Le style c’est ce qui reste quand tout commence

icone PDF

 

Texte Pdf.

Ou L’art du contrestyle


 » Ya running and ya running and ya running away.

But ya can’t run away from yourself « 

Bob Marley

 

 Il y a quelques années de cela je proposais une nouvelle rubrique, « A demain (fermé le WE) » , sur mon site internet. Il s’agissait de petites brèves qui suivaient la ligne de ma pensée au fil des jours. Elles touchaient ainsi à une large palette avec cette limite voulue de ne pas coller à l’actualité, limite particulièrement non respectée en temps d’échéances politiques. Elle devaient également obéir à la contrainte technique édictée par le concepteur du site de ne pas dépasser 900 caractères.

Ce fut une immersion épistolaire quotidienne dans ce que l’on qualifie d’être « un exercice de style« . L’expérience confirma en cette occurrence que le style ne se résumait ni à la maîtrise des contraintes ni à l’exaltation des libertés ni encore à la simple effectivité du texte rendu. Et c’est ainsi, redistribution rétrospective, que je considérais bienvenu d’ouvrir le bal en plaçant la brève suivante, « Le style c’est ce qui reste quand tout commence ». Nous étions en 2011.

Identiquité:

Nous sommes aujourd’hui en 2016. Je me suis rendu il y a peu à un colloque ayant pour sujet « Le style, l’artiste, le psychanalyste ». Je n’ai assisté qu’aux interventions de l’après-midi, qui furent suffisamment riches pour stimuler l’écriture du présent texte sur un fil tressé par les trois termes de l’intitulé, lesquels désignent mon allant de tous les jours. Pour autant, s’il y a loin du narcissisme à l’identité la distance de l’un à l’autre est moindre que celle qui sépare l’identité de l’identiquité.

J’avais placé ce néologisme comme ressort de l’une des fameuses brèves. Il y était question des injonctions nouvelles apparues sur les photomatons pour accompagner la prise de photos d’identité des documents administratifs. Je relevais alors que tout allait dans le sens d’arraser les particularités du sujet de la photo, pour quelqu’expression de son visage que ce soit, afin de rendre à chacun, au regard des agents officiels qui auraient à évaluer son image, le masque rêvé de son identité.

Mon propos marquait que cette identité comportementalisée, c’est à dire décrétée et typifiée, ne faisait qu’entériner le phantasme répondant à l’impossible d’une rime interne qui permettrait à l’identité de se définir de l’identique à soi-même. Si ce n’est ici la figure d’un metipsemus, un moi plus moi que moi, celle d’une identiquité, soit la fonction d’une identité « adhésive », sans possibilité de rupture à elle-même. Ce qui d’ainsi être définie pousse à se pencher sur la tonalité qu’elle instille.

Partons de ce dernier terme. Il y a peu d’instille à distille, de l’introduction à la séparation. Peu mais un petit quelque chose que je ne résume pas à la direction du vecteur, mais, ici, à une homophonie, laquelle livre (1) au rythme de l' »à bon entendeur salut » qui saura déceler, via, autant que malgré, la communauté phonique des différents possibles – instille, distille, un style, dix styles, etc. – l’expression d’un différentiel, discret, exigeant la reconnaissance du lieu où pulse la rupture honnie.

Atopie:

Ce différentiel à été évoqué durant le colloque sous les vocables d’atopie sans précédent en tant que l’une des définitions de la place de l’analyste. Nous revenons donc au bon entendeur, mais au point où, dans son cabinet, le salut ne le concerne pas seul. Là encore nouveau retour, à l’instar du metipsemus cela laisse poindre en creux l’idée d’une atopie plus atopique que les autres, soit une atopie atypique. Typiques ou non, considérons maintenant la trame des quatre qui suivent.

La première est celle de la genèse de ce terme dans mon lexique personnel. Il y a des années j’écrivais un texte à propos du « Je n’y arriverai pas« , tant de fois entendu durant les cours de Taï Chi, auquel venait répondre en moi « Nul n’est prohète en son pays« , à entendre « Je » ne se décline pas. Réfléchissant sur ce lieu inédit faisant contrepoint au nouage scénarisé du sujet au temps, la conjugaison, décalant l’utopie je (me) créais le mot atopie. Fécond enfoncement de porte ouverte.

Je découvre aujourd’hui l’atopie sans précédent évoquée par J-J.Moscovitz durant l’intervention de M.Drach, « Être d’aucun lieu, produire du désirant : le style du psychanalyste ». Lacan écrivait, »Une théorie incluant un manque qui doit se retrouver, à tous les niveaux,…, et former le nœud de l’ininterprétable, je m’y emploie, non certes sans en éprouver l’atopie sans précédent. »‘(2) Il corrèle immédiatement de façon indéfectible cette place de radicale rupture à la pratique du psychanalyste.

Après m’être assuré sur le moment de ce dont je n’était pas certain, que le sans précédent concernait bien la place de l’analyste, j’évoquais ensuite mon étonnement à ce que soit accolé sans précédent à atopie, soit à ce que ce radical de la fonction, un « nom-lieu« , n’ait pu être, puisque dit sans précédent, exprimé à égale valeur temporelle, un non temps. A moins que précisément ce sans précédent soit celui du commencement d’un sans suite sans fin.

Tout de même, quatrième et dernière atopie envisagée ici, il reste heureusement des portes ouvertes à enfoncer, ou des dictionnaires à ouvrir puisque dans le Larousse « Atopie » ne se livre pas directement comme un rapport au lieu mais comme une « Prédisposition héréditaire à développer des manifestations d’hypersensibilité immédiate (asthme, urticaire, etc.)« , une réponse allergique, empressée de sauter une étape et déplacée, pour notre affaire, au radical du différentiel.(3)

Dans tous les cas que nous venons d’évoquer l’atopie est un symptôme et le style le poli du tissage de sa bannière, voire de son drapeau. Et puisque c’en est ici le grain, au titre de la pièce de Picasso « Le désir attrapé par la queue » je substitue celui du livre d’André Dhôtel, « Le pays où l’on arrive jamais« , pour que de l’un à l’autre, mais encore, advienne en dépôt la fente livrée par liage de métaphore à métonymie. Autrement dit la topique (4) de c’t Il dont il est question.

Contrestyle:

Si l’atopie nous livre que le style est l’empreinte du sujet, la question se pose de sa traduction. Interrogation induite lors du colloque par une intervenante argentine avançant l’idée, ici résumée, que le style baroque de Lacan ne correspondait en France qu’à une catégorie référencée où en Amérique centrale et du sud il s’apparente à une structure de référence. Mais encore, fut relevé que les traducteurs s’employaient à étêter son style quand ne s’ajoutait pas à ce laminage l’infamie du contresens.

Lacan raillait l’attachement univoque au sens et la ligne de sa parole était établie de telle sorte de ne pouvoir apparaître qu’après décantation, soit, pourquoi pas,uniquement après avoir fait passer son récipiendaire par tous les sens pour enfin n’en supporter qu’au moins un. Qui alors fait signe. C’est ce en quoi, me semble-t il, si la traduction touche au sens, qui donc n’est pas le tout chez Lacan mais pas que, en faisant parfois contresens chacun conviendra qu’elle est impuissante à faire contrestyle.

Ici, dans la veine de monsieur Jourdain ou de Pangloss, si je voulais faire de l’humour je dirais « Et pour cause, le mot n’existe pas« . C’est pourquoi il devait être inventer…Ce que je proposais alors. Mais bien entendu il ne fut pas et tout juste ai-je pu, de ce malentendu, dans la salle, en recueillir l’écho, « II y a péristyle aussi…« (5). L’intervenante se fendit, elle, d’une réponse langue posée sur sente déjà battue hors mon ouverture. Et c’est ainsi que contrestyle, pour tous, reste encore à définir.

L’actualité invite parfois à l’opportunisme et celle du jour, peu après le colloque, alimentera ce qui suit. Lors d’un rendez-vous avec des amis de passage à Paris, peu avant leur arrivée je vis entrer au lieu dit Marcel Drach, l’atopie sans précédent. J’en profitais pour lui évoquer le présent écrit que, promis, par courriel il recevra. Reste alors à conclure mais, avant d’en venir à définir le contrestyle, voici en guise d’amorce l’ouverture d’un texte commis en 2011 et intitulé « Boîte à lettres » (6).

«  » » » » » »

Boîte à lettres

Ou

L’algorithme ne perd rien pour attendre*

Le massif de ce que chaque école peut dégager de particularisme lui confère son identité. Et l’ensemble des particularismes définissant le regroupement des écoles sous l’égide de l’Académie a un nom. Ce nom est style. Qui n’est pour autant pas l’apanage de l’Académie.

Le style demeure pourtant, qui fait acte d’obédience collusive à la norme puisqu’il n’a de cesse de la situer en balisant indéfectiblement la référence à celle-ci. Nous savons tous en effet que la tradition française a ses tampons de discernement mis à disposition de tout fonctionnaire de la pensée communautaire, dont celui-ci, « style peu académique », est l’un des fleurons les mieux établis.

C’est là que se fait naturellement le point d’ancrage de la mise au ban par le biais le plus rédhibitoire qui soit, la suspicion. Rien de tel pour marquer ad vitam æternam et ostraciser qui n’est suspecté en définitive que d’un manquement, mais lequel, tenir posture du risque de pouvoir n’être pas compris. Vous me lisez et savez donc que je parle en connaissance de cause puisque de c’t Il peu académique….

«  » » » » »

Voyez qu’étaient déjà indexés dans un certain rapport, celui du pari, le style et la compréhension. Pour autant  » L’incompris  » n’est pas sans style, confère le film de Bertolucci, voire pas sans prise, ce qui, à suivre ce fil, laisse augurer que le contrestyle pourrait ressortir, lui, du registre du « no man’s land » dont la qualification même incite naturellement à une nomination depuis son lieu, nomination qui le dé-nommerait puisque désormais habité, humanisé.

De cela qui pourrait faire témoignage ? Qui saurait soutenir la frontière de l’enclos qui recèle le terme où le terme se descelle ? Vraisemblablement celui défini par Lacan comme étant un sujet pour un autre signifiant qui ne le représente pas et est décrit avant lui par Freud dans son article « Des sens opposés dans les mots primitifs » où il est précisé que l’expression d’un même mot était orienté par le dessin à l’écrit et que le geste accompagnant le mot parlé lui donnait le signe voulu.

Ce Qui est un retour sur l‘identiquité, mais nous poussons notre pion sur la case voisine, celle de l’ubidentique, le partout le même, qui se fend d’un trait unique dont les bords livrent le geste qui fait style. Or là, il ne s’agit pas du « faire style… » s’attachant à faire de l’autre la dupe de notre habillage, mais d’un style fait, fondé radicalement sur le contrestyle – castration – qui le valide, gage contrapuntique, donne nécessaire à le lester, le style, du crédit lui permettant de relever la geste d’un sujet évanouissant.

Conclusion

Art et psychanalyse sont des socs livrant les sillons insensés où se pose le diamant qui doit courber l’échine devant la voix qu’il supporte.

Pour autant les savoirs faire se dissolvent parfois dans le corpus censé soutenir les modes de leur retranscription.

Pour prévenir l’évanouissement de la pratique au creux des divers courants qui la supporte, s’agirait-il de distinguer aussi abruptement que promptement la fleur de sel faisant étoile à la furie de ce ressac.

Alors oui, ainsi considérés style et contrestyle sont bien les mailles intimes d’un filet qui laisse passer les raies de sujétion formant l’étoile des servitudes validantes, restes nécessaires et suffisants pour qu’en fin et sans cesse tout commence.

Puisque le style…

JTF Paris, le 15/02/2016

(1)Parfois instantanément, ce qui n’est pas forcément le mieux.

(2) Confère la Chine, entre autres, et la transmission des arts traditionnels où en lieu et place du comprendre puis faire occidental est pratiqué le faire pour un comprendre éventuel et en tous cas déplacé en fonction de ce que l’occident habille du manque.

(3) J’ouvre ici une parenthèse orthographique rétrospective. Durant la relecture du présent texte j’ai à nouveau compulsé un petit bijou de Serge Leclaire, « Démasquer le réel -Un essai sur l’objet en psychanalyse », duquel j’extrais ce passage,  » Or le discours-maître est précisément agencé comme tel pour affirmer la prévalence logique et « maîtriser » en quelque sorte l’inquiétante a-topie de l’objet-manque ». Une a-topie qui d’être écrite ainsi délivre, frontalement, un rapport au lieu qui n’est pas évoqué dans le dictionnaire, qui n’y trouve pas sa place.

(4) Topique:

Partie de l’énoncé qui est ce dont on dit quelque chose, ce qui est donné comme thème, par opposition au commentaire.

Médicament qui agit uniquement à l’endroit où il est appliqué, sur la peau ou sur une muqueuse.

(5) Le style du père qui au mieux se lit entre les ligne et au pire, entre les lignes s’y lie.

(6) « L’algorithme ne perd rien pour attendre »* (népérien):

Il s’agit d’un texte qui règle son compte, orienté, à la référence incessante que notre époque fait aux algorithmes pour les promouvoir ou les dénoncer, références fantasmées prenant chair sur un bienentendu homophonique. Ce texte vient en complément du corps principal d’un livre à paraître qui aura pour titre « Signorelli, de l’oùbli du nom au nom dupé ».

* Hommage à mon professeur de philosophie de terminale, monsieur Laprévote, joueur d’orgue à la cathédrale Saint-Jean de Lyon, en souvenir d’un jeu de mot fait pendant son cours non pas à propos des algorithmes mais du logarithme népérien.

.