement de chaîne qui se présente le plus souvent comme le cycle sans fin d’une répétition symbolique subie ?

Autrement dit, même si contrevenir à cet état de fait n’est pas ici la question, – de n’être pas envisageable et là encore c’est une autre question -, peut-être gagnerions-nous à serrer de plus près, ne serait-ce que par le biais d’un exemple, l’une des conditions sine qua non à ce que le reste fasse symbole et pour le dire plus précisément encore, à ce que le symbole soit une production.

Procédons alors a contrario et considérons pour cela que le devenir de la figure de ce qui n’a pas été retenu, de ce qui ne prévaudra pas, de l’absence en l’occurrence, peut être illustré par le traitement exemplaire qu’en fait un principe particulier. Principe dont il est important de noter qu’il n’avait pas encore été nommé lorsque la symbolique du drapeau tricolore fut définie.

La laïcité donc, puisque c’est elle que j’avance ici, est le parfait exemple du principe retenu, choisi, appliqué et qui pour autant peut se définir d’aménager la présence, des religion, dont aucune, à titre d’exclusif ou même seulement de prévalence, n’aura été placée au centre du système, et dont l’absence, de ce centre, en est le moteur.

Parlant d’espace, de centre et d’excentre, de la même manière le jeu se fait aussi sur le plan temporel. Ainsi, c’est de cette espace aménagé, pour elle dans le cadre constitutionnel, mais lui préexistant par ailleurs, que la laïcité a pu s’intégrer postérieurement aux valeurs sises dés l’origine au creux de la bannière tricolore.

Alors, si comme nous l’avons vu, le symbole est le représentant du couple présence/absence, en complément, l’une de ses clés est aussi de pouvoir, comme représentant, s’insérer autant à rebours – la laïcité par rapport au drapeau tricolore -, qu’en anticipation – la technidéologie par rapport à la Constitution.

Cela nous désigne maintenant qu’en dehors d’être le fruit d’une production, le symbole, de cette production, en est la condition. Nous reviendrons à cela ultérieurement, sous peu par le biais d’une certaine production agricole, celle de la pomme fruit du péché. (Cf. page15)

Nous venons donc de voir que le choix, l’acquis par conquis, des représentations supportées par le drapeau français, l’engagement dont se gramme son ombre portée, est le produit d’un tricotage, celui du couple absence / présence dont nous allons maintenant suivre la maille.

La décoction ou du maillage :

Que ce que le symbole représente ait une portée différente suivant les circonstances importe moins qu’il soit l’expression absolue de La circonstance et que cela origine l’expression de sa labilité. Ou, pour exprimer cela a contrario, son impossibilité d’être invariant. Si ce n’est donc en ce point : ne pouvoir être univoque par rapport à ce qu’il représente.

Le symbole ne peut être univoque, en aucun cas. Tout le monde le sait et du coup autant, ou pas loin, se plaisent à l’ignorer. C’est là la définition du symbole, sa valeur absolue. Golem bivalent issu du couple absence présence il n’apparaît, il ne peut être, que de et par l’absence de ce dont il est le représentant. L’absence est consubstantielle et radicalement conditionnelle à sa présence et c’est de cette cisaille à lui-même que s’origine le pluriel incompressible et irréductible de son unité.

Pour ce qui nous intéresse illustrons et prolongeons ces rappels ultras classiques en tirant sur l’une des mailles du rouge du drapeau tricolore, celle de la Commune, en rapportant le sort qui lui est fait dans l’ouvrage collectif dirigé par Pierre Nora Les lieux de la mémoire.

Au chapitre des symboles de la République Raoul Girardet a écrit un très bel article intitulé Les trois couleursNi blanc ni rouge. Il y évoque entre autres les diverses symboliques du rouge en écrivant notamment que « … elle (la IIIème République) est née aussi d’une victoire plus dure et plus sanglante remportée sur un autre emblème, le drapeau rouge de la Commune. Signal traditionnellement brandi face à l’émeute par les forces de l’ordre, l’emblème, par un paradoxal renversement des symboles, était apparu comme l’appel à une seconde révolution, sur les barricades parisiennes, lors de la grande poussée insurrectionnelle de juin 1832″ .

De ce rouge est pointée ensuite la variabilité de sa tonalité, à travers la reprise de cette citation de Victor Hugo qui, dans Les Misérables, décrit  » le drapeau flottant au dessus de la barricade de la rue de la Chanvrerie, éclairé par une énorme lanterne rouge, ajoutant à l’écarlate du drapeau je ne sais quel pourpre sinistre », mais encore une butée, par le devenir de cette République rouge qui échouera contre la République tricolore.

Au milieu de tout cela il s’agit de ne surtout pas laisser passer cette appréciation, par un paradoxal renversement des symboles, qui de son paradoxal désigne de la plus précise des façons combien profondément, même pour ceux qui en connaissent pourtant un rayon sur ses destinées habituelles, le symbole représente avant tout, toujours et encore, le fol espoir non apuré d’une correspondance définitive à un fil liant un signifiant à un signifié.

Et bien non, il n’y a pas de sens commun autre qu’imaginé et in fine nul autre que le rêveur ne pourra dire – le pourra-t il jamais ? – ce que le rouge de son rêve représente, pour lui. Alors, pour faire contrepoint à ce paradoxal si représentatif…, avançons que structurellement, au réveil, le rouge reprendra tous les possibles de ses sens, sans que ni leurs juxtapositions ni leurs alternances n’aient rien de paradoxal. Gageons, engageons même, que les sens, harassés d’être par nous arasés, enfin retourneront au signe.

Il y a à ce sujet, au milieu des nombreux bons mots qui jalonnent le livre de Freud Le Witz et sa relation à l’inconscient, une historiette qui s’y niche et qui pourra nous livrer quelques pistes pour nous éclairer sur l’orientation à donner à cette question du symbole et de la représentation.

La concoction ou du bailliage

La légende veut qu’il y ait un début à tout. Alors si au commencement était le Verbe c’était bien surtout pour acter que, de ce Commencement, c’est lui qui maintenant prend la majuscule, il s’agissait de pouvoir en avoir la représentation. Il fallait alors en définir l’outil. Cet outil serait le Verbe, dont le signifiant est le symbole.

Le signifiant permet de marquer le début de la représentation. Mais il marque aussi la fin de la chose, laquelle d’être désormais représentée devient dispensable. Le mot, le signifiant est symbole, articulation entre ce qu’il représente et par la même l’absence radicale de ce à quoi il se substitut. Il encoche ainsi la mort de ce qu’il représente et, plus précisément encore, cela nous désigne que cette mort, il la supporte et la véhicule dans la moindre de nos symbolisation, dans le continuum de nos parole et qu’ainsi, Au Commencement était la Fin… *

Ceci étant posé, du rouge encore il va être question dans ce petit livre intense, Le Witz et sa relation à l’inconscient, où Freud rapporte ce mot d’esprit cité par le docteur Josef Ungerer.

« on attirait un jour l’attention de M. N… sur un auteur connu par une série d’articles vraiment fastidieux, parus dans un journal viennois. Ces articles traitent tous d’épisodes relatifs aux rapports de Napoléon 1er avec l’Autriche. Cet auteur est roux. Dès qu’il eut entendu ce nom, M. N… s’écria : « N’est-ce pas ce rouge Fadian (filandreux poil de carotte) qui s’étire à travers toute l’histoire des Napoléonides 9 ? »…».

Freud décrypte ici la notion de condensation qui fait qu’un signifiant puisse rendre un tout désigné par plusieurs éléments séparés, en s’appuyant sur une partie commune, en sens en son ou en signe, à chacun d’eux, tout en renvoyant à un élément tiers décisif auquel aucun de ces éléments seul ne pourrait donner accès. La partie prise pour un tout.

En l’occurrence et sans rentrer dans les détails le mot d’esprit qu’il nous présente s’appuie primo sur la couleur, rousse, des cheveux de l’auteur médiocre désigné, deuzio sur le rappel de la métaphore utilisée dans Les affinités électives de Goethe, à propos de la caractéristique du cordage de la marine anglaise qui a pour caractéristique d’être transfilé d’un fil rouge pour qu’en cas de vol on puisse le reconnaître et tertio sur les aventures de Napoléon relatées en longueur sans fin par le même auteur.

La convocation de ces différents éléments et le nouage de leurs liens sont possibles par le fait qu’en allemand faden signifie fil et que fad signifie fade. Ainsi, les deux mots, rote fadian, permettent-ils à l’auteur de ce mot d’esprit de contracter des données éparses en apparence avant que, de la reconnaissance de leur point de communion, n’advienne une diffraction permettant à l’auditeur d’avoir accès à un maniement du sens – jusqu’au non-sens – qu’aucun des éléments évoqués n’aurait pu dispenser seul.

Alors voici le ceci qu’il nous faut bien entendre de ce cela. Ce qui doit retenir notre attention n’est pas tant que le symbole signifie quelque chose, au sens de faire sens, mais que, par l’exemple du mot d’esprit il se démontre que de «sens» il n’a de cesse que celui de nous en désigner la vanité pour en fin, simplement nous faire signe. Toujours signifiant il signe-ifie alors qu’il nous oriente par ses lois propres, lois dont nous sommes, hors les champs maîtrisés de la grammaire, également mais d’une astreinte à la portée toute autre, les sujets.

Puisqu’il en est ainsi et que je suis astreint à ma liberté, je retrouve mon fil rouge à moi, sous l’égide duquel je développe ces quelques termes, et en reviens au titre du bailliage faisant chapeau au présent chapitre, pour maintenant le clore et digérer un temps l’aire du signifiant.

Nous venons effectivement de terminer notre petite tambouille, décoction – concoction, et le symbole, qui en était l’aliment principal, aura été tout du long bien tarabusté aussi bien qu’il nous aura chahutés.

D’abord insigne du choix et tout autant représentant de l’absence, il en vient à se parer d’être le signifiant qui nous défie du sens général pour nous mener au signe du particulier. Et à un signe en particulier, celui par lequel peut se soutenir qu’orienté par les lois du symbolique, soit du signifiant, un sujet, parfois, survient.

Ce qui l’amène ce sujet, bailli délégué par le signifiant roi, à avancer les limites auxquelles, venant à apparaître, Je viens se heurter, assujetti.

Ce heurt est signe particulier.

*Au Verbe est le Commencement de la Fin.  » Malaise dans la civilisation » disiez-vous ?

LE RÉEL

Murs, murs…

Parlant de heurts et de limites il conviendrait maintenant de remercier ceux qui auront eu la patience et fourni les efforts nécessaires pour avoir suivi jusqu’ici les cheminements proposés. Mais si, comme annoncé, le parcours fut sinon ardu du moins surprenant, nous savons bien que rarement les convenances permettent de frayer voies nouvelles. Mais encore, si le risque ne se prend guère à ces convenances d’y contrevenir, c’est que s’imagine comme un réflexe qu’à s’affranchir du convenu déconvenue s’en étaierait.

Voyons alors où nous mènerons les déconvenues du sans merci, du sans merci mais du sans pitié, du sans quartier mais du détaillé.

Parlant de limites, de murs et de murmures,…

Droits de cités :

Il y a 20 ans de cela, encore jeune homme, lors d’un Weekend passé en Bretagne dans la maison du père d’une amie. Celui-ci me demanda de lui écrire un petit topo expliquant le pourquoi de ma lecture d’alors. Il faut dire que le groupe avec lequel je me trouvais dans sa demeure n’était pas, loin s’en faut, constitué d’intellectuels et ce vieil homme fut sans doute interpellé par le fait de me voir lire le Schibboleth de Derrida le soir au coin du feu.

Il était psychiatre et si sa fille me disait le trouver trop intrusif je me fendais tout de même d’un texte dont je vais essayer de rapporter ici l’une des trames dans une présentation différente de celle que je lui fis alors. Un sans merci puisqu’un combat à mort.

Il s’agit de celui que se livrèrent les trois Horaces et les trois Curiaces et je vous propose d’en entendre un écho inédit dans les cris de la foule qui y assista. Une foule de deux bords, divisée, peuple d’Albe et celui de Rome, que nous imaginons l’un à droite et l’autre à gauche, de part et d’autre sans doute du lieu du combat. La foule de toujours, hideuse et vociférante, dont nous allons reconnaître l’expression contingentée en suivant sa voix.

VOIX

Voix : Égalité et cris à l’unisson

Les camps portent leurs héros fêtés comme des rois.

Juste avant le combat, comme à son commencement,

Les poussant du tréfonds des accords de leurs voix.

Conjoints d’intensité, des cris des hurlements.

Une clameur de vie qui appelle la mort,

Une tessiture de mort qui en veut à la vie.

Voix : Les uns plus forts

Fin du premier assaut deux Horaces sont tués,

L’espoir du camp de Rome est réduit à néant,

Les bouches taisent la douleur que les gorges contiennent.

Les trois Curiaces blessés se dressent toujours allant,

Et la joie des Albains déborde le silence des pleurs ennemis.

Voix : Les deux tus.

Cela dure un instant mais plus de temps que tout.

L’Horace encore en vie sans honneur et larron,

Fuyant une mort digne tente de s’échapper.

Cela dure un instant mais plus de temps que tout,

Et à la vue de quoi, la foule divisée,

S’unit dans un silence de grande sidération.

Voix : Les deux crient.

D’union par le silence les deux camps en arrivent

Aux lazzis qui relient par delà les frontons.

Qu’importe la couleur, et de droite et de gauche,

Se hue le déshonneur, la fierté outragée.

Les cris vils qui le raillent et ceux qui le honnissent

Parlent plus fort encore,

Portés par le silence qui les a précédés.

.

Voix : Les deux tus.

Mais le lâche s’arrête et vivement s’en retourne.

Coupant net de la foule les agonies d’injures,

Le silence à nouveaux vient s’étendre sous ses pas

Qui un à un l’amènent vers ses futures proies.

Tout le monde a saisit la portée de son choix,

Faire semblant de fuir pour séparer les trois.

Voix : Les deux unis.

Alors sur une seconde, comprenant sa tactique,

Les spectateurs l’admire et hurle à son endroit,

Mais l’enjeu est bien là et reprenant ses droits

Les cris sont séparés au moment où s’invitent

Un espoir qui renaît, un autre qui se broie.

Voix : L’un plus fort.

L’Horace à donc vaincu, les trois Curiaces sont morts,

Et Rome s’en va fêtant son héros audacieux,

Lequel a peine rentré dans la grande cité,

Tue une fois encore, sa sœur éplorée.

Elle avait dû souffrir la mort de son aimé,

Par la lame de son frère mortellement transpercé.

Outré qu’elle eut versé un flot de larmes acides,

La fit taire à jamais, c’est un sororicide.

Voix : Une plus forte.

Au sein de la cité ce crime est ressenti

Comme une tache immonde qu’il faudra expier.

Publius Horatius est condamné à mort,

La loi est confortée, elle s’applique au plus fort.

Mais bien plus forte encore elle pourra s’étayer,

Asseyant sa puissance de lui laisser la vie.

La foule, muette hurlante dont les voix éparses godillent au gré de leurs intérêts supposés et du sort qui par rapport à eux pour elles se profile. Voilà une histoire où des frères tuent des frères quand un mur les sépare. Ils ne sont pas de la même cité et ce n’est donc pas un fratricide. Mais si l’un des frères tue sa sœur, ils sont du même mur c’est un sororicide.

Publius Horatius préserve donc une première fois les murs et donc la loi de la cité en gagnant le combat, évitant ainsi qu’une main étrangère y vienne inscrire ses lettres. Mais surtout, il la soutient une seconde fois de toute la portée de son ombre héroïque puisque, garant d’avoir pour elle risqué sa vie, après son crime il n’en demeure pas moins, et de fait plus encore, meilleur caution alors de devoir s’y soumettre.

Une première allégeance à la loi en partant au combat et une deuxième par la réalité de sa condamnation à mort. Deux soumissions dressant chacune son demi cercle, sa demie part des murailles de la cité. Et, pour donner le ton du jeu qui se pratique entre ces murs, en conclusion, il sera gracié mais passera sous le joug.

Comme nous venons de voir comment se préserve les murs voyons maintenant, de passe-muraille à Schibboleth, comme ils se traverse.

Droits dans le mur :

De Passe-Muraille… :

Parlons maintenant à partir de Passe-Muraille, Garou-Garou, enfin bref, de l’excellent homme nommé Dutilleul. Si comme lui vous souffrez d’un durcissement hélicoïdal de la paroi strangulaire du corps thyroïde vous souffrez aussi d’endosser cette capacité extrêmement rare de pouvoir passer à travers les murs.

Comme lui encore, si vous allez consulter votre médecin traitant, celui-ci vous prescrira invariablement ce que tout bon praticien, après avoir lu Marcel Aymé, couche sur la feuille d’ordonnance de son patient dans ce cas là, à raison de deux sachets par an, l’absorption de poudre de pirette tétravalente, mélange de farine de riz et d’hormone de centaure. C’est dit.

Entre l’auteur et son héros, posons cela à grands traits, il y a une analogie nous désignant un sujet qui ne pouvait que retenir notre attention. Voyons laquelle, voyons lequel.

Aymé et Dutilleul ont cela en commun d’être des pécheurs. A la lecture de Passe-Muraille l’on est frappé par le fait qu’au cours de ce qui se narre des ses aventures, Dutilleul, petit homme discret, employé de troisième classe au ministère des enregistrements, portant une barbiche noire et un lorgnon à chaînette, que l’excellent Dutilleul donc n’en contrevienne pas moins aux 7 péchés capitaux.

Le petit homme est tout d’abord respectueux de l’autorité, de la hiérarchie et de la loi, puis, lorsque sa qualité de passe-muraille fait sa jouissance, il se met à transgresser les ordonnances bibliques. Ni plus ni moins.

Aymé quant à lui, cela ne sera pas rapporté ici dans les détails et chacun pourra se référer à telle ou telle de ses biographies, aura commis le péché des péchés, depuis la place qu’il tenait et à l’époque qui était la sienne. Celui de ne pas avoir crié Au loup ni à l’encontre de Brasillach ni à l’encontre de Céline et il fut de ce fait estampillé collabo.

Relevons simplement que les deux hommes étaient ses amis et que par ailleurs Aymé avait fait ses preuves, écrites, en matière de prise de position non amicale à l’endroit de l’envahisseur allemand. Mais qu’importe, pécheur donc !

Pour en revenir à Dutilleul et à sa qualité, en fait quelle était-elle ? Pour en revenir à Aymé et à son spécifique, en fait quel était-il ? Dutilleul traverse les murs quand Aymé traverse la langue.

Le corps de Dutilleul a aussi peu de poids que son existence n’en a. Et lorsque son chef veut changer la formule par laquelle depuis 20 ans il commence ses missives, son ire, tout d’abord contenue, vient vite donner masse et matière, pécheresse, à l’absence à soi qui semblait si bien le définir. Disons la chose le plus précisément possible, désormais son verbe porte.

Il porte et diffuse la rumeur jusqu’au moment où celle-ci de collective se fait singulière par le biais d’un amour consommé. Cela se soldera par le fait qu’il n’y aura pour lui, comme pour quiconque d’ailleurs, qu’un pas, fatal, de l’amour au mur. Dutilleul sera désormais prisonnier de son mur, du mur de la cité.

Lequel mur se défini de ne s’ériger qu’à la condition que chacun, mot après mot, là où se dit habituellement pierre après pierre, vienne y faire dépôt, sacrifice, reste de l’en propre de son langage, son désir, afin de laisser toute sa place à la langue commune, à la loi…

Aymé, lui, non content de traverser les murs découpe aussi le temps comme l’indiquent par exemple les autres nouvelles de son livre. La postérité retient également de lui cette appétence qu’il avait d’user des langues, argot, langage châtié, patois, etc. et d’ainsi, justement, pouvoir traverser les murs sociaux de la cité. Au prix bien évidemment d’avoir été un politiquement inclassable, aux yeux de ses contemporains. Rumeur, rue – mur, murmure, immurable …

Et maintenant, pour en arriver au sujet que nous disions découler de leur point d’équivalence, la densité du signifiant, et bien ce sujet, qui est-il d’autre que ce que le tamis du signifiant par sa porosité laisse passer toujours et reconnaitre parfois.

Un reste donc, encore. La réponse ici peut-être frustrante car disant autant qu’elle n’est pas livrée. Elle reste en partie à venir et nous ferons signe à sa venue, proche. (cf. Schibboleth)

En attendant cela et avant de franchir le pas suivant, histoire de nous mettre en appétit, revenons d’un mot sur ce que nous avons mis en suspend au sujet du symbole et de la production d’un arbre fruitier particulier. (Cf. page 9)

A propos du mur, de la loi, du signifiant et du péché, parlant de porosité, qu’un discours puisse-t-être discordant à lui-même n’est pas sans évoquer pour chacun d’entre nous bien des horizons déjà parcourus dont la réponse, ligne commune, in fine, demeure l’appel à la résolution ,la foi en la résorption une et universelle.

Du discours il s’agirait alors d’en résoudre la discorde dont la pomme ne se donne, s’accorde et n’harmonise, qu’à la condition d’apparaître comme nœud gordien ne pouvant que par Dieu être tranché. Non pas de Sa main, mais de Son Nom, Seul habilité à, du discours, en maintenir la gîte, à Cause, la Sienne, d’en résoudre, à le recoudre, l’abîme.

Ainsi la pomme fruit du péché, non point qu’elle l’appelle, mais d’en être la production, le reste

à Schibboleth :

Le Livre des juges relate comment les Giléadites après avoir défait les Ephraïmites mirent au point un indépassable sésame pour reconnaître ceux-là de leurs ennemis qui tentaient de s’échapper en traversant le fleuve Jourdain. Ils demandaient à ceux qui venaient à eux de dire le mot Schibboleth.

Alors, immanquablement, ceux d’Ephraïm écorchaient le mot en prononçant  » Sibboleth », rendant ainsi la sentence de leur propre mort. Les Giléadites les égorgeaient alors sur les berges du fleuve, l’instant d’avant encore lieu d’un espoir de frontière pour la liberté, devenu, d’un son, l’indépassable de la mort.

Il y a eu d’autres Schibboleth. Je retiens celui-ci, plus près de nous, 1937, et déjà oublié, qui eut lieu à la frontière de Saint-Domingue et d’Haïti. Il s’agissait de contrevenir aux déprédations des Haïtiens dénoncées par les Dominicains. Les chiffres des Haïtiens tués oscillent entre 15000 et 30000.

Si l’on égorgeait vraisemblablement au couteau sur les rives du Jourdain, les Dominicains, sans doute frères de sang des Rwandais, firent commerce de la machette pour découper les corps de ceux auxquels était présentée une botte de persil et qui devaient alors prononcer ce mot. L’impossibilité pour les Haïtiens de prononcer le « r » les dénonçait alors à leurs bourreaux.

Il y aurait tant et tant à relater sur l’historique de cet épisode et tant à dire sur ses effets encore actuellement. Il faut pourtant sérier et aller directement dans la direction de ce que peuvent nous livrer les confins de l’abjection.

Citons pour ce faire cette phrase extraite du discours prononcé dès les premiers jours du massacre par le président de Saint-Domingue, Trujillo. A Dajabon, ville frontière dont le pont avait été coupé pour empêcher la fuite des Haïtiens, il eut ses mots : « Depuis quelques mois j’ai voyagé et traversé la frontière dans tous les sens des mots.« .

Convenez qu’après les péripéties contées des Ephraïmites pour traverser le Jourdain, des Horaces pour maintenir les murs de la cité, de Dutilleul pour traverser les murs de l’amour et de Marcel Aymé pour traverser ceux de la langue, les mots du tyran viennent à point pour ponctuer ce qu’il en est de la traversée du corps par le langage.

Nous est en effet pointé ici,  » J’ai…traversé la frontière dans tous les sens des mots… », que ce que livre l’au-delà du sens, frontière des frontières maintenant dépassée, est un signe inouï qui a prise sur le corps.

Ce signe fait du corps le lieu du sans quartier ou, mieux encore, sans que cela ne soit antinomique, le lieu du corps mis en quartier.

La ligne qui dans la réalité coupe le corps, à coup de couteaux ou de machettes (Marsyas), figure celle où dans le langage se représente le lieu où un signe particulier tour à tour surgit, rêvé, et s’évanouit, réalisé. .

Le moment est venu ici de livrer ce qui restait de réponse à fournir à propos de ce sujet que nous disions advenir du fait d’un point d’équivalence entre Dutilleul et Aymé, la densité du signifiant et que nous n’avions pas mieux définie alors d’être ce que le tamis du signifiant par sa porosité laisse passer toujours et reconnaître parfois.

Schibboleth des Schibboleths, produit des effets de la découpe du langage sur le corps, jet d’un su que par passion il choisit d’ignorer, il est le su-jet qui toujours s’excentre et qui, de la distance supportée qu’il est à lui-même, marque le signe qu’au-delà du sens, il supporte l’irrémédiable.

Irrémédiable venant ici faire résonance à ce que Trujillo avait qualifié sa méthode de « remède ».

L’irrémédiable, inéluctable remède du diable donc, ligne qui*, (- à la différence de ce que nous avancions à propos de la pomme corps du péché, originel comme il se doit, non pas de le produire mais d’en être, du péché, la production, le reste -), fait du corps le lieu de l’errance du signe.

Production d’une béance sans origine sans fin et sans remède…

…Si ce n’est, ce corps, non pas de l’accompagner à supporter d’être traversé par le langage, mais de, par le biais d’un certain discours – toujours écrit à la hache -, du langage l’expulser.

Du reste à la peste.

Au revoir les enfants, donc…!

A l’heur de conclure

Un certain discours disions-nous, irrémédiable, qui ne fait pas de reste du corps qu’il traite, mais ce corps, du langage, l’expulse et le dé-nomme.

Un certain discours qui ne semble jamais pouvoir ni se concevoir ni se saisir lui-même sans passer par la croyance de devoir faire poindre à l’horizon les figures les pires de l’autre, nécessaires à sa production. Celles des peuples cataclysmiques et fantasmés de Jérôme Bosch flottant dans une soupe toujours servie à point nommé. Elle s’assaisonne encore, cette soupe, des infatuations du savoir politique et de ses cours basses qui s’échinent à en réchauffer les vanités.

Incertain discours du savoir politique faisant le lien avec l’impuissance du pouvoir, que nous posions à l’heure d’ouvrir ce texte, impuissance qui se repait sans cesse des apories de son savoir. Feignons de n’y rien voir d’universel à ces apories du savoir et, en matière d’universel, contentons-nous d’en relever la diffusion au lieu du politique.

Un discours certain est lui apparu dans le champ du politique, qui du politique prétend en résoudre le discours. Au royaume des aveugles les borgnes sont rois* (Baudrillard) et, là où Œdipe n’eut que l’énigme du sphinx à résoudre, le Front National, parti de toutes les certitudes, se propose de les résoudre toutes. Dans ce registre, lui qui n’était qu’un détail sur l’échiquier politique français a pu abolir d’un mot, détail, l’une des horreurs majeures du XXème siècle. Mais dans le même temps et depuis plusieurs décennies il s’agit de repérer cette bascule par laquelle se manifeste désormais que le Front National est lui-même devenu une énigme à résoudre pour les autres partis politiques.

Un indice courre, certain, qui nous révèle pourtant que ce discours énigmatique, qui s’assoit de se fermer aux autres et se renforce de cette fermeture, que ce discours de résolution affichée donc, est lui-même évidemment appendu à une énigme qui le structure. Une énigme dont la suture, pour patente qu’elle soit, n’a avant tout comme effet – et donc en réalité comme but – de ne jamais permettre, en tous cas jusqu’ici, à quiconque de revenir à l’énigme qui la conditionne.

Indice disions-nous. Jean-Marie Le Pen, chantre du détail, affirma un jour faire sienne la parole biblique disant qu’il préférait ses voisins aux habitants du village d’à coté, ses cousins à ses voisins et ses frères à ses cousins. Sans doute s’arrêtât-il là dans son énumération et s’abstint-il de la pousser d’un cran.

Chose que fit Saint-Just, lui, à l’heure de la révolution française. Au moment de débattre de la Fraternité dans une joute idéologique ayant pour enjeu l’autonomie individuelle, il porta des textes magnifiant la Fraternité amicale, celle qui devait contester les valeurs d’indépendance de la Liberté et de l’Égalité et déconsidérer le projet d’autonomie individuelle. Mais, et c’est ici ce qui nous intéresse, c’est le pas en plus ponctuant la marche indiquée par la déclaration de Jean-Marie Le Pen, il commit aussi des écrits justifiant l’inceste par la sécurité de la proximité et l’horreur d’épouser une étrangère.

Il faut toujours avoir à l’esprit que contrairement à ce qui s’en véhicule habituellement, l’énigme du sphinx résolue par Œdipe n’est pas la solution qui clôt le problème figurant La solution résolvant tous les problèmes. Elle mena au contraire Œdipe dans le lit de sa mère avec comme conséquences immédiates la peste – brune blonde – qui se répandit sur le royaume et le sort, scellé, que l’on connait, pour son roi.

Au regard de quoi, répétons-le, le Front National, qui a , dixit, « commencé par dire tout haut » – image du champ du conscient – « ce que tout le monde pensait tout bas » – figuration de l’inconscient – avance pied à pied tout entier ceint par la croyance d’avoir à son tour résolu l’énigme et de porter ainsi haut le drapeau du point d’exclamation final.

Pourtant, qui ne le voit, seuls les aveugles sans doute, le final de ce discours est supporté par la méconnaissance fondamentale, voir nécessaire que voici. L’énigme du sphinx – « Qui marche à quatre pattes le matin, sur deux à midi et sur trois le soir? » – désigne l’essence de l’être parlant qui n’a de résolution du langage que par le langage, qui ne peut répondre à l’impossible stabilité du sens que par un sens autre, jusqu’au royaume de l’indécence.

Autrement dit, les ambiguïtés ponctuelles de langage de Jean-Marie Le Pen, qui assaisonnent de toujours son discours et lui donnent son véritable goût, sont l’énigme, publique, de sa fille. Elle la résoudrait, dit-on, en arasant, en écrêtant, en polissant le verbe de son père.

Erreur fatale d’appréciation. Comme Œdipe, d’y répondre elle y participe et sa geste la mène au même destin que lui, destin non pas couru d’avance mais effectif déjà et ne proposant comme alternative que d’être dévoilé, ou non.

A ne pas l’être le discours se diffuse. A l’Être, il se divise.

Inceste donc puisque Marion* Le Pen couche littéralement avec la parole de son père et de ce fait, le Front National n’est pas seulement constitué par la cohorte de ses adhérents, mais de l’entièreté de ceux qui démontrent se vouer corps et âmes à ce qui fait cause à leurs passions, ne rien en vouloir savoir.

Sans aucun doute d’y être eux-mêmes intéressés.

* Prénom de naissance de l’actuelle présidente du parti de droite extrême.

JTF, Paris, Die mai – septembre 2014