Lhommalaise 8 chapitre 7 (émission radio)

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LHOMMALAISE

UNE SÉRIE D’ÉMISSIONS DE  JEAN-THIBAUT FOULETIER

AVEC LA PARTICIPATION DE BLANDINE DESVIGNES    

Émission numéro 8 :  Noeudipe

 

Me phunaï - Puissè-je n’être pas né
Oedipe



Introduction

Le fil rouge

Ceux qui suivent le fil de mes interventions ont peut-être pris l’habitude d’être déroutés par les cheminements que le dit fil a pu leur imposer. Habitude que je leur souhaite être celle non pas du monocorde subi mais du savoir y faire avec.

Un déroutage à prises multiples, ce qui ne veut pas pour autant dire aisément saisissable comme vous avez pu vous en rendre compte. Mais aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, il va s’agir, pour commencer, concernant ce lien de déroutage, d’un simple, d’un très simple cul par dessus tête.

Ce qui n’est déjà pas si mal en terme de souplesse. Mais une souplesse qui en aucun cas ne se soutient de gainer la moindre mollesse. Le souple s’enroule en effet toujours autour de la fibre soutenante. Encore faut-il l’avoir, celle-ci, et repérée, et circonscrite avant peut-être de la définir. Sans quoi les bornes qui cadrent le mouvement sont soit la mollesse, comme cela vient d’être évoqué, soit la rigidité.

Oui, entre inconsistance avérée et brisure programmée, voilà bien là établies les limites de notre cul par dessus-tête, celui auquel m’amène la lecture de ce chapitre 7 du livre de Sigmund Freud, Malaise dans la culture. Il s’agit en l’occurrence tout bonnement d’introduire ce chapitre par ce qui le ponctue.

Cela s’impose tant Freud fait preuve lors de cette ponctuation d’une lucidité clinique dans ses repérages. Lucidité qui n’a d’égale concernant sa qualité que la qualité des analyses à travers lesquelles, il nous aura guidé pour en arriver jusqu’à elle.

Voici donc les termes avec lesquels il clôt le chapitre 7 de Malaise dans la Culture…

Ce qui commença par le père s’achève par la masse. Si la civilisation est la voie indispensable pour évoluer de la famille à l’humanité, ce renforcement est alors indissociablement lié à son cours, en tant que conséquence du conflit d’ambivalence avec lequel nous naissons, et de l’éternelle querelle entre l’amour et le désir de mort. Et, peut-être, un jour, grâce à la civilisation, cette tension du sentiment de culpabilité atteindra-t elle un niveau si élevé que l’individu le trouvera difficile à supporter. On songe ici à l’imprécation saisissante du grand poète contre les « puissances céleste » :

Freud cite alors Goethe avec Les chants du joueur de harpe, dont le héros est Wilhelm Meister.

Vous nous introduisez dans la vie ;

Vous infligez au malheureux la culpabilité

Puis vous l’abandonnez à la peine,

Car toute faute s’expie ici-bas.

Puis il continue.

Et il est bien permis de pousser un soupir quand on s’aperçoit qu’il est ainsi donné à certains hommes de faire surgir, véritablement, sans aucune peine, les connaissances les plus profondes du tourbillon de leurs propres sentiments, alors que nous autres, pour y parvenir, devons nous frayer la voie en tâtonnant sans relâche au milieu de la plus cruelle incertitude.

Je me répète de mille manières. C’est ainsi qu’encore une fois, je le dis, il m’aura rarement été donné comme ici de pouvoir constater combien un chercheur aura pu conjoindre de la sorte implication de soi et regard distancié par rapport à l’objet de sa recherche. Sans doute est-ce là une indication pour concevoir ce qui conditionne la consistance qui peut être accordée ou non à tel ou tel travaux.

En la matière, le fait que l’implication se fonde d’un certain retrait et que la bonne distance – le respect cela s’appelle – trouve ses coordonnées dans le rapport aux faits d’attraction et de répulsion qui la sollicite et sont censés la définir. Ce rapport investi sans fard et sans a priori est ici à coup sûr l’un de ces pivots qui mènent du statut de chercheur à celui de découvreur.

C’est en tous cas le fil d’or qui tisse le parcours de Freud. Un fil d’or qui fait rampe à laquelle se tenir pour mener ou bien suivre jusqu’à son terme son cheminement. Rampe autant que scalpel grâce auquel le frayage de ce cheminement sera soutenable.

Nous pourrions appeler cela fil d’Ariane, qui permet un retour à – puisque, en matière de découverte, s’il s’agit de dé-couvrir, cela ne revient à rien d’autre qu’à remettre ses pas dans les traces de ceux qui sont déjà passés par là pour couvrir, pour cacher la chose quelle qu’elle soit, objets, trésor,… ou inconscient.

Ou inconscient, oui, puisque concernant le refoulé secondaire qui en fait le lit et qui fait, durant une analyse, office de trésor caché, il est accessible au chercheur. Avec cette particularité, ce spécifique dont se dénote l’inconscient, que le chercheur sera celui-là même qui l’aura caché ce trésor.

Notons donc en passant, à ce niveau, qu’une découverte – celle de l’inconscient – n’est pas une création. Mais qu’il s’agit pourtant d’être créatif pour y accéder.

En tous cas, revenons-y, l’expression utilisée par Freud n’est pas fil d’Ariane mais roten linen – Fil rouge. Fil rouge, expression connotée dans l’œuvre de Freud puisqu’il l’évoque en tant que faisant la trame d’un bon mot qu’il rapporte dans son livre Le trait d’esprit et sa relation à l’inconscient.

À cette occasion il fait alors retour sur l’origine de cette expression et nous rappelle que dans la marine anglaise, pour éviter le vol des cordes, un fil rouge était placé au cœur du tressage des fils les composant, ce qui rendait dés lors impossible la revente des cordes volées. Ce marqueur, ce fil rouge ainsi disposé, a pour nom l’âme.

Notre fil rouge du jour nous permettra, à nous, de remonter les flots furieux, les courants cachés, les tourbillons invisibles et les lames traîtres que Freud aura su traverser pour nous en livrer une cartographie fidèle.

Oui, désormais le repérage est possible, ce qui ne veut pas dire que l’évitement du tumulte, lui, le soit. Loin s’en faut. Cela d’autant moins qu’il apparaît que le fil rouge dont il s’agit, tel que spécifié par Freud, relie tout être humain à lui-même ainsi qu’à la communauté dont il fait partie.

À partir de là, ce qu’il s’agit de déterminer c’est si ce fil rouge est rouge de honte ou pas. Puisqu’en effet, ce que Freud pose est que ce fil n’est rien d’autre que la culpabilité.

Dés lors, depuis la reconnaissance de la culpabilité comme matière première et comme motif déterminant la teneur des relations humaines et après que Freud nous en ait livré les rouages et les agencements, peut être ne nous reste-t il plus qu’à tenter d’en cerner l’identité.

Ce qui revient tout bonnement, pour ceux qui s’y collent, à déterminer si il est, ce fil, coupable ou non.

Sans doute cette question est-elle le carburant qui alimente la course turpitudinale du personnage de la chanson On the run interprétée par le groupe OMC

Chapitre 1

Du coupable au coupé, les excuses de la coupure

Petit préambule. Il peut être question encore une fois de m’entendre sans avoir lu Freud. Ici le chapitre 7, avant dernier de son livre Malaise dans la culture. Je vais poser alors ce qui ressort de cela.

Si le fait de ne pas le lire est une résistance, concernant ce chapitre, elle est celle qui illustre cette passion que révèle précisément la pratique de la psychanalyse, la passion de l’ignorance. Cela au moins, maintenant que c’est dit, vous en avez désormais connaissance. Ce qui ne veut pas dire, loin s’en faut, que c’est suffisant pour en faire un savoir.

Alors, puisque de cul par dessus tête il est question, commençons par la fin donc. Une fin qui prend la forme d’une réitération des excuses que Freud a déjà formulées à plusieurs occasions et sous différentes formes lors du déroulé des précédents chapitres.

La séance d’excuses de la fin de ce chapitre 7 amène à considérer qu’en réalité elles ne sont pas présentées en réponse à une quelconque bienséance à laquelle Freud viendrait se soumettre venant en cela reconnaître le fait qu’il a effectivement entraîné, disons à leurs corps défendant, les lecteurs à sa suite dans les méandres serrés de ses recherches.

Si, concernant ses excuses, le ton qu’il utilise alors n’est pas feint et si les points d’appuis de ses justifications ne sont pas des arguties, cela n’empêche que dans tous les cas où cela se présente dans son livre, jusqu’à celui qui nous intéresse aujourd’hui, il s’agit tout de même bien pour lui d’enfoncer le clou.

Enfoncer le clou au sens où malgré ses excuses il n’est en réalité rien d’autre, ce clou, que le fait de pleinement assumer les difficultés inhérentes au cheminement jusque là resté inexploré menant au lieu où d’autres ont pu arriver avant lui par des voies plus directes que les siennes.

J’avais déjà souligné à ce sujet qu’en nous obligeant à le suivre sans nous épargner quoi que ce soit des difficultés rencontrées et résolues par lui, il ne faisait rien d’autre que de nous aménager une ouverture en nous accordant ainsi à la possibilité de refaire le parcours avec lui afin que nous puissions de ce fait saisir au mieux ses conclusions.

Ceci en réalisant qu’à les suivre ces difficultés, à travers le fil de son récit, il nous serait de prime abord tout à fait possible de nous en détacher, mais que, parvenant indéfectiblement aux mêmes conclusions que Freud, notre choix d’y adhérer s’en verrait conforté. Où l’on constate ici comme souvent, que le substrat sinon démagogique du moins pédagogique, c’est à dire l’intention, colle à la semelle de la moindre générosité affichée.

Mais enfin, aujourd’hui, à la fin de ce chapitre 7, s’il se fait humble devant le poète, dont il reconnaît la capacité à savoir décrire en quelques mots simples ce qui lui aura coûté à lui – et à ses lecteurs – des efforts pharamineux, au-delà de ce que je viens d’avancer, c’est pourtant bel et bien donc une portée toute autre qu’il donne à ses excuses.

En effet, si elles sont, ces excuses, comme celles présentées auparavant, imprégnées d’humilité, c’est d’une humilité que je qualifierais de politique. C’est à dire feinte quant à l’assise de son en-soi sinon trompeuse quant à sa finalité.

En l’occurrence, là comme jamais transpire la reconnaissance pleine – celle qui nécessite de n’être ni humble ni matamore – que Freud peut avoir de la dimension, de toute la dimension, de ce que non seulement il présente, mais de ce que, définitivement, il promeut.

Une dimension qui bien évidemment diffère de celle établie à partir des constatations livrées par Goethe et ce malgré la présentation de commune mesure, la culpabilité, qu’il en fait.

Freud, en guise de ponctuation du chapitre 7 commence donc par désigner en effet leurs conclusions, les siennes et celles de Goethe, comme étant identiques. Mais d’un identisme, si je puis dire, qui lui permet en réalité, pour peu que l’on y soit un peu attentif, de sertir en creux le spécifique – c’est à dire l’identité – de chacun.

L’identité de chacun, ce qui revient à dire l’assise de leur différence. Au singulier le leur différence. Non pas qu’à mes yeux il n’y en ait pas plusieurs de différences repérables concernant cette même conclusion apparente. Mais ce qu’il s’agit là de bien repérer, au fondement de ce qui se révèle, c’est que si la vision de Freud et la vision de Goethe convergent – communauté – cela ne peut se faire que parce que leurs positions, les coordonnées respectives de leurs assises, elles, divergent – identité.

Je fais une remarque rapide avant de préciser l’identité de ce que soutient Freud concernant la culpabilité. Je l’ai déjà dit j’aime bien enfoncer les portes ouvertes. La chute qui suit le coup d’épaule dans le vide à en effet deux conséquences fécondes. La première est de soulever la poussière jusque là accumulée au sol au moyen de la sacralisation des évidences, ce afin de justifier la momification, la mortification de ce qu’elles renferment.

La seconde est de pouvoir lire les traces que l’on y a laissé après la chute, dans cette poussière. Traces qui ne sont en définitive rien d’autre que le véritable motif de la recherche.

Motif étant ici moins à entendre, voire pas du tout, au niveau de la causalité, mais bien au niveau de l’image – comme on évoque le motif d’une tapisserie – mais encore et surtout, au niveau de la représentation. Du symbolique donc.

Alors oui, je m’étale de tout mon long sur la poussière stagnante de l’évidence en avançant que si les constats de Goethe et de Freud convergent cela désigne que leurs positions, leurs coordonnées, leur spécifique divergent.

C’est ontologique, sinon consubstantiel au langage. La même chose dite par l’un et par l’autre n’est pas la même chose. Et là, retour à l’identité de chacun, ce qui en ressort c’est que le motif de la culpabilité – que ce soit celui livré par Goethe ou celui livré par Freud – est unique.

Ce est-unique est à entendre comme vous le voulez. Pour ma part, depuis Freud, singularisation, j’entends qu’il est tunique, en un mot, et je désigne par là la tunique de Nessus. Ainsi, la peau de l’Homme le brûlera de son vivant aussi nécessairement – oui, aussi nécessairement – que celle de Marsyas que j’ai évoqué dans les émissions précédentes. Lequel Marsyas mourut non pas d’être écorché mais, tenez vous bien, de s’être vu privé de cette brûlure nécessaire.

Ainsi, les Dieux n’ont pas à pourvoir à la culpabilité de leurs créatures du vivant de celles-ci. En effet, l’humanité, il n’y a qu’à embrasser le quotidien le plus quotidien pour pouvoir en témoigner, s’en soutient continûment en toutes choses et en toutes occasions de la façon la plus endogène.

Poussons le bouchon de cette réalité et le constat se fait alors que la seule intervention des Dieux digne de ce nom n’est pas d’injecter – coupables – mais de trancher – coupés. Et c’est ainsi qu’en ôtant aux humains leur tunique de Nessus, leur peau coupable, ils signent par là leur arrêt de mort, en les désarrimant de leur culpabilité. Coupés donc pour clap de fin.

Voilà le motif que délivre Freud, une coupure. Un coupure comme motif, voyez-vous cela ?! Autant dire le vertigineux comme rampe à tenir. Ayant désigné cela il ne s’en contente pas et ne se dérobe pas à la question qui se pose alors. Question qui donne sinon son sens du moins sa consistance à une psychanalyse, plutôt que d’en marquer le terme, la coupure peut-elle se conjoindre au vivant ?

Il s’y dérobe d’autant moins à cette question qu’en réalité il l’aborde au cours de l’élaboration qu’il nous présente dans ce chapitre. Et il ne fait d’ailleurs pas que l’aborder, il y répond. Clinicien au scalpel de sourcier, Freud délinée la coupure au sens où il la repère – je l’ai déjà dis précédemment – comme lui étant préexistante, préexistante à lui, découvreur, qui la rapporte.

Avant d’aller dans le sens de l’orientation donnée en réponse à cette interrogation, entendons les poètes, Baudelaire chanté par Ferré, nous livrer en guise de réponse, la leur, ce terrible chant d’éternel non-retour, Remords posthumes.

Chapitre 2

Le fil rouge, du remord au nécessaire malaise

Cette écriture et son interprétation que nous venons d’entendre, sublimes l’une et l’autre, pourraient être qualifiées de version trash du Mignonne, allons voir si la rose de Ronsard et de sa douce et pérenne injonction Cueillez dés aujourd’hui les roses de la vie.

Douce injonction car en l’occasion Ronsard se fait doux. Mais d’une douceur auto-protectrice puisque les pincettes qu’il prend pour incitation à la débauche, ces pincettes ne sont que des aménagements du territoire censés le préserver, lui, Ronsard, des sanctions encourues auprès de son tribunal personnel.

C’est là une pousse du fin’amor, de l’amour courtois, puisque parmi les roses de la vie, ce que désigne Ronsard, précisément, c’est bien la cueillette de La rose parmi les roses n’est-ce pas ?! C’est là ce que j’appelle la douce poésie. Celle qui soutient son désir à lui. Car en fin de compte son poème n’est rien d’autre qu’une façon de noyer le poisson. Noyer le poisson pour au final mieux le voir flotter, pour mieux voir flotter l’expression de son désir mortifié.

Alors pour tout dire, le poisson qui flotte ce ne sont ni les mignardises de Ronsard ni les effluves, quelles qu’en soient les expressions – souvent très folles d’ailleurs – de l’amour courtois. Ce poisson est un corps et ce corps est celui du délit, si je puis dire. L’expression du désir n’est pas qu’amour.

En effet, si, pour reprendre l’expression de Freud, Ce qui commença par le père s’achève par la masse et bien le père en question est expressément celui dont le meurtre par la masse permet à celle-ci de se constituer et de prendre tout son poids. Son poids de culpabilité nécessaire et à son avènement et à son maintien.

C’est ici, sur le thème de la culpabilité, que se manifeste le fait que vous ne pouvez pas faire l’économie de la lecture de ce chapitre du livre de Freud, Malaise dans la culture. Sauf à assumer ceci de déjà dit, que faire l’impasse sur ce qui s’y révèle révèle autant la passion de l’ignorance – je n’en veux rien savoir qui s’en dénote.

Passion de l’ignorance sans cesse mise à jour dans la pratique de la psychanalyse autant que toujours très repérable dans toutes expressions humaines par ailleurs.

Je vais tenter d’illustrer ce qui s’y révèle dans ce chapitre concernant ce je n’en veux rien savoir au sujet du père. Je vais tenter d’illustrer cela, parlant de poisson, en prenant appuis sur deux histoires de repêchages. De repêchage du corps du père.

Après avoir accompagné le frayage que Freud prend à son compte de chercheur, frayage qui, virage après virage ouvrant chacun de nouveaux horizons, nous place finalement au pied d’un mur dont il nous dit que il doit nous livrer le secret du sentiment de culpabilité.

Ce mur est le remord. Celui-là même qui dans un mouvement sans retour est assimilé par Baudelaire à un vers qui rongera la belle ténébreuse dans la longueur éternelle de ses nuits sans sommeil.

Alors donc voici deux brefs exemples qui nous amènent à faire face – de biais – à l’apparition de ce corps. Corps à partir duquel irradie la culpabilité telle qu’investie par la pulsation marquant le lien indéfectible entre l’amour et la haine.

Le premier de ces deux exemples est le film Plein soleil, avec pour acteurs principaux Maurice Ronet, Alain Delon et Marie Laforêt, un film réalisé par René Clément d’après le roman Monsieur Ripley de Patricia Highsmith.

Je suis naturellement peu enclin à révéler le dénouement des histoires que j’évoque afin que celles et ceux qui ne le connaissent pas puissent le découvrir par eux-mêmes. Cela m’oblige à cet exercice de style, fécond au final, qui consiste à livrer ce que j’ai à dire au travers d’un élément que reconnaîtront exprimé à demis-mots ceux qui le connaissent et que découvrirons en leur temps ceux qui ne le connaissent pas.

En l’occurrence, dans ce film, Plein soleil, le dénouement de l’intrigue est un coup de poignard impeccable dans la poignante illusion que le meurtrier s’aménage de croire pouvoir échapper à l’implacable de sa condition de coupable. Le corps qui apparaît alors à l’écran, pris dans les mailles d’un certain filet, livre son message universel, qui est que le corps c’est un corps moins le reste privé de lui.

Ce corps qui apparaît, ou pour être précis, qui réapparaît dans son infortune, ce corps est le corps du meurtre primitif. Celui, nous dit Freud, par lequel s’érige et s’agrège la civilisation au nom de l’amour du prochain – mais pas du précédent. Ce corps là est coupé de son reste à lui, c’est à dire que le corps du crime est coupé du corps de la civilisation – on dirait maintenant du corps social – il est coupé du corps de la civilisation qu’il conditionne pourtant.

La chose est évidemment réflexive mais pas symétrique. Ainsi, en retour, la civilisation n’est pas coupé de son reste à elle, c’est à dire du corps du crime qu’elle aura perpétré. Elle n’en est pas coupé de son reste, elle en est coupable. C’est sa condition. Un lien de culpabilité dont elle dépend absolument.

À partir de ce reste, une chose à dire pour commencer. J’ai déjà souligné plusieurs fois que l’expression D’ailleurs… est à entendre pour ce qu’elle est. C’est à dire un ailleurs valant pour preuve. Et bien je reprends maintenant cette affirmation d’un ailleurs radical, différentiel incompressible valant pour seule validation de la réalité humaine, je reprends cette affirmation à partir de l’expression Du reste…

Un Du reste bifide n’est-ce pas puisque comme nous venons de le voir ce reste représente et la civilisation au regard du corps du meurtre primitif et le corps du meurtre primitif au regard de la civilisation. C’est bien cette dernière perspective – le corps du meurtre primitif au regard de la civilisation – que j‘évoque au travers de mes deux exemples.

Et justement, le deuxième de ces exemples dira peut-être quelque chose à certains d’entre vous puisqu’il fait partie de l’actualité kleenex quotidienne dont nous disposons pour satisfaire à l’écoulement de nos culpabilités. La source ici n’est jamais tarie.

Ce que je vais évoquer est le meurtre du gendarme Arnaud Beltrame lors d’une prise d’otage dans un supermarché le 24 mars 2018. À l’époque quelque chose m’avait gratté l’oreille et j’étais alors parti à la pêche aux renseignements. Voici ce que j’avais pu découvrir.

Ceci, que quelques mois avant les faits, le père du gendarme est parti en mer, laissant une lettre à la capitainerie du port, lettre dans laquelle il disait sa volonté de se suicider. Le bateau fut retrouvé, mais pas son corps. Six mois plus tard, quelque temps avant la mort du fils dans les circonstances que nous savons, un pêcheur ramena dans son filet le corps du père. Corps que le fils, Arnaud Beltrame, alla identifier à la morgue une semaine avant donc de se livrer au preneur d’otage en lieu et place de l’une des employées du magasin et de se faire tuer. La nature de la forme pronominale du se faire tuer étant ici plus que jamais à souligner.

Ce que je relève moi, dans ces deux histoires – j’insiste sur le mot histoires – c’est que la trame qui s’en coud – comme pour toute histoire – est une réponse (x) donnée en fonction (f) de la structure que découvre Freud. Structure dévoilée par le remord qui, dit-il, je le répète, doit nous livrer le secret de la culpabilité. À savoir que, pour ce qui en est du meurtre du père, la haine qui l’origine n’empêche l’amour qui en ressort.

Voilà pour la structure faisant office de fonction. Et c’est pour cela que j’appuie sur l’historisation consensualisante de la chose, pour mieux désigner le fait que c’est de la structure (f) que s’exsude l’histoire (x). Et c’est pour accéder à cela, vous l’aurez compris, que Freud, psychanalyste, part du (x) pour toucher au (f).

Ainsi, pour tout un chacun, il suffit d’avoir souhaité la mort du père pour que le remord inhérent à ce souhait fasse passerelle à la culpabilité. Une fois exécuté ce passage de témoin la culpabilité se soldera a contrario en quelque sorte. Elle se résoudra en effet en remettant, dans un contrat de bail sans fin, les clés du châtiment à la victime désignée, au corps du crime.

Autrement dit, que le père soit mort réellement ou non, peu importe. Ce qui est suffisant mais nécessaire c’est le souhait de mort à son encontre. Un souhait nécessaire au regard de l’effet direct que cela aura de l’ériger en ce Du reste au principe toujours actif – pour ne pas dire vivant – dans l’inconscient de chacun.

La réapparition de ce corps mythique, de ce reste, dans la réalité est une préfiguration du totem qui, lui, donne accès, fait liaison avec le du reste.

Un Du reste à partir duquel le mortifère, le malaise, fera florès. Malaise dans la civilisation, malaise au cœur de la civilisation et pour tout dire malaise cœur nécessaire de et à la civilisation. Symptôme. C’est là le credo de Lhommalaise.

Maintenant, je ne peux clore ce chapitre sans actualiser ce qui vient d’être avancé. Au sujet de la mort du père, oui, quelques mots encore pour vous permettre à vous qui m’écoutez de vous pencher d’un angle nouveau sur la question. D’une touche, comme ça, en passant, chose à entendre, le père, ce n’est pas le patriarcat.

Le patriarcat c’est une vision. C’est à dire un abord imaginaire, une assignation de la place de l’homme par les différentes parties concernées, et la femme et l’enfant et l’homme.

Un abord imaginaire oui, ce qui est tout différent du registre dans lequel se situe le père mythique mort. Registre qui est celui du symbolique. Quelle différence me direz-vous ? Et bien celle-ci, significative, qui est que, à confondre les deux, comme notre époque nous en fait l’injonction, la portée du père mort telle que définie précédemment – symptôme, malaise dans la culture – cette portée est détournée au profit des effets d’une pensée situant le père comme étant à tuer réellement.

Notre quotidien est le reflet de la pente rude creusée par cette orientation. Ce qui s’en profile, pour en revenir au fil rouge et à son âme, c’est qu’à vouloir le meurtre sans culpabilité, le lien ternaire qui pouvait être qualifié comme je l’avance ici de Noeudipe – un nœud à trois qui enserre l’objet du désir le nouage de l’œdipe – le Noeudipe ternaire entre le père la mère et l’enfant se mue alors en binarité univoque.

Binarité univoque qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que la culpabilité qui fait lien d’indécision, disons d’incoupabilité, enfin, d’impossible victoire ou défaite définitive entre l’amour et la haine – dont je rappelle que Freud nous dit qu’ils se font face et que leur lutte est le contenu essentiel de la vie – et bien cela veut dire que ce lien est censé disparaître.

Et le moindre constat que l’on puisse établir à partir de là – retour à notre cher quotidien – c’est qu’alors l’amour et la haine ne se font plus face. Ils fusionnent et deviennent méconnaissables. C’est à dire autant non identifiable un par un que non discernable l’un de l’autre.

D’un point de vue économique et sociétal comme l’on dit maintenant, pourquoi pas ?! C’est ce que j’ai appelé en son temps le commutalisme. Lequel commutalisme situé partout d’être nulle part et nulle part d’être partout se spécifie de ne pas avoir d’impossible.

Mais dans un autre registre, celui où se qualifie la réalité de ceux qui parlent, les humains, ce désormais non discernable entre l’amour et la haine, c’est le risque pour eux de voir prendre corps l’avènement sans partage… de la communication. C’est à dire, de l’ordre psychotique en marche.

Non pas la psychose comme cela est régulièrement avancé dans les journaux qui parlent de véritable psychose pour dire la peur qui saisit telle ou telle population dans telle ou telle circonstance, non.

Non, l’ordre psychotique en marche dont il s’agit en vertu de la communication est celui qui se caractérise ainsi que tout/tout parle au sujet. Sujet qui n’a alors de cesse que de répondre à cette parole aux sources multiples, anonymes et pulvérulentes.

Je dois dire que c’est là une des réponses possibles, pourquoi pas, une alternative à la manière d’investir la place du mort.

Mais alors, sa fonction, la fonction de la place du mort jusque là nécessaire, nécessaire de qui ne cesse pas, mais alors la fonction de la place du mort dévolue au père mythique, sa fonction n’est plus d’assurer un mouvement continu et nécessaire à l’avènement du groupe et à la pérennité de la masse.

Désormais cette fonction ne confine plus qu’à son propre développement coupé de tous liens avec les instances – haine, amour – au service desquelles elle officiait jusqu’alors, si ce n’est comme instance de régulation du moins comme ambassadrice de l’une à l’autre.

Via les mass-réseaux et grâce à l’auto-suffisance vorace qui en découle, la fonction de la place du mort ne sert plus que son propre développement, autarcique et endogène.

Une voracité exponentielle et sans butée dont le petit nom d’usage contemporain – contemporain cela ne veut plus dire qu’obsolescence programmée – une voracité exponentielle dont le petit nom d’usage contemporain est développement durable. Comme il se doit.

Lequel développement durable, rejeton de la belle âme Hegelienne – âme qui nous resitue au cœur du fil rouge – lequel développement durable donc, sous couvert de préservation, ne dispense en réalité comme seul horizon que de satisfaire à son propre embaumement.

Ainsi bien évidemment qu’à la mortification de ceux qui, avec amour, toujours, en cultivent et en transmettent le savoir faire.

Jean-Thibaut Fouletier

Le 06/12/2022

Alors ami auditeur, 
si le nouage est un art autant qu’un symptôme, 
sauras-tu de l’un à l’autre, 
entre coupable et coupé,
faire acte de dénouement ? 


Rendez-vous est donné dans quelques semaines pour la neuvième émission de L’Hommalaise. Il y sera présentée la fin de l’interprétation du livre de Sigmund Freud Malaise dans la culture via son dernier chapitre. 

Vous pouvez retrouver l’intervention d’aujourd’hui en podcast sur le site de la radio RDWA - R-D-W-A.FR, ainsi que, accompagnée de sa version écrite téléchargeable, sur le site de Jean-Thibaut FouLEtier, tybolt.fr, T-Y-B-O-L-T . FR 

La course de Pauly Fuemana, chanteur du groupe OMC, dans la chanson On the run que nous avons entendue précédemment, est effrénée. Cela ne l’a pourtant pas empêché de mourir le 31 janvier 2010 à 40 ans d’une maladie dégénérative, la polyradiculonévrite chronique. 

La course de Bob Marley, elle, aura été plus chaloupée sans doute. Ce qui ne l’aura pas pas empêché de s’effondrer lors d’un footing à Central Park le 21 septembre 1980, première manifestation du cancer qui l’emporta le 11 mai 1981 à 36 ans. 

Mais il court toujours le Bob pour tenter de trouver le lieu de lui-même, jamais à court pour cela du véritable carburant que nous savons désormais, la culpabilité. Il court et il court et il court encore dans ce Running away de légende si  fraternellement partagé.