Lhommalaise 4-chapitre 4 partie 1/2 (émission de radio)




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UNE SÉRIE D’ÉMISSIONS DE  JEAN-THIBAUT FOULETIER

AVEC LA PARTICIPATION DE BLANDINE DESVIGNES

Émission numéro 4 :   Le sexuel à la trace de son odeur  - 1ère partie  

A écouter ICI


«Régime sans sel !», lui prescrivit son médecin,
Il du renoncer à ses vacances en bord de mer.

Denis Langlois

Il faut, si l’on veut vivre,
 Renoncer à avoir une idée nette de quoi que ce soit.

Gustave Flaubert


Chapitre 1 

Représentations  


Le quatrième chapitre du livre Malaise dans la culture de Freud est relativement court. Pour autant, comme pour les autres chapitres et comme pour ce que présente Freud en général, il est bien difficile de le commenter. Avec cette première raison, déjà avancée, les choses paraissent tellement aller de soi qu’elles peuvent sembler se suffirent à elles-même et ne pas nécessiter ni développement de l’ordre de l’explication redondante, ni de commentaires qui seraient alors de l’ordre de la boursouflure.

Mais il y a une deuxième raison à cela. Une deuxième raison qui est la méthode par laquelle Freud avance. Celle d’une logique certaine. Les ressorts de son mouvements sont disposés de telle façon qu’ils se révèlent les uns les autres dans la nécessité qu’ils ont de jouer ensemble. S’immiscer dedans parait ne pas laisser d’autre alternative que de casser cet ensemble ou bien s’en faire broyer.

Dire que les différents éléments disposés par Freud sont dans la nécessité de jouer ensemble comporte cependant une ambiguïté que je voudrais lever. Il ne s’agit pas de comprendre qu’ils sont agencés de telle façon et pas autrement afin de satisfaire à une vue de l’esprit, mais plutôt que leur ordonnancement répond à la découverte d’une suite logique. 

Une logique précise puisque étant à son tour à prendre non pas sur le versant du bon sens mais sur celui d’une chaîne structurelle jusque là ininvestie qu’il s’agit pour Freud, après l’avoir mise à jour, de porter à la connaissance de ses lecteurs; collègues ou non. 

Freud nous prend par la main en nous disant en substance, J’ai déjà fait ce chemin, il est incroyable, mais je veux bien le refaire avec vous. Certes pour que vous puissiez y goûter, mais aussi parce qu’ainsi j’y goûterai à nouveau. A ceci près, que lui, en bon chercheur, y goûtera à nouveau non pas comme un met dont on ne se lasse pas, comme un repas qui aurait la propriété de satisfaire les papilles sans jamais rassasier pour continuer à nourrir ainsi l’envie plaisante. Il y goûtera à nouveau comme marquant le pas suivant de sa recherche en direction de sa prochaine découverte. Puisque Freud et cherche et trouve et cherche à nouveau et trouve encore. Ou pas. 

A propos de cette logique - qui est celle des lois du logos - et de ce qui est d’en tirer le fil, cela me permet d’évoquer deux textes scintillants de Patrick Valas. Le premier a pour titre La psychosomatique, un fétiche pour les ignorants, dans lequel il rappelle le distinguo établi par Lacan concernant le langage, la coupure, la séparation de l’Homme à lui-même. Distinguo posant que ladite coupure ne passe pas entre le corps et l’esprit mais entre le psychique et le logique. Le second texte, La dépression n’existe pas... la douleur d’exister oui, est de la même veine.        

Leurs titres sont suffisamment clairs pour exprimer que les butées décrites comme telles, la psychosomatique dans l’un et la dépression dans l’autre, sont des points d’arrangements enkystés dans la parole de ceux qui y inscrivent la limite de la logique qu’ils peuvent supporter. Car oui, la logique se supporte pour chacun jusqu’à un certain point. Et oui, si d’une façon ou d’une autre ce point est déclaré punctum, c’est à dire lorsque le sujet s’y arrête, il y a alors tout lieu d’y voir un arrangement de sa part. 

Un arrangement cela veut dire, comme cela se passe dans le roman éponyme de Eliah Kazan, que si il n’y a pas une main surgie d’on ne sait où pour saisir le volant et mener à l’accident, le conducteur continuera à rouler sempiternellement sur la même route, celle de sa répétition, sans même s’en apercevoir. Dans le champ de la psychanalyse, l’accident peut se nommer lapsus, oubli, ou encore acte manqué et il vient répondre à la composition névrotique et à sa partition répétitive.

La reconnaissance du malaise décrit par Freud, malaise inhérent à toute vie humaine ainsi qu’à la civilisation, fait suite à ce travail de repérage logique dans le discours de chacun lors d’une psychanalyse. A partir de quoi peut se découvrir, se dévoiler ceci, que tout le monde vit en feignant de l’ignorer, que c’est la discordance de la parole qui est originelle, pas le péché. 

Cela peut être éclairé par cette petite drôlerie issue de mon quotidien. En effet, l’une de mes connaissances a pour prénom Cerise et pour nom de famille Pommier. Pourquoi pas. La cerise, fruit du pommier… comme dans la bible la pomme fruit du péché. Vous aurez bien saisi que la logique se supporte ici de soutenir que par homophonie, le péché peut dans ce cas avoir pour terminaison é ou er et ainsi représenter aussi bien la faute dite originelle que tel arbre fruitier. 

Ces différentes possibilités, effectives et permanentes dans la réalité, sont de fait la représentation de ce que j’appelle la discordance. Et cette discordance est originelle au langage. Si la pomme est le fruit du péché - é , ça n’est pas que le péché s’y origine, la tentation, le paradis perdu,..., mais qu’elle, la pomme, puisse également tout à fait être la production du pécher – er. Et de l’un à l’autre s’étend le champ de l’inter-dit...

Ces deux discordances apparentes, la première homophonique entre le péché-é et le pêcher-er, la seconde, logique, celle visant le pêcher arbre fruitier produisant la pomme, désignent l’incompressible et permanente distance qui régit le rapport des humains à eux-mêmes. Distance que leur impose le langage. L’être parlant, le parlêtre, est pommé, à découvert, entre ces deux feux. C’est le malaise. 

Malaise par rapport auquel l’Homme se targue de trouver un semblant d’aise - un semblant d’à l’aise - une assise, en promouvant le péché, biblique ou non, comme cible privilégiée. Cela non sans raison, puisque le péché, en tant que référence, en tant qu’assise, en tant que cible, n’est jamais manqué, car immanquable. Cela de ce que n’importe quel objet peut satisfaire à y toucher. Et ne manquant d’ailleurs pas à le toucher comme cible. Mais attention, dans un rapport de réussite qui est celui...de toujours la manquer, la cible. 

C’est ça l’immanquable, la réussite du foirage soutenu concomitamment par la discordance homophonique et plus largement encore, par celle du sens qui jamais au grand jamais n’est univoque. Le mot ne colle pas ni à La chose ni à une chose. C’est un impossible.  

Comme la fille de Freud, encore toute petite, vise et touche la nuit dans ses rêves aux mets interdits durant la journée, f.aises, g.osses f.aises, flan, bouillie  nous pouvons continuer la série indéfiniment. En lisant un dictionnaire, une encyclopédie ou plus simplement, via notre censure personnelle, en établissant chacun notre liste Pomme, cerise, bonheur, le monde d’avant, le paradis, le monde d’après,... Soit le pétrin satisfaisant de notre pain quotidien. Ainsi soit il.  

Pris en tenaille donc, pince dont l’Homme moderne se persuade de pouvoir s’extraire via le mirage, voire, à ses yeux, le miracle, que lui permet sa vision grandiloquente autant qu’obtuse de lui-même. Ce que nous allons aborder maintenant. 

Dans le chapitre trois de Malaise dans la civilisation Freud avance que l’un des éléments qui caractérise une civilisation est la pérennité de certains de ses traits qui ne semblent pourtant pas indispensables, ni essentiels. Notamment le beau.

Mais nous réclamons davantage à la civilisation et nous souhaitons voir encore ces mêmes pays satisfaire dignement à d’autres exigences. En effet, nous n’hésitons pas à saluer comme un indice de civilisation ce soucis que prennent les hommes de choses sans utilité aucune ou même en apparence plutôt inutiles (…). 

Cet «inutile» dont nous demandons à la civilisation de reconnaître le prix n’est autre chose, on s’en rend compte immédiatement, que la beauté. Nous exigeons de l’homme civilisé qu’il honore la beauté partout où il la rencontre dans la nature et que des mains mettent toute leur habileté à en parer les choses.   

Il se trouve que récemment, l’un des représentants de ce que peut être l’Homme très à l’aise, a, avec beaucoup de gravité promu la nécessité conjoncturelle que les civilisés devaient apprendre à se passer de l’inessentiel…. C’est dire si, de la rampe tenue par Freud à l’oiseux de la gouvernance actuelle, nous sont proposées deux visions de la civilisation animées par un feu ne brûlant pas du même bois. 

Oui, deux abords de la civilisation aux lois de la gravitation dont la parole de Giordano Bruno fait ligne de départage. Ainsi, d’un côté l’Homme qui fait maison commune avec le soi-disant inessentiel sait qu’il n’est pas au centre du monde. Il en accepte la blessure narcissique. Alors que de l’autre côté, l’Homme qui décide de s’en passer le fait au nom de son géocentrisme moderne, à l’aise. 

C’est la gravité de cet Homme à l’aise qui le maintient, selon sa volonté, au lieu précis de sa propre parole où il ne veut pas se savoir. Cette gravité est le lest de son ignardise - qui rime ici avec la couardise du Je n’en veux rien savoir. Un géocentrisme actualisé au fondement de son univers.
  
Il y a quelques années Luc Ferry soutenait très mass- médiatiquement que certaines civilisations sont plus avancées que d’autres. Il le soutenait comme une évidence. Évidence lui permettant l’économie d’en faire la démonstration. Cela bien sûr avec la morgue teintée de dédain, d’arrogance et de suffisance que confère l’entre-soi. 

Un entre soi, remarquons-le, cimenté par l’absence d’arguments dans ses prises de positions. Absences d’arguments que l’entre-soi, du simple fait de son effectivité mondaine, fini par valider. C’est l’auto-validation de fait, le cœur de la suffisance, ou comment donner corps à l’innéité de l’inconsistance. 

Et bien, juste retour des choses - pour le coup ce sera à vous de juger la consistance ou non de ce juste - c’est par l’évocation d’une publicité pour une conférence donnée par le ministre philosophe que nous allons faire retour sur la notion du beau dans la perspective que disait Freud. Celle de faire critère civilisationnel nécessaire malgré son caractère apparemment dispensable.

La publicité de cette conférence tenue par Luc Ferry était placée dans le - dispensable pour le coup - supplément WE du journal Le Monde. J’ai écrit en 2015 un texte à propos de cette publicité, texte dont le titre est Les Ambassadeurs et le bon samaritain. Il s’agissait de relater et d’analyser le parallèle qui peut être fait entre le tableaux de Hans Holbein Les Ambassadeurs et l’image de cette publicité.

Les Ambassadeurs est une toile qui a été peinte au 16ème siècle. C’est une figuration des vanitas. Tous les incontournables du genre y sont figurés concernant les représentations des connaissances humaines et la place des hommes sur terre et dans l’univers. Tout les codes sont respectés, donc, mais il y a pourtant dans ce tableau bons nombres de mystères qui ont motivé des siècles durant, dans des domaines divers et variés et de la part de savants patentés, les recherches les plus pointues. 

Le plus célèbre de ces mystères, prend la forme d’un objet déformé à l’extrême par le procédé d’anamorphose. Tant et si bien qu’on ne peut le reconnaître. Il s’agit d’un crâne humain. Il aurait en effet été étrange, voire inexplicable que ce crâne, symbole des symboles des vanitas, n’ait pas été figuré dans l’œuvre de Holbein. Lacan aura précisément analysé la chose dans le séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse en 1964.

Pour y revenir, mon texte établissait donc une analogie entre les divers éléments composant ce tableau et ceux constituant l’image de la publicité de cette fameuse conférence donnée 4 siècles plus tard. À propos de cette dernière, à la volée, voici les informations qu’elle nous livre. Bernard Magrez, l’un des hommes les plus riches de France, présente Luc Ferry, écrivain et philosophe, qui va nous entretenir à propos de la solidarité et de la fraternité, dans le cadre des nuits du savoir, à la sorbonne, dans l’amphithéâtre Durkheim. Rien que ça… ! Ah non, apparaissent encore quelques sphères armillaires, sur fond d’univers. N’y manque que l’image du Créateur.  

Je plaisante, mais, si Tout semble là, l’analogie établie révèle qu’il manque effectivement pourtant un élément. Pas le moindre et pas pour rien. Comme vous l’aurez deviné, il manque le crâne. Il ne s’agit pas d’un oubli à classer dans le registre de l’acte manqué. Non, sous couvert du Tout pouvoir il s’agit simplement d’une véritable impuissance. Impuissance à toucher à la limite. Pour le dire une énième fois, impuissance à toucher à l’impossible. Et c’est bien par là qu’est ainsi exposée la grande et belle vanité.

Cela a pour effet ici de priver ceux qui auraient été placés sous le regard du crâne de la possibilité de s’y reconnaître au seul endroit qui vaille : là où ils se manquent. Là où ils ne sont pas. Au lieu de leur vérité, là où se manifeste leur désêtre. 

Une vérité qui au contraire est représentée et située dans le tableau puisque le crâne y est « finalement » - le finalement est entre guillemets - le crâne y est « finalement » repérable en tant que tel, ce depuis un point unique de la salle du musée où il est exposé, à Londres. Un lieu précis ou la distorsion, la discordance, par une redistribution des lignes de la perspective Euclidienne, se livre, donc, en vérité. 

C’est à dire pour ce qu’elle est, à entendre, pour ce qu’elle traduit de manque à être. Cela après qu’ait été présentée, via l’anamorphose, la possibilité de croire que cela puisse ne pas être le cas. C’est à dire que l’escamotage puisse s’en faire. 

A revenir sur cette image publicitaire - Valeur ajoutée qui n’a pas lieu d’Être - et  à la regarder on est censé se sentir comblé par les boursouflures des connaissances qui nous sont proposées. Mais également, et vraisemblablement surtout, par la satisfaction de dupe que procure le mirage de la complétude. Il faut bien le dire pourtant, ce mirage n’est ici que l’effet des vendanges produites par la langue du capital. 

Ce dernier, à se payer le crâne de la vérité au prix d’une danseuse philosophe, boit jusqu’à plus soif le vain (v- a- i- n) de sa propre vanité et jouit de son ivresse qui mène sans échappatoire du consumérisme à l’auto-consumation. 

À partir de ce constat il n’y a pas à s’étonner de ceci, si remarquable en soi mais également par le fait que cela passe sous les radars, il n’y a pas à s’étonner de ceci donc qu’il n’y a plus de représentation des femmes et hommes politiques en peintures comme cela s’est fait, comme cela a été possible pendant des siècles. Plus de représentation en peinture des représentants. Sujet traité dans un autre écrit, toujours à partir du tableau Les Ambassadeurs, où je proposais de saisir que…

Si l’Ambassade est le lieu d’une parole portée, - il s’agirait pour celui qui y officie - l’ambassadeur - de se poster à la hauteur de ce qui ne cesse de choir du texte qu’on lui a remis - pour en représenter le corps manqué - via le message qu’il doit transmettre. 

Quand les représentants se défaussent de l’éthique qui en ressort, les atours de la satisfaction cynique s’en parent. Autrement dit - ils s’emparent de ces ambassadeurs de peu - et la norme qui frise alors le style de ceux-ci les profile, qui ne le sait - embarrasseurs de parole vive - tout autant qu’embrasseurs de parole morte.     
      
Ce que cela dit, c’est qu’une civilisation dont les représentants se donnent à être comme étant dépourvus du manque qui les fondent légitimes à porter la parole de ceux qui les ont institués - autrement dit des représentants qui peuvent tout, sans limite - une telle civilisation aura le fort désagrément de constater que ceux-ci, de s’imaginer inaccessibles, en deviennent irreprésentables. C’est à dire qu’ils peuvent évidemment être photographiés ou bien encore filmés. Mais représentés en peinture non ! Et ce pour une raison très simple.

Partons de l’inaccessible. A ce niveau le constat se fait qu’au jeu du pouvoir désormais tout le monde a accès. Et pile et face. Un pile et face à lire dans la redoutable ambiguïté que livre sa résolution, pile efface. Voire, concernant cet effacement, la publicité évoquée précédemment. Elle est le reflet du faux-semblant de la maîtrise ob-scène affichée de toucher pile au but, sans distance à la chose. Reflet qui se manifeste de ce que n’apparaissent ni tête de mort ni face de représentants. 

Voilà ce qui nous livre les coordonnées où l’enjeu de ce qui vient d’être parcouru se situe. Pile au cœur de ce que cible la parole s’absolvant de la représentation pour au final en perdre la face. Celle du sujet. Or s’il n’y a plus de sujet représentable cela règle le sort de la représentation en peinture des représentants actuels du pouvoir. 

De n’être pas sujet il ne peuvent y être repris comme objets car la peinture est un art de la représentation du sujet. Cela peut vouloir dire par exemple représenter au mieux ce qu’il y a d’absence en lui - énigmatique sourire de qui vous savez. Disons pour en revenir à Freud que c’est l’un des biais du beau. L’habillage pour révélation du manque. Nous ne sommes pas loin de l’Annonciation. 

Pas si inessentiel donc mais de fait incompatible avec la toute puissance du sans limite ni tabou qui fait lit à la moindre parole des décisionnaires contemporains. Sans limite ni tabou mis à part le manque et l’incomplétude bien entendu.

Bien. Alors maintenant quoi dire d’autre depuis cela si ce n’est que cette représentation, par le symbole, trouve son pendant dans le diabole, qui, lui, est de l’ordre de la disjonction. 

Et puisque dans l’émission précédente de Lhommalaise j’évoquais le rire au-delà du tragique, mettons aujourd’hui que du diabole au diabolique, à l’instar du péché à entendre comme chacun peut, comme nous l’avons évoqué, il ne nous reste plus qu’à disjoindre la phonie Luc Ferry pour la rassembler en Lucifer. Pire de touche civilisationnelle, d’en prêcher la graduation, afin, en bon télévangéliste, c’est à dire en bon missionnaire, d’alimenter sa propre chapelle. Serviteur... Oui, un serviteur dont le servile, au-delà du tragique qu’il véhicule, provoque  in fine notre hilarité.

Bref, pour résumer, comme nous venons de le voir, les représentants du pouvoirs sont eux-mêmes irreprésentables en peinture de s’afficher et de se croire  être sans limite. Cela de penser être en mesure de les abolir toutes. Y compris l’organe de représentation qui les fonde, le langage, et les lois qui en livrent la structure. Ils ne sont plus représentables d’imaginer pouvoir s’en affranchir. 

Se targuant d’être absolument ancrés dans leurs prérogatives ils sont en réalités tout à fait désarrimés de ce qui les fondent ces prérogatives. Notamment cette notion que Freud évoque largement dans son chapitre 3, le renoncement. Oui, désarrimage de la représentation, c’est à dire, tout de même, de ce qui est censé établir le lien entre le collectif et l’individuel dans le registre de l’expression d’une civilisation.  

Le renoncement y est intimement lié à ce désarrimage de ce que les représentants actuels du pouvoir l’ont  banni de leur pratique. Ils ne renoncent jamais en rien, autant à ce qu’ils posent comme ligne d’horizon, qu’à ce qui la motive cette ligne d’horizon. Ce à quoi la psychanalyse oppose  cette formule après que sa rude pratique lui y ait donné accès, l’objet du désir n’en est pas la cause. Confer la pomme fruit du pêcher....

Faire de l’objet du désir la cause du désir est la confusion qui motive la politique de la non représentation que nous connaissons. En effet, confondre, la réponse qui est apportée à une donnée à la cause qui motive cette donnée revient dans le cas du désir à subsumer celui-ci dans la catégorie objectale. Exactement, comme nous l’avons déjà dit, ce que promeuvent les pratiques en vogue telle que le comportementalisme. Et c’est précisément ce qui se diffuse - comme un virus - via le symptôme contemporain de l’univocité. Univo-cité de la langue pratiquée et des injonctions qu’elle véhicule. Cela s’appelle la communication.   

Le moteur de cette politique de non représentation est donc de bannir le renoncement - Yes we can, Ensemble tout est possible... et autres fariboles - renoncement qui lors de sa mise au ban emmène dans ses valises rien moins que ce que représente la représentation. A savoir, pour y revenir, le manque à être - Malaise. Manque à être dont la reconnaissance garantit pourtant le lien de chacun à ce qui assure la stabilité de son discours - le rapport à son désir - et valide le lien entre l’individu et le collectif - le rapport à l’échange.

Le renoncement à la complétude est un accord qui mène au désir, renoncer à cet accord est une impuissance qui mène à la dissolution, puis à la perte de ce désir.

Avant d’aborder le deuxième chapitre du jour prêtons l’oreille aux Visages officiels que va nous présenter Gaël Faure, le régional officieux de l’étape...



Chapitre 2

La cotation du sexuel

Freud nous avance la chose ainsi, qu’au début, les conditions étaient réunies ou semblaient l’être pour que l’évolution de la vie en groupe se passât bien. Éros et Ananké y veillaient qui avaient permis que le plus grand nombre se rassemblât, puis puisse maîtriser son environnement et enfin que s’accroisse la communauté. Comme il était autrefois de coutume d’introduire les actes de divorces, donc, Au début tout avait bien commencé. 

La question que pose Freud à ce point de son exposé est de savoir comment cette martingale royale potentielle n’a pu se matérialiser et comment il n’en a jamais rien été. Avant de répondre à cette question, enfin, pour mieux y répondre, il propose de revenir sur un point qu’il estime avoir laissé en suspens précédemment. Celui de l’amour admis comme l’un des fondements de la civilisation. Nous allons le suivre dans cette présentation en repérant comment dans la trame de son chapitre il entreprend de lier et de délier, de nouer et de dénouer, c’est selon, les rapports entre l’amour, la sexualité, l’individu et la civilisation. 

L’amour et la sexualité dit-il en substance peuvent-être considérés comme les éléments déterminant de la relation à l’autre pour l’équilibre de soi et ainsi être placés au niveau d’un engagement total par certains d’entre nous. Il rappelle que ce type de positionnement existe depuis toujours et que depuis toujours les sages de tous bords ont déconseillé de suivre cette voie qui se caractérise par la dépendance à l’aléatoire. On est jamais certains de la position tenue par l’objet - c’est l’expression de Freud - de son choix.

Notons que l’aléatoire de ce type de relation peut venir répondre après coup, en écho, à l’arbitraire qu’il place au tout début de son développement. Celui qui concerne le père mythique, sans limite, le grand jouisseur qui dans son arbitraire donc dispose de tout et de tous et qu’il faut bien éliminer pour que chacun puisse enfin avoir sa part du gâteau. Mais dans un cas comme dans l’autre, je le souligne, la dépendance manifestée au désir de l’Autre, le père mythique ou bien le partenaire d’amour, demeure.  

Certains, nous dit Freud, parviennent pourtant à trouver un équilibre par le biais de ce ressort. Mais pour cela ils doivent réorienter les données psychiques de la fonction amoureuse afin de ne plus être dépendant de l’agrément de l’aimé. Il souligne qu’ils y parviennent à la condition d’établir cette modification sur la constitution même de leur propre amour. Ainsi peuvent ils par exemple désormais développer un amour égal pour tous ou bien encore passer du sexuel au sentiment à but inhibé.

Concernant cette dernière figure il relève sobrement qu’alors, le caractère dionysiaque, volcanique, de l’amour génital cède sa place à la tiédeur sans relief des relations apolliniennes. Ensuite, pour ce qui en est de l’amour universel, l’amour porté à égale mesure à tous, après en avoir évoqué les sommets prônés par Saint-François d’assise, il y apporte ces deux réponses. Lapidaires et abruptes dans leur énonciation, vertigineuses dans l’éthique qu’elles délivrent. 

Premièrement, Un amour sans choix perd sa valeur et deuxièmement, Tout le monde ne mérite pas d’être aimé. C’est sec n’est-ce pas ?! Et pourtant la chose s’encaisse non sans provoquer un sentiment drolatique. De ce que ce soit sec, tout simplement, mais encore, à contextualiser ces deux pierres lancées dans le jardin des pudibonderies bourgeoises, intellectuelles et religieuses de l’époque, mais enfin, à contextualiser ces deux pierres lancées dans le jardin des pudibonderies bourgeoises, intellectuelles et religieuses de notre époque. 

Mais drôle amer également, à considérer le fait qu’un amour sans choix perd de sa valeur ne veuille pas dire qu’un amour choisi en ait une quelconque. Cela d’autant moins que le Tout le monde ne mérite pas d’être aimé est un constat qui suit parfois effectivement une expérience douloureuse et que dans ces temps de désappointement nous avons tous pu constater qu’alors, aimé, personne ne semble mériter de l’être. Surtout pas soi.

À tirer la chose en direction du pire et du sans espoir, on touche tout de même à sa limite féconde. Celle-ci étant  le vertigineux que je disais être celui de l’éthique que délivrent ces deux assertions. Éthique n’étant ici pas à entendre comme une morale améliorée comme il est communément de bon ton de le faire désormais. 

Il y a d’ailleurs peu de choses qui me font autant horreur dans les arrangements contemporains que ce type d’opération de confusion du langage. Opération qui fini pourtant toujours heureusement par délivrer son calcul. À savoir, rehausser, gonfler conférer valeur ajoutée à ce qui dans le panel du vocabulaire disponible ne satisfait plus et ne livre plus qu’une jouissance jugée insuffisante. 

Calcul qui s’effectue via la suppléance imaginaire que l’on prête à une fonction supposée supérieure - ici l’éthique. Ce qui permet bien sûr surtout de faire l’économie du renoncement nécessaire pour rendre à la chose - ici la morale - sa pleine mesure. C’est à dire ses pleines limites non compensables... Renoncement.

C’est de cela que l’éthique n’est pas la morale. Je le répète, ce n’est pas une morale augmentée. L’éthique c’est le bien dire. Le dit en fonction de la logique - les lois du logos - dans laquelle accepte pleinement de s’inscrire celui qui parle. Pleinement cela veut dire accepter d’y être assujetti.

Ainsi, par exemple, pour ce qui nous intéresse, Un amour sans choix perd sa valeur et Tout le monde ne mérite pas d’être aimé, l’éthique de la psychanalyse, son bien dire, permet au psychanalyste de poser la question suivante : Comment ne pas voir que ces deux phrases n’en sont qu’une ? 

Et bien avant de cerner en quoi elles sont une, je vais commencer par vous dire comment ne pas le voir. Et pour ça je vais m’amuser un peu en avançant que c’est le cas du simple fait que ce passage a lieu... en pleine conscience.

Oui, je m’amuse un peu, car pour préciser la chose, en pleine conscience est une expression actuelle équivalente à l’escroquerie que je disais concernant le terme d’éthique avancé au sens de morale améliorée. En pleine conscience est une formule très utilisée donc, qui vient poser comme acquis qu’il y a une butée fiable - plus fiable que fiable, comme certaine lessive lave plus blanc que blanc - la pleine conscience, à partir de laquelle les relations peuvent s’établir de façon satisfaisante. 

Or il se trouve que la pratique psychanalytique a sans cesse à faire précisément à la borne, au borné de la conscience, laquelle limite irrémédiablement et tout à fait néfastement l’accès de tout un chacun à ce qui origine son propre discours. Néfastement quant à la teneur des limites qui en découlent. 

S’appuyer sur une supposée pleine conscience pour stabiliser le langage est un déni de la peau de chagrin à laquelle on le réduit alors. Voire une promotion de la bride que cela représente. Une bride censée contrevenir au effet de l’inconscient, qui, par son ex-sistence, fait pourtant fonction de source dont le liquide irrigue les assèchements de la conscience pour lui accorder une dimension Autre. Une dimension Autrement satisfaisante, avec un grand A.

Alors pour y revenir, ne pas voir que ces deux phrases n’en sont qu’une est dû au fait de les aborder  sur le plan de la morale individuelle ou collective. Et puisque le travail de Freud se situe précisément à la jonction de l’individuel et du collectif, pourquoi ne pas nous y placer nous aussi au niveau de cette jonction en relevant le point commun permettant de lier ces deux affirmations ? Un lien logique qui est celui-ci, Le choix d’amour s’impose du fait que tout le monde ne mérite pas d’être aimé. 

Ce choix, une fois effectué, s’extrait de ce qui était auparavant le champ des possibles. Il en est le reste. À partir de là ce reste, cet élément choisi devient l’un des points donnant corps à la ligne du bien dire que je disais tramer l’éthique d’un discours. Le choix peut en effet être considéré comme moral, mais le franchissement qui permet de le soutenir provient du rail sur lequel il prend appui, l’éthique. 

L’éthique est une ligne de langage issue d’une posture de reconnaissance. La reconnaissance par celui qui tire cette ligne que c’est son discours qui le tient et non l’inverse. Que c’est le discours dans lequel il s’inscrit qui l’oblige. Discours n’étant pas à entendre ici comme un speech tenu devant un auditoire mais comme l’un des cadres, au nombre limité par la structure du langage, l’un des cadres dans lequel vient s’inscrire la parole. 

Or nous constatons sans cesse que la pente actuelle renforce la croyance  qu’on le tient le discours, qu’on le maîtrise.  Traîtrise qui se paye d’autant plus cash que du coup l’on ne dispose alors même pas des moyens pour en considérer les effets. Tout juste, c’est à dire au maximum, peut-on faire le constat de les avoir alimenter ces effets. Et c’est exactement ce qui se passe. Qui ne réalise en effet que la moindre injection de parole, à quelque niveau que l’on se situe - développement durable, résilience, évaluation, bienveillance, pleine conscience...-  semble inéluctablement renforcer la bête, passant ainsi du cash au trash ? 

La question se pose alors d’un Discours Autre - grand A - qui, malgré ce pli contemporain de la suture qu’impose la maîtrise, puisse être repris sans être reprisé...Serviteur.

En tous cas, des limites avérées de la pleine conscience - sa tentative de faire fonction de suture, à l’ouverture au langage – à l’ouverture au langage par la béance de l’inconscient, le choix est possible. Je veux dire que dans le premier cas il n’y a pas de choix car par définition il n’y a pas d’alternative reconnue - pleine conscience - et l’univoque qui en découle est inconsistance. 

À l’inverse de quoi le second cas, la reconnaissance de la béance de l’inconscient, lui, consiste. Il consiste DE ce qu’il est identifié en tant que tel, ce qui fait de lui une alternative per se, une ouverture au choix. Et il consiste À entériner ce qui en découle logiquement. Ceci, que le choix exclu alors le tout inclu dans le plein de pleine conscience. La pleine conscience, c’est le total du totalitarisme, là où censément il n’y a pas le choix.   

Nous sommes donc déjà passé lors de l’émission précédente de To be or not to be ? à To think or not to think ? et nous glissons maintenant jusqu’à un autre type de choix pour ce qui en est du rapport au discours qui est Tenir ou être tenu ? 

Mettons, pour résumer ce qui m’a semblé pouvoir faire guise de réponse et pour en revenir au vertigineux qui ressort de cette éthique, que être tenu par le discours est un savoir, alors que la pensée de le maîtriser est un garrot. Ce qui est une autre façon de poser les coordonnées qui ne cessent de mettre l’individu et la civilisation, la civilisation et l’individu dans ce rapport malaisé que décrit Freud. 

Alors là, justement, après avoir évoqué l’amour, Freud le décrypte ensuite ce rapport, entre l’individuel et le collectif. Rapport totalement imprégné de la redistribution qui s’établit traditionnellement depuis les renoncement libidinaux de tout un chacun au profit de la bonne marche du collectif. Renoncements qui conditionnent l’intégration dans ce collectif pour ceux qui s’y soumettent. Renoncements qui conditionneraient l’institutionnalisation de la civilisation. Je reviendrai sur ce conditionnel.  

Ce qui est frappant  dans la transmission qu’il veut nous faire de ce rapport, c’est la manière extrêmement terre à terre qui caractérise la présentation qu’il nous en propose. Terre à terre cela veut dire corps à corps. A la mesure du corps en prise avec lui-même. Tout simplement, il ne nous fait pas passer par là où le corps ne passe pas. C’est sans doute pour lui une façon d’essayer de prévenir une lecture imaginaire de de ce qu’il avance, puisque c’est par cet imaginaire que s’ouvrent les portes via lesquelles se profile l’impasse qui en ressort. Celle de la croyance injonctive Tout est possible !

Et que nous dit-il ? Rien que nous ne sachions. Du moins, dont nous ne puissions désormais avoir au moins quelque idée générale. A savoir, brièvement, que l’amour est à l’origine sensuel et que son inhibition permet la formation de la famille. Que si l’amour et la civilisation avancent ensemble c’est donc bien au prix d’une orientation nouvelle concernant cet amour. Mais encore, qu’au fil du temps leur rapport cesse d’être complémentaire et que le constat qui s’impose est le suivant, l’amour combat les intérêts de la civilisation et la civilisation limite l’amour. C’est là la réalité de cette martingale royale potentielle que j’évoquais plus haut. 

Freud constate que cette hostilité est inévitable. De même que sont inévitables les conflits entre les différents cercles plus où moins larges qui constituent chacun des possibilités de détachements offertes à chaque individus par rapport à son cercle d’origine. L’agrégat du plus grand nombre d’individus à l’un de ces cercle ainsi constitué représentant bien évidemment la visée de toute réalisation civilisationnelle. Les difficultés, inhérentes à ce mouvement, nous sont présentées par Freud comme étant là encore tout à fait normales.

La démonstration de l’importance de ce jeu nous est d’ailleurs apportée a contrario par Jean-Marie Le Pen qui à une époque répétait à qui voulait l’entendre qu’il préférait ceux de son village à ceux du village d’à côté, et dans son village ceux de sa rue à ceux des rues éloignées, puis dans sa rue, ses voisins directs aux autres - même si comme le disait Pierre Desproges, Le voisin est un animal nuisible proche de l’Homme. 

Notons qu’en tous cas, le patriarche, de patrie-archétypée, s’arrête là dans son sériage et qu’étonnamment il ne précise pas qui il préfère dans sa maison de sa femme ou de ses filles. Il y a donc bien une limite à l’autre. Il la place ici, dans cette irrésolution confuse, dans cette indétermination suspecte. Sans quoi dans son amenuisement affectif il serait bien obligé d’en arriver jusqu’à sa propre personne et de reconnaître in fine que autre, on l’est à soi-même, sans avoir à imputer cette coupure à qui que ce soit. Imputation à l’origine d’une vision de la réduction voire de la fermeture des cercles évoqués par Freud, ceux conditionnant pourtant la réalisation de la civilisation. 

Cette fermeture à un nom que je vais citer mais à partir duquel je ne ferai pas de développement aujourd’hui. Ce nom est connu mais dans le fil des analyses qui nous sont proposés quotidiennement il n’est jamais serré comme il pourrait, comme il devrait pouvoir l’être. Et pour cause, simple, il faudrait s’en donner les moyens, ce qui impliquerait d’en supporter les conséquences. Le nom de cette fermeture, définitive, est La haine.    

Freud s’attaque ensuite directement à la destinée de la libido, aux vicissitudes de la destinée du sexuel au sein de ce rapport individu / civilisation. Il mène ici sa barque en deux temps. Le premier de ces deux temps est un descriptif du mouvement qui s’opère pour les uns et pour les autres concernant l’économie de la libido. Cela au regard de la part de l’énergie sexuel que tous doivent mettre à disposition de la civilisation. Après ce descriptif, orienté, le second temps vient poser un regard incisif sur le déséquilibre auquel renvoie ce rapport - en défaveur des individus - et sur les effets qui en découlent pour les deux parties.

Premier temps donc, celui où Freud procède à un descriptif du mouvement de l’économie de la libido entre les individus et la civilisation. L’un des chapitres de l’émission 3 de Lhommalaise avait pour titre De la pensée sauvage à celle du nobliau, le vase communiquant. Un vase, celui dit de Soissons, ayant pour occurrence alors de nous faire passer du pouvoir au savoir. 

Je n’y reviendrai pas puisque ce n’est pas à ce niveau que je vais évoquer à nouveau le vase, mais plutôt pour ce qu’il peut représenter comme image, celle des des fameux vases communiquant, afin de retranscrire la pensée de Freud.. Communiquant quoi et à qui, tout est là.

Dans cette partie de son avancée Freud n’a de cesse que de nous décrire une expression du sexuel comme faisant  chez chacun office de ce que l’on peut considérer comme un viatique. A partir de quoi tous devront assumer la première conséquence d’être porteur de ce qui est donc calibré comme étant une richesse originelle. A savoir devoir la redistribuer en partie, d’une façon ou d’une autre, à l’ensemble, à la civilisation.

C’est ce mouvement de redistribution qui s’apparente proprement à la mécanique des vases communiquant dans le rendu de Freud. Tout d’abord par l’image que l’on s’en fait. Le niveau du contenu de l’un est si ce n’est inversement proportionnel à celui de l’autre, du moins y est-il indexé. Même si, comme nous allons le voir, cela ne se réalise pas ni sans résistances ni sans conséquences. 

Mais encore et surtout, les vases communiquant, par le fait que le mécanique a avant tout vocation à tenir le sujet humain à distance, voire à le considérer comme étant superfétatoire. Disons qu’à son corps défendu, puisque bien huilé, le mécanique ne le prend plus en compte le sujet humain, mais en décompte.

Cette prise en décompte est l’apogée permanente du système qui promeut la valeur ajoutée comme norme univoque. Valeur ajoutée à atteindre coûte que coûte, c’est le cas de le dire. Que ce soit au moyen du corps objet glorifié et des accessoires qui l’étaieront, ou bien par le biais du corps déchet mâchuré dont les restes sont censés combler la béance inhérente au langage, béance en présence de laquelle les tenants de cette perspective scientiste restent cois. 

Dans un cas comme dans l’autre, de quelque côté de feu le mur de Berlin que ce soit, c’est à dire notre actuel nulle part d’être partout, convient à merveille cette formule de Pol Pot A te garder en vie nul profit, à te détruire nulle perte. Scientiste donc puisque à la fin unique d’abolir le sujet et ce en raison de la béance dont il fait ambassade. Voilà notre quotidien le plus fraternel.

Mécanique des vase communiquant par laquelle Freud suit à la trace le mouvement de ponction, de redistribution, de répartition du sexuel que la civilisation, pour subsister et se développer, doit assurer à l’endroit de celles et de ceux qui la constituent. Il place l’interdiction du choix incestueux comme le plus haut fait de cette économie, c’est à dire, selon ses propres termes, comme étant la mutilation la plus sanglante imposée au cours de sa vie amoureuse à l’être humain. 

L’inceste. C’est ce qui, plus tôt dans le développement de Freud, se traduisait par la réalité de l’amour sensuel dont le détournement, la réorientation, conditionne la possibilité de fonder une famille et de s’engager dans des cercles élargis. Mais avec cette réalité effective, comme je le soulignais, en donnant pour exemple la parole d’un homme politique borgne de ne pas avoir su rejoindre l’aveuglement clairvoyant d’œdipe, qu’une fois cette famille fondée, le choix de livrer sa préférence vis à vis de tel ou tel de ses membres rapprocherait dangereusement de l’amour sensuel et donc incestueux, dont chacun, par un pas en retrait, a originé son mouvement vers l’œuvre dite commune. 

Freud établit ensuite une analogie entre la civilisation qui va, pour son profit, puiser l’énergie à sa source chez les individus, telle une tribu ou une classe d’individus en pillant et en exploitant une autre. Il fait le constat que notre civilisation a atteint des sommets en la matière. 

Pour ce faire, pour endiguer les désirs sexuels adultes, elle en a bridé l’expression à la source afin de s’arroger les fruits de ce contingentement, de s’approprier de façon pérenne l’énergie ainsi dégagée. C’est à dire que la civilisation a réprimé toute manifestation de la sexualité dés l’enfance pour que cette énergie - incompressible - se redistribue naturellement par la suite vers les canaux normés qu’elle lui aura proposé. 

Elle dispose en effet d’une batterie de restrictions, la norme censée contingenter le sexuel à seule fin utilitariste d’être un agent de multiplication. Multiplication je le précise, norme de l’époque. Pour assomption de la ligne par laquelle il est tenu dans ce chapitre, Freud présente alors une diatribe sans équivoque à l’encontre de ce que la civilisation fait subir par là comme préjudices aux individus qui la constituent. 

A savoir, que la norme en question, ou plutôt en réponse, est constituée de l’hétérosexualité, de la monogamie, de la légitimité, bref, de tout ce qui forcera les individus à se restreindre dans l’expression de leur sexualité pour que la ponction opérée soit ensuite contrainte à en passer par les canaux officiels. 

Freud souligne que parmi ceux qui y parviennent, le retrait de la satisfaction érotique ne les placera pourtant pas tous à même enseigne pour ce qu’il en est d’un retour compensatoire. Il qualifie cet état de fait de grave injustice.   

Il tempère toutefois en précisant que cet objectif de maîtrise, si avancé soit-il, n’est pas complètement réalisable, du fait que seuls, dixit, les débiles auraient pu s’accommoder d’une si large emprise sur leur liberté sexuelle et que la civilisation ferme les yeux sur des dérogations qu’elle aurait dû poursuivre.  Mais ce ne sont là qu’atermoiements de sa part puisqu’il revient encore une fois à la charge en soutenant que quand bien même elle ne parvient pas à satisfaire à toutes ses intentions, la visée de la civilisation n’est pas, loin s’en faut, inoffensive .

Assomption disais-je pour désigner la ligne démonstrative de Freud dans ce chapitre. La civilisation est responsable du malaise. L’affaire est ficelée. Et bien non, et c’est par là, par ce genre de pivot en bout de course que Freud touche au génie. Car si sa démonstration, singulière d’être inédite, est achevée, il poursuit sur sa lancée, comme ça, mine de rien en avançant quelques phrases qui paraissent un peu flottantes, comme détachées du reste. 

Lesquelles phrases, pourtant, à être saisies sur le mode du A bon entendeur... révèlent que tout ce qui a été avancé auparavant, si osé, que cela ait été, ne l’a été justement qu’au service de ce qu’elles recèlent ces phrases et qu’il nous livre en toute fin de chapitre d’une façon tout à fait étrange. Inévitablement étrange puisque consubstantielle à la la nature de la chose.  

Ce qui s’y révèle, c’est l’herbe coupée sous le pied, ou plutôt le mot figé sur la langue, ou, mieux encore, la revendication fondue en jouissance autant que la jouissance fondue en revendication. Ce qui s’y révèle c’est l’erreur de ceux qui situent ZE cause de l’insatisfaction individuelle comme étant nichée au creux de quelque organe du collectif que ce soit, le couple, la famille, la société, la civilisation. Et là, contrairement au processus qu’il vient donc de nous détailler, Freud nous ouvre à devoir encaisser - le terme est choisi - que cela n’est possiblement pas le cas. 

Une alternative scandaleuse et toujours irrecevable. C’est par là d’ailleurs que je tiens ma promesse de revenir  sur le conditionnel du Renoncements qui conditionneRAIENT l’institutionnalisation de la civilisation. 

Quoi qu’il en soit, L’habillage de la radicalité de sa proposition par le possiblement est chez Freud une proposition très japonaise dans son style. Cela veut dire qu’il y a tout intérêt - doux euphémisme donc - pour ceux qui suivent son mouvement, à considérer avec lui combien ce sillon est fécond. L’insatisfaction de l’individu n’est pas imputable au collectif.

Parlant de sillon, la métaphore agraire nous ramène cette fois sur le terrain de l’impossible le plus sec. En effet, dans ce domaine tout le monde redécouvre, de l’avoir toujours su, qu’en la matière, nul ne peut s’affranchir des réalités de la terre et des rythmes qu’elle impose et qu’à vouloir le faire l’Homme ne peut qu’en payer le prix le plus fort.    

Alors, l’impossible qui nous intéresse, comme je l’ai développé, est celui que les représentants du pouvoir sont désormais impuissants à pouvoir prendre en compte, récoltant et livrant par là à tous, soit disant, ce qui caractérise le fruit dont se sustente le discours contemporain qu’ils véhiculent, l’immaturité.   

C’est à n’avoir pour régime unique - alimentaire ou politique - que l’ingestion de ce fruit pas mûr -pomme fruit du péché ou autres - que la maladie qui en découle livre le malaise qui lui préexiste. 

Celui du sexuel. Sexuel que Freud aborde par son odeur. Pas seulement de soufre en l’occurrence, mais littéralement de sexe, pour accès à la nécessaire souffrance qui s’en dénote. 

Ce que nous aborderons lors de la prochaine émission pour clore ce chapitre 4.

A suivre donc...

Alors ami auditeur, 
Et toi, serais-tu prêt à renoncer au régime, salé ou non, de ce qui,
  Dans ta propre vie, se répète encore et encore ?


Rendez-vous est donné dans quelques semaines pour la deuxième partie de la lecture de ce troisième chapitre du livre de Freud Malaise dans la culture.

Vous pouvez retrouver l’intervention d’aujourd’hui en podcast sur le site de la radio RDWA - R-D-W-A.FR - ainsi que, accompagnée de sa version écrite téléchargeable, sur le site de Jean-Thibaut FouLEtier, tybolt.fr, T-Y-B-O-L-T . FR 

Et puisque le sexuel nous apparaît comme un labyrinthe à l’accès incertain et aux sorties conditionnées, écoutons  la Ringer et le Chichin reprendre le Gainsbourg et nous interpréter cette errance singulière dans un hôtel très très particulier... 


Jean-Thibaut Fouletier

Die, le 13/03/2021