Lhommalaise 9 chapitre 8 (émission radio)

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LHOMMALAISE

UNE SÉRIE D’ÉMISSIONS DE  JEAN-THIBAUT FOULETIER

AVEC LA PARTICIPATION DE BLANDINE DESVIGNES    

Émission numéro 9 :   



Il n'est pas de grande fondation qui ne repose sur une légende. 
Le seul coupable en pareil cas c'est l'humanité qui veut être trompée.

Ernest Renan


C’est là l’une des difficultés auxquelles sont confrontés tous ceux qui ont fait une psychanalyse. L’instrument de leur traversée, la parole, cet instrument qui au sortir de leur parcours les aura accordé à la singularité de leur discours, cet instrument n’est pas propre à la psychanalyse. 

Non seulement elle ne lui est pas propre mais elle est la propriété de tous. Propriété à entendre primo au niveau de titre de propriété et secundo au sens où l’on parle de la propriété mathématiques d’une équation, d’un objet topologique, de théorèmes ou autres. 

Au yeux de qui n’a pas fait de psychanalyse il semble donc absolument injustifié, voire inqualifiable que quelqu’un puisse se prévaloir d’un maniement autre du langage. Se prévaloir d’un maniement autre du langage cela peut se traduire ainsi que le rapport au langage puisse se manifester par autre chose, par un autre vécu que l’expression du malaise communautairement partagé. 

Malaise collectif qui, je le rappelle, se supporte de son corollaire le moins révocable la culpabilité individuelle. Culpabilité individuelle qui elle, ce malaise collectif, inéluctablement le renforce. 

Freud le dit ainsi dans le dernier chapitre de son livre Malaise dans la culture, «...notre intention toutefois était bien de présenter le sentiment de culpabilité comme le problème capital du développement de la civilisation, et de faire voir en outre pourquoi le progrès de celle-ci doit être payé par une perte de bonheur due au renforcement de ce sentiment.».

Au sortir d’une psychanalyse le rapport au langage est donc autre pour les quelques uns qui auront fait le choix d’assumer cette traversée. Désarrimés de la culpabilité conventionnelle pourrait-on brosser à grands traits. À grands traits puisque pour être plus précis cela ne veut pas dire sans être avec elle, la culpabilité, dans un rapport de constante référence. Ne serait-ce que par le fait qu’avoir fait une psychanalyse ne veut pas dire vivre seul. 

Ceux qui auront à faire à ces psychanalysés, à ces désarrimés - je reviendrai sur ce terme -  pourront éventuellement, en creux, en saisir les nouvelles coordonnées. Ceci via le différentiel d’avec le trop plein de culpabilité - perfection -  qui, eux, les anime toujours.  

Analysés qui, je le précise - et je le précise justement parce que le terme est inapproprié de laisser croire que ceux qui s’allongent sur le divan sont passifs lors de leur psychanalyse - analysés qui sont en fait analysants de s’être mis ainsi, et Ô combien, au travail. 

Là, il s’agit de s’arrêter un instant pour mettre en lumière la subtilité du ressort dont il est question. Ce ressort, en réalité il faut bien le dire, sa mise en lumière en a été faite il y a fort longtemps. Et sans arrêt depuis, ceci à hauteur de la résistance qui lui est consubstantielle. 

Le ressort que j’évoque est le suivant. Ce qui est posé par Freud, à le suivre dans toute la rigueur de ce qu’induit la logique, c’est que, entendez bien cela, se délester de la culpabilité est l’acte transgressif par excellence. Comment traverser la loi s’il n’y a pas de culpabilité ? Transgression des transgressions donc au regard de laquelle toute autre transgression n’est en réalité qu’un avatar ectoplasmique.

En effet, à l’accompagner dans sa démonstration il ne peut être entendu que ceci, à quoi il nous ramène par mille entrées et par autant de sorties, ceci que la culpabilité préexiste aux actes de tout un chacun, qu’elle conditionne et étaie l’effectivité de l’édifice collectif et enfin qu’elle est le lien irréductible allant de ces tout-un-chacun au collectif-quel-qu’il-soit.

Alors là, vous voyez bien, vous saisissez la contradiction, la contradiction amenée par le fait que dans un même espace sont censé coexister la culpabilité, celle présentée par Freud comme étant absolument irréductible et nécessaire, avec cette même culpabilité dont certains seraient - on se demande bien par quel miracle - pourtant parvenus se déprendre.

Bon, les miracles, laissons cela à ceux qui abordent la culpabilité par le biais, orienté, du péché. Originel le péché comme nous sommes tous censé l’avoir intégré. De telle sorte qu’en retour, en miroir plus précisément, il ne nous soit possible d’y atteindre, c’est à dire de n’y répondre à cet originel de la culpabilité, qu’au lieu et au temps de ce qui ne peut qu’être son pendant, son contrepoint imaginaire. 

À savoir, ceci, que, à ce qui oriente originellement le grain de la vie il ne pourrait y avoir de réponse qu’après la vie. Et entre les deux, peaux de chagrin et vies de misères, ne resterait plus que la possibilité de faire corps avec le corps désinvesti de ce qui pourtant l’anime, le désir. Faire corps, social, au corps sans désir. Oui, pour la religion, ne reste plus de place que pour la condamnation du concupiscible comme cela se désigne alors.  

Une remarque en passant - puisque je ne peux ici que survoler la chose en essayant de vous en rendre une cartographie qui puisse faire carte d’invitation à y aller voir de plus près - remarque donc, le rapport à la concupiscence n’est plus l’apanage des religions, quelles qu’elles soient. Il ne l’est plus, loin s’en faut. Mais, pour être précis, en réalité c’est surtout qu’il ne l’est pas et ce de ne jamais l’avoir été.

Le concupiscible est l’affaire de tous et, nous dit Freud, cette affaire peut aussi bien être consciente que ne pas l’être. Le que ne pas l’être désigne évidemment l’inconscient. Inconscient que j’aborde donc par un que ne pas l’être  - ouverture au manque à être - pour désigner le fait que malgré l’usage de ce mot - inconscient - ce qu’il désigne n’est pas le négatif du conscient. 

L’inconscient n’est pas le négatif du conscient. Je dirais qu’il en est plutôt le revers. Mais un revers très singulier que je désigne d’un mot. Un mot ambiguë, comme toujours avec moi qui choisit de redistribuer ainsi les choses de l’inconscient. Ceci du simple fait que les mots et les pensées de l’inconscient sont a minima ambivalents sinon plurivalents. Pour ne pas dire, même si c’est le cas, insensés. 

Quoi qu’il en soit, j’y arrive, le mot par lequel je désigne ce qu’est l’inconscient au regard de la conscience est le suivant, l’inconscient est l’a-version de la conscience - « l » apostrophe, « a », tiret, version.

Là, comme à mon habitude, je pourrais vous laisser mariner sur le champ des possibles qu’introduit le terme d’a-version. Mais pour une fois, qui ouvre à la coutume, je vais vous en souffler tout de même quelques ouvertures. 

Le champ des possible c’est donc l’ensemble de ce que peut désigner ce terme, le terme d’a-version. Redistribution des cartes.

Alors, L’inconscient est l’a-version de la conscience, donc. En trois points. C’est le minimum.

– Premièrement, en ceci que l’un et l’autre sont dans un rapport de déchiffrage, de traduction. Je recommande à ce sujet la lecture du livre de Nestor Braunstein Traduire la psychanalyse.

– Deuxièmement en ceci que, depuis le lieu de la conscience, le rapport à l’inconscient est d’aversion – en un mot. Je n’appuierais sur ce point qu’en évoquant à nouveau cet éclairage de Lacan désignant ainsi le rapport de la conscience sur l’inconscient comme étant passion de l’ignorance. Nous verrons également un peu plus loin quelle variation introduit la pratique de la psychanalyse dans ce rapport.

– Troisièmement, enfin, L’inconscient est l’a-version de la conscience en ceci que le a que j’exile de version, cette version pourtant il la détermine.

Pour ce qu’il en est de ce dernier point, nul moyen de s’y retrouver sans avoir une petite idée de ce qu’est l’objet dit objet petit a repéré par Lacan. Ainsi, le petit a – qui détermine la version – en deux mots – qui liera la lecture ou la non lecture de l’inconscient par la conscience et de la conscience par le biais de l’inconscient – le petit a donc, bien qu’insaisissable, est repérable puis formulable, via le procès de la cure analytique, par l’instruction du manque radical qu’il représente.

L’objet petit a est la représentation du manque situé entre les contingences inhérentes aux besoins physiologiques et la demande incompressible qui dépasse leur satisfaction. Autrement dit au-delà de la réponse mécanique apportée au besoin – à manger, pour l’enfant par exemple – se profile toujours la demande d’amour que l’enfant y introduit.

Demande d’amour à laquelle il n’y aura pour le coup aucun objet pouvant faire réponse, si ce n’est en deçà de la satisfaction attendue introduite par ladite demande. Sans quoi il n’y aurait plus de désir. Ça ne veut évidemment pas dire qu’il ne puisse y avoir de reconnaissance de cette demande d’amour. Mais le fait est qu’il n’y a aucun objet pour y répondre. Si ce n’est l’objet petit a de Lacan en tant que représentant de ce manque absolu qui génère la demande, je le répète, au niveau où celle-ci ne peut donc pas trouver de réponse.

Un manque fécond s’il en est donc puisque effectivement il façonne et donne accès au désir. Il en est l’avers. À l’opposé de quoi nous touchons tous du doigt, ou plus exactement du portefeuille, que sans cela, quotidiennement, ce qui est censé faire office de boussole pour repérage du désir, ce sont, appelons-les ainsi un peu facilement, ce sont les objets grand C.

C’est à dire les objets dits de consommation qui sont l’expression unique et univoque de notre lien social actuel. Objets grand C garants de la satisfaction infertile qu’ils entretiennent d’être les agents de l’avidité pavlovienne qu’ils génèrent.

À devoir qualifier cela je dirais que s’outiller ou non de l’objet petit a pour appréhender la moindre réalité est la fracture épistémologique qui situe chacun de part et d’autre d’une ligne de franchissement du subjectif. 

D’un côté de cette ligne il y a la parole qui dénie le malaise. Parole à la fois fille et mère d’un volontarisme ayant lui-même pour père le bon sens. Cette parole se frotte à ses dépends aux scories qu’elle institue ainsi tout en déniant sa responsabilité dans le fait d’être à l’origine de leur production. Un déni qui a pour fonction, inconsciente, d’entretenir la culpabilité.

De l’autre côté de cette même ligne il y a la parole qui elle se fonde sur le malaise. Elle engrange les effets de l’impossible qu’ainsi elle réelise – j’ai déjà explicité ce terme par ailleurs et j’y reviendrai également. Cette parole qui se fonde sur le malaise engrange donc les effets de l’impossible qu’elle réelise par le biais d’une mise en gage structurelle. Celle de l’objet a. L’objet a, objet perdu non pas en tant qu’objet égaré et donc récupérable, mais objet perdu en tant qu’objet n’ayant jamais été.

C’est ça ce qui se réelise par le truchement d’une psychanalyse. Retour aux désarrimés. Lacan dit de ceux qui s’en extraient, de ceux qui parviennent à rendre effective pour eux une extraction subjective, que désormais s’ils ont une habilitation c’est celle de pouvoir errer. C’est à dire, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, d’être habilités à pouvoir avancer sans être orientés par un inconscient avec lequel ils étaient jusque là tenus, aliénés dans un rapport d’ignorance sacrée.

Là je fais un bref retour au deuxième point soulevé concernant l’a-version, a tiret version. Ce deuxième point était, je le rappelle, que depuis le lieu de la conscience le rapport à l’inconscient est d’aversion – en un mot. Une aversion qui se donne donc pour corps la passion sacrée de l’ignorance. Ignorance sur laquelle se fonde la conscience, laquelle conscience est irrémédiablement bornée au regard de l’inconscient.

La passion sacrée de l’ignorance donc. De sacré à sacrifice et de sacrifice à sacrilège il y a peu. Tout juste assez d’espace pour que puisse s’y inscrire celui de la coupabilité. Là, encore une fois, ce qui du coup fait coutume, je m’explique concernant l’usage de ce terme. Et pour ce faire je repasse par ce que j’avais avancé lors de la dernière émission.

Je soulignais alors ceci, en réponse aux mouvements de houles contemporains, que le père ce n’est pas le patriarcat, premier point, et que ce qui découlait de cette confusion imposée par notre époque, époque qui s’identifie à cette croyance – et pas pour rien – c’est que le père serait à tuer réellement. La science est là pour ça.

Oui, le tuer réellement le père et pas pour rien, rien n’est gratuit. Pas pour rien puisque s’il s’agit de tuer le père, au prétexte de patriarcat, c’est d’imaginer pouvoir s’extraire ainsi de la culpabilité. De la culpabilité du meurtre nécessaire du père mythique dit par Freud.

Lors de la dernière émission de LHommalaise, commentaire du chapitre 7 du livre de Freud Malaise dans la culture, je disais donc que, à vouloir le meurtre sans culpabilité, le lien ternaire qui pouvait être qualifié de Noeudipe – un nœud à trois qui enserre l’objet du désir – le nouage de l’œdipe – le Noeudipe ternaire entre le père la mère et l’enfant se mue alors en binarité univoque.

Binarité univoque qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que la culpabilité qui fait lien d’indécision, disons d’incoupabilité, enfin, d’impossible victoire ou défaite définitive entre l’amour et la haine – dont je rappelle que Freud nous dit qu’ils se font face et que leur lutte est le contenu essentiel de la vie – et bien cela veut dire que ce lien est censé disparaître.

Et le moindre constat que l’on puisse établir à partir de là – retour à notre cher quotidien – c’est qu’alors l’amour et la haine ne se font plus face. Ils fusionnent et deviennent méconnaissables. C’est à dire autant non identifiable un par un que non discernable l’un de l’autre.

Là attention ! Ce n’est pas parce que le malaise – et donc la culpabilité – ce n’est pas parce que le malaise est nécessaire à la civilisation – incoupabilité – que la coupabilité n’est pas envisageable un par un ni qu’une fois ainsi touchée elle mette en danger le collectif. Ni enfin que les un par un qui s’en sortent, qui s’en extraient, ne soient plus en lien avec ce malaise. Comme dit en tout début d’émission, ils sont avec lui, simplement, dans un autre rapport.

Là, comme je l’ai posé lors de l’émission précédente, si il y a un pas à ne pas rater pour le psychanalyste, puisque c’est là sa clinique, c’est à dire la connaissance qui s’extrait de sa pratique, si il y a un pas à ne pas rater pour le psychanalyste c’est bien celui de la castration. Castration qui se repère au regard du franchissement menant le sujet du statut de coupable à celui de coupé.

Seulement voilà, ce franchissement ne se définit qu’à l’épreuve. Et ce qui fait partie de l’épreuve, ponctuation, c’est de ne valider son effectivité que dans l’après-coup – nachträglich selon le terme utilisé par Freud. La clé ne vient donc pas avant et pour cause, si je puis dire, il n’y en a pas. Ni de cause ni de clé. Et c’est en tant que telle, en tant qu’inexistante que cette clé opère. Voilà ce qu’est la castration. La Castration c’est la Réelisation.

Pour faire image, la castration n’accorde pas les pouvoirs quasi sans limite d’une cape d’invisibilité, mais ceux d’une cape invisible en soi. Invisible à la conscience de ceux qui la portent. Une cape invisible dont le nom, à l’instar de celui de Machiavel, confère à ceux qui la porte la qualité qui la caractérise. Et cette qualité est habilité. Habilité, oui, en vertu donc de l’habilitation qu’elle accorde.

C’est cet habilité qui viendra donc faire apprêt, habillage, dans l’après-coup, pour ceux s’en seront servi pour faire lien, acte de franchissement en l’occurrence, menant possiblement du statut de coupable à l’état de coupé. Ainsi, la suite coupable, habilité, coupé est la trame qui mène au terme de coupabilité.

Je fais ici une courte incise pour rappeler que lors de la première émission de Lhommalaise, en novembre 2021, je citais Ariwara no Narihira, poète japonais du 9ème siècle qui avait pris le risque de commencer un haïku en l’honneur d’un ministre par des mots extrêmement sombres qui auraient pu l’amener à être interrompu dans son énonciation et mis à mort puisque coupable avant d’avoir pu prononcer le dernier mot de son haïku. Lequel dernier mot donnait une orientation heureuse à ceux qui précédaient.

Le poète n’a donc pas été désigné coupable cela de s’être lui-même coupé par le biais de la coupabilité. Je rappelle cet épisode 15 mois après sa diffusion à l’antenne. Ce qui me fait dire que si cela est possible c’est moins du au fait que j’ai de la suite dans les idées qu’à ceci qu’il y a une suite dans la structure. Dans la structure du langage. En vertu de quoi je puis ici, à la radio, tenir mon propos terme à terme jusqu’à son terme.

Pour en finir avec la Coupabilité, disons qu’elle est une liberté conditionnée. C’est à dire une liberté autant effective que limitée. Sa limite faisant son effectivité. Une liberté à laquelle le surmoi, pied à pied, fait non pas limite mais contrepoids en inscrivant chacun dans un rapport de délicieuse odiosité avec lui.

Cela peut être en partie rendu par la façon dont Victor Hugo décrivait les travailleurs de la mer aux prises avec la carnasse. C’est un contact odieux que cette gélatine animée qui enveloppe le nageur, où les mains s’enfoncent, où les ongles labourent, qu’on déchire sans la tuer, et qu’on arrache sans l’ôter, espèce d’être coulant et tenace qui vous passe entre les doigts.

À ceci près, tout est là, en tous cas la nuance à saisir, à ceci près donc que le surmoi est repéré par Freud, au départ, non pas comme une entité extérieure à l’analysant, mais comme étant une instance interne, effet de l’inconscient.

Si, parlant de travailleurs, l’inconscient fait office de travailleur idéal – il ne s’arrête jamais – le surmoi a, lui, pour particularités :

Primo – de générer la demande et d’y répondre sans cesse. Instance de surveillance faisant office de juge et partie qui valide la nécessité de la surveillance et des rétorsions qui l’instituent.

Deuxio – d’être impitoyable, sans brèche et sans fêlure… Il n’en démord pas, c’est à dire qu’il ne lâche pas sa proie, consentante de, sans faille, constamment lui donner matière.

Tertio – de se renforcer. Il se nourrit et prospère de la plainte que sa morsure demandée et attendue engendre.

Quatro – d’être « dans le partage »… Être dans le partage, la formule résonne aux oreilles comme un écho, au sens propre, déjà entendu lors des offices religieux. Oui, l’Eucharistie… le partage qui fait lien pour instituer la communauté. Jusqu’à l’œcuménisme.

Se glisse ici avec bonheur Jesu Bleibet Meine Freude de Jean-Sébastien Bach. Freude, joie en allemand.


Cette histoire d’ œcuménisme ça n’est jamais que l’un des biais par lequel peut s’illustrer ce que repère Freud tout du long de son ouvrage et qu’il nous ressert dans cette formule claquante de la fin du chapitre 7 sur laquelle je reviens encore une fois, Ce qui commença par le père s’achève par la masse. Autrement dit, la culpabilité est le ciment – à prise moins rapide que ontologique – qui conditionne l’évolution de la civilisation.

Ce qui commença par le père s’achève par la masse donc… Pour ce qu’il en est du père – je rappelle cette réflexion de Freud citée dans le courant de la deuxième émission de Lhommalaise, réflexion où il souligne que ce que l’homme ordinaire attend de la religion serait que celle-ci lui apporte un éclairage sur les énigmes de ce monde et qu’une Providence pleine de sollicitude veille sur lui. Il ponctue ainsi sa pensée,

Cette providence, l’homme simple ne peut se la représenter autrement que sous la figure d’un père

grandiosement magnifié. Seul un tel père peut connaître les besoins de
l’enfant humain, se laisser fléchir par ses prières ou adoucir par son repentir. Tout cela est
évidemment si infantile, si éloigné de la réalité, que, pour tout ami sincère de l’humanité, il devient
douloureux de penser que jamais la grande majorité des mortels ne pourra s’élever au-dessus de
cette conception de l’existence.

Voilà d’où Freud part concernant le père. Les développements à ce sujet ont déjà été fait tout du long des précédentes émissions.

Concernant la masse, c’est bien sûr autre chose. Je vais reprendre la formule que la chercheuse Silvia Riva utilise dans un bel article ou elle met en perspective deux œuvres de Pier Paolo Pasolini, Le père sauvage et La rage. Sa formule est la suivante Selon Pasolini la civilisation de masse est l’abîme de la sauvagerie occidentale.

Pour les raisons que vous savez, en rapport au père mythique, je vais mettre l’accent sur Le père sauvage. Le père sauvage est un petit livre qui reprend le synopsis d’un projet de film au sujet de la passion du Christ que Pasolini n’a pas pu réaliser et pour lequel on lui fit un procès. Il dédia Le père sauvage au ministère publique ainsi qu’au juge qui le fit condamner.

Je prends la liberté de présenter ainsi son projet. Au Congo un jeune professeur tente d’enseigner la littérature à des adolescents. Un apprentissage qui pour l’un d’entre eux, nommé Davidson, se heurte à un impossible. En effet, ce jeune homme ne peut faire se superposer les mots des colons – si bien intentionnés soient-ils – avec sa vision de l’Afrique.

Vision étant à prendre ici au sens littéral puisque le jeune homme est sans cesse aux prises avec une image de la forêt qui s’impose à lui. Cette forêt il ne la réalise d’ailleurs pleinement qu’à son retour dans son village, cela seulement après avoir vécu le temps des mots du professeur. Il la réalise de telle sorte que son apprentissage semble lui avoir révélé qu’aucun apprentissage ne peut avoir de prise sur elle.

Plus précisément encore, Le père sauvage est l’écriture de ceci, que la conversion qui mène à la civilisation de masse – que cette conversion se fasse sous l’égide de la colonisation ou bien sous celle du néo-libéralisme – et bien cette conversion, non sans détours par le pire, ramène au Père sauvage. C’est à dire au Père mythique, le père du commencement, celui de Totem et tabou, celui qui jouit de tout et de tous.

Ce père mythique est celui que l’on tue, mais sa jouissance, celle que l’on dénonce tout en voulant se l’approprier, et bien cette jouissance, elle, elle est increvable. Increvable en tant que c’est elle qui mène le bal. Et c’est bien en cela que la jouissance est répétition. Le fait est que ce n’est pas une répétition féconde. En ceci donc que, tournant en rond, ce n’est pas elle qui mène au grand soir de la première.

En matière de grand soir, il convient de noter que le soir de la première, le soir de la première représentation, c’est une image, et bien sa réalisation – quand elle advient, si elle advient – sa réalisation efface le tant et tant de répétitions qui ont concouru à ce qu’advienne l’avènement de l’évènement. Répétitions dont le fécond ne s’attrape donc qu’à l’aune de leur effacement.

Pour autant, en contrepoint, il est attendu que la réalisation, quelle qu’elle soit, à laquelle les répétitions ont été nécessaires, il est attendu, attente réflexe, que cette réalisation, cette première qui va de l’Opéra à la chambre nuptiale en passant par l’obtention du diplôme, il est attendu que cette première ait, elle, pour vertu de s’inscrire dans le registre de l’unique, du mémorial panthéonesque, de l’éternité et autres fariboles imaginaires qui tombent toutes au final dans le registre de la résolution définitive.

Or, s’inscrire dans le champ de la résolution définitive c’est se placer dans l’ombre portée de la solution-rerépétition – c’est à dire de la solution retrouvée. Alors que de solution, en réalité, il n’y en a jamais eu. Oui, l’objet petit a qui ne cesse de pointer son nez est désigné encore ainsi par Lacan, rappel, L’objet du désir n’est pas la cause du désir.

Ce qui est là l’une des coordonnées qui qualifient le discours de la psychanalyse. Mais attention ! Pour repasser par ce qui ouvrait la séance d’aujourd’hui à savoir le fait que la psychanalyse use différemment du bien commun, la parole, dire que la psychanalyse ne soutient pas l’idée de résolution c’est simplement aller dans le sens de Freud pointant à contre-courant, à contre-mainstream, à contre-consensus, que la psychanalyse n’est pas une weltanschauung.

La weltanschauung c’est une vision du monde, consensuelle par définition. Une vision du monde telle que Freud la définit dans la trente-cinquième et dernière de ses Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse en 1933. La weltanschauung est une construction intellectuelle qui résout de façon unitaire tous les problèmes de notre existence à partir d’une hypothèse subsumante, dans laquelle par conséquent aucune question ne reste ouverte, et où tout ce qui retient notre intérêt trouve sa place déterminée.

La psychanalyse n’est donc pas une weltanschauung. En ceci qu’elle ne supporte ni question fermée ni place déterminée. C’est là précisément une ouverture à son sujet, le sujet du langage. J’attire votre attention sur le fait que ne pas soutenir une vision du monde, est déjà en soi un tour de force pour un discours. Mais alors, dans le monde tel qu’il se supporterait actuellement cela pose la question d’un espace de parole autre que celui, mondialisé, de la résolution communautaire. Je dis tel qu’il se supporterait actuellement pour signaler qu’en réalité, à ce niveau, il ne se supporte pas différemment de quelque époque que ce soit.

En réponse ouverte à cette question en apparence fermée je propose dans un premier temps les coordonnées suivantes, La psychanalyse est située en exclusion interne au monde. Je reviendrai sur ce point en toute fin d’intervention et n’en retiens pour l’instant que l’orientation suivante qui est que l’exclusion sous-entend la transgression qui l’aura motivée.

La transgression, je l’ai déjà évoquée. Rappelez-vous ceci que je disais en début d’intervention, se délester de la culpabilité est l’acte transgressif par excellence. La transgression des transgressions au regard de laquelle toute autre transgression n’est en réalité qu’un avatar ectoplasmique. Et bien je vais poser maintenant un appendice à cette affirmation qu’il n’y aurait pas de transgression plus radicale que celle consistant à œuvrer à se délester de sa culpabilité.

Car il y a effectivement une transgression qui est autant au cœur du dispositif psychanalytique qu’au cœur du dispositif qui lie la communauté humaine. Il s’agit du meurtre de l’enfant. Dans son séminaire des années 1973/1974, Les anormaux, Michel Foucault retrace en détail l’évolution d’un nom qui, en bout de course, à partir de la période allant de la fin du 18ème et du début du 19ème siècle, finira par qualifier la conduite criminelle de ceux qui commettent l’acte de tuer un enfant. Comme nous le dit donc Foucault, ils sont désormais les monstres.

À partir de cela voilà ce qu’il faut bien entendre. C’est crucial. Le psychanalyste, l’acte du psychanalyste est censé faire de lui un monstre. Puisque en effet, durant des années, à savoir le temps nécessaire pour que la chose soit effective, sans faillir, le psychanalyste tue un enfant.

Un acte on ne peut plus justement circonscrit par Serge Leclaire dans son livre au titre sans ambiguïté On tue un enfant. Ce titre ne vient pas de nulle part et fait référence au fameux On bat un enfant, fantasme fondamental repéré par Freud comme faisant partie de la psyché de tous et qui donne accès à la relation que l’analysant entretient avec le père autant qu’il lui permet de faire évoluer la fonction de ce même père. Mais là n’est pas le vif de notre questionnement. Je ravive l’actualité du geste du psychanalyste en livrant ce que pose la 4ème de couverture du livre de Leclaire.

« On tue un enfant» : fantasme originel, inquiétant, évité, méconnu. La figure où se rassemblent les vœux secrets des parents, tel est pour chacun l’enfant à tuer, et telle est l’image qui enracine dans son étrangeté l’inconscient de chacun. « Sa Majesté l’Enfant » règne en tyran tout-puissant ; mais, pour que vive un sujet, que s’ouvre l’espace de l’amour, il faut s’en affranchir : meurtre nécessaire autant qu’impossible, encore à perpétrer, jamais accompli. Il y a là une reconnaissance et un renoncement narcissiques toujours à répéter, où la pulsion de mort s’avère fondamentale en ce qu’elle vise le «vieil homme » : l’immortel enfant de nos rêves.

Voilà comment le meurtre de l’enfant, transgression si il en est, est donc autant au cœur du dispositif psychanalytique qu’au cœur du dispositif qui agrège la communauté humaine, cela par le biais de ce qui fait liaison entre les deux. À savoir un rapport à la culpabilité. Lequel rapport est bien entendu spécifique à chacune de ses deux entités.

Car si il y a effectivement une liaison entre le dispositif psychanalytique et la civilisation au niveau de la culpabilité, c’est à ceci près qu’il n’y a pourtant pas d’équivalence. Ainsi, le geste de celui qui tue un enfant est un geste coupable alors que celui du psychanalyste qui séance après séance dans son cabinet tue l’enfant immortel est un geste coupé.

Conclusion

Salvador Dali disait dans une interview qu’il était vivant, mais que, de son vivant, il était aussi mort, puisque ses parents lui avaient donné le même prénom que son frère aîné mort de maladie, Salvador, Sauveur…, et que sa mère ne manquait pas de calquer le moindre de ses pas en fonction de ceux de ce frère décédé. Il terminait son interview par ceci que par son art, il était immortel. Vivant, mort et immortel.

Je dirais alors de Pasolini qu’il est, lui, mort de son vivant. Non pas d’avoir été assassiné dans les conditions que l’on sait – je signale à ce sujet le merveilleux hommage rendu par Nanni Moretti dans son film Journal intime avec ces minutes de piano de Keith Jarret – Pasolini est mort de son vivant donc, non pas d’avoir été assassiné mais d’avoir pu écrire ces vers retranscrits à la fin du livre Le père sauvage, dans un poème éponyme,

Mais en cette vaste normalisation paternelle des rêves et de la  vie,
après tout, n’est-il pas bien émouvant, que de vouloir ainsi mourir en rêve,

pour la déception d’un rouge et d’un vert disparu ?

Mort de son vivant Pasolini, mort avant sa mort effective, c’est comme cela qu’il faut m’entendre. Mort avant sa mort d’avoir promu ce vœu de mourir en rêve en réponse, dixit, à la normalisation par le père des rêves et de la vie. Comme quoi, preuve en est qu’il ne suffit pas de souhaiter tuer le père ou même le tuer pour vivre de son vivant, encore faut-il aussi tuer l’enfant. Sans quoi sous couvert d’humanisme c’est l’humanité de chacun qui se meurt.

L’Humanité sait si bien cela qu’elle s’accorde à tous les étais symboliques qu’elle génère alors pour se faire croire qu’elle veut s’extraire de ce penchant imaginaire. Le prix Nobel par exemple. C’est bien le prix Nobel hein, le diplôme des diplômes, la ceinture des ceintures, le grade suprême, la reconnaissance des reconnaissances… Enfin…, comment dire cela plus clairement encore ? Et bien peut-être comme cela, Aux dindons de la farce à la dynamite, l’universelle reconnaissance.

Alors là, encore une fois je vais recourir au Japon pour tenter de nous sortir de l’ornière de l’entre-soi. Je dis là encore puisque lors de la première de Lhommalaise en novembre 2021, j’y reviens une dernière fois, j’évoquais le poète Ariwara no Narihira qui risqua sa vie d’un coup de mots. Cette fois-ci donc, le Japon via le romancier Kawabata Yasunari en vertu du discours qu’il prononça à Stockholm à la réception de son prix le 10 décembre 1968.

Dans sa magnifique leçon inaugurale du Collège de France – La hiéroglossie japonaise – prononcée le 2 février 2012, Jean-Noël Robert n’a de cesse de désigner un point déterminant. De tellement déterminant à mes yeux que je fis de ce thème l’un des abords qui me permirent d’introduire mon propos lors de la première de Lhommalaise.

C’est ainsi que Jean-Noël Robert présente une extraordinaire analyse du discours de Kawabata en faisant notamment apparaître point à point comment et combien le fil de ce discours aura été tenu en toute indépendance par rapport à la compréhension de celles et de ceux, représentants l’académie Nobel, qui auront pourtant permit à Kawabata de le dispenser en lui accordant son prix.

Autrement dit – et cela recoupe ce que j’ai exprimé le 11 novembre 2021 – autrement dit donc, il était nécessairement impossible que son auditoire le comprît. Je souligne à l’adresse de ceux qui ont l’oreille chercheuse que c’est là l’exacte définition – c’est à dire la condition – de ce que l’on appelle la liberté. Vous voyez que j’insiste à ce niveau puisque cela fait retour sur la coupabilité.

Une liberté conditionnée à la possibilité de ne pas être compris. Ce qui veut dire, exactement comme pour la prison, ou bien la raison, de ne pas être pris à l’intérieur de. Ce qui ne veut pas dire être incompréhensible. En cela qui n’a de cesse d’être éprouvé et de faire ses preuve, qu’une parole incomprise n’est pourtant pas sans effets.

Le premier de ces effets est un constat, qui est que si cette parole peut être tenue sans pourtant être comprise, c’est qu’elle est située alors – deuxième temps – non plus en exclusion interne, mais en extériorité interne par rapport au discours dont elle se supporte. Ce qui est là encore une façon de dire la réelisation.

Et dans le cadre de Lhommalaise, commentaire du livre de Freud Malaise dans la culture, la mienne de réelisation n’aura pour effet – c’est un pari lancé à la bonne fortune – que de vous déciller à la vôtre.

Bien. Nous en sommes arrivés maintenant à l’heure de conclure. Et c’est par la grâce du génie de l’art du contrepoint, Jean-Sébastien Bach, et de l’une de ses suites, l’Aria numéro 1, interprétée par Glenn Gould, que se ponctue aujourd’hui Lhommalaise.

Lhommalaise témoin extrait de la parole désirante de celles et de ceux qui osent à s’accorder par le verti-je qui s’y recèle.

Chacun son acorps.

Jean-Thibaut Fouletier

Die, le 10/02/2023

Amis  auditeurs, 
Jean-Thibaut FoulEtier -  qui remercie très chaleureusement Blandine Desvigne, Émilie Dubois et Sandrine Antunes pour leurs voix habitées ainsi que les membres de l’équipe de RDWA pour leur professionnalisme enthousiasmant - vous donne rendez-vous en septembre pour entendre la nouvelle mouture de LHommalaise.

En attendant, vous pouvez retrouver l’intervention d’aujourd’hui, ainsi que toutes les émissions précédentes, en podcast sur le site de la radio RDWA - R-D-W-A.FR, ainsi que, accompagnée de sa version écrite téléchargeable, sur le site de Jean-Thibaut FouLEtier, tybolt.fr, T-Y-B-O-L-T . FR