Zemmour, Desproges, Jonasz et les fourmis rouges…
…Ou La soldatesque du présent avili
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C’est une photo, belle à mes yeux, qui est parue dans le journal Le Monde des dimanche 9 et lundi 10 novembre 2014. Belle sans doute du fait d’un cadrage si simple qu’il parvient à bonifier la laideur des sujets sans que l’on sache très bien finalement si cela revient, cette laideur, à l’araser ou bien à l’amplifier.
Deux hommes assis à ce que l’on imagine être un bureau, et qui attendent les questions qui vont leur être posées par les journalistes présents. Derrière eux, une cheminée à moulures surmontée d’un grand miroir dans lequel apparait la perche d’un preneur de son.
Ils sont tous deux vêtus d’une veste de costume et d’une chemise, sans cravate. Il y a un espace entre eux mais leurs épaules semblent reliées par les lignes du marbre de la cheminée.
Le bras droit de celui qui apparait à gauche de la photo, Robert Ménard, maire de Béziers, est tendu en direction du bureau sur lequel est sans doute posée sa main qui sort du cadre. La ligne de ses épaules penche vers le centre de l’image et son regard est tourné sur sa droite.
Le deuxième personnage, est un peu tassé sur lui-même. Ses bras sont croisés sur son ventre, sa tête est légèrement penchée vers son compagnon et la ligne de ses épaules rejoint vers le centre celle de ce dernier. Ses sourcils ne sont pas complètement froncés, mais quoi qu’il en soit, entre eux, deux barres verticales désignent que « c’est sérieux et que c’est là que ça se passe ».
La perche du preneur de son, reflétée dans le miroir, semble sortir de sa tête.
La bouche du premier, dont les commissures semblent tirées vers le bas par de futures bajoues, est presque bonasse et son regard livre l’une de ses mollesses politiques qui permettent de tout encaisser.
La bouche du second est fermée et cajole les mots qui l’emplissent déjà. Mots de toujours que son regard, très présent, livre dans un présent lui aussi de toujours. Ce présent de toujours est un temps qu’il voudrait plein d’avenir, le présent imparfait propre aux insatisfaits congénitaux.
Mais enfin, mous ou durs ces deux là apparaissent emprunts de certitudes.
J’ai réalisé à partir de cette photo un dessin dans un format quatre fois plus grand, sans repère et sans préparation. Suite à cela l’esprit du cliché y ressort, entre autres, à travers des détails d’irrespect des proportions, la tête un petit peu trop petite de celui-ci, le bras trop long de celui-là, les deux corps s’alignant ainsi naturellement pour la course au monstrueux.
Est-ce le bras- mandibule de l’un semblant sortir de la photo pour venir nous chercher ou bien la perche-antenne vissée au crâne de l’autre qui m’ont poussé à placer évidemment les fourmis rouges dans ce dessin ? J’émets ces hypothèses dans une reconstruction a posteriori. En réalité, les fourmis me sont venues sans réflexion, puis ensuite, collée dessus, l’idée d’une pourriture sèche et organisée.
Aux enfants qui ont vu ce dessin et qui m’ont demandé le pourquoi de ces sympathiques soldats colorés j’ai simplement parlé du dictaphone faisant office de fourmilière de l’abject, parmi d’autres, qui abrite et diffuse les paroles de ces deux- là. Parmi d’autres.
Peut-être est-ce au bout de la chaine de ces pourquoi que je suis allé récupérer le souvenir d’une émission de radio, entendue il y a bien longtemps de cela, où le chanteur interviewé racontait avoir croisé Michel Jonasz. Il disait avoir été marqué par une phrase que celui-ci, fiévreux à l’aube de sa carrière, lui avait adressée : « Il faut écrire des chansons comme jamais des chansons n’ont été écrites ! »…
Nous reviendrons à Jonasz ultérieurement. Mais avant cela restons encore un peu avec le deuxième personnage, celui dont cet article du Monde tire le portrait.
Eric Zemmour, puisqu’il s’agit de lui, implore le retour d’un présent qui ne lui sera pas rendu. Et pour cause, il ne l’a jamais vécu.
Présent rêvé qu’il voudrait éternel, faiblesse juvénile à partir de laquelle il fit tirer le canon lors de son cinquantième anniversaire, fêté dans le château de Joséphine de Beauharnais.
Sans doute espérait-il que l’écho de leur fracas, celui de la vanité harnachée au lustre napoléonien, lui ramènerait la toute impuissance de sa voix d’enfant, celle qui devait tant plaire à sa mère.
Je vois à travers lui, dans cette posture puérile, vouloir que les choses reviennent comme lorsqu’elles n’existaient pas, comme avant, une très belle définition du laid.
Parlant d’enfance et de laideur, saviez-vous que Pierre Desproges s’amusait d’avoir disposé dans l’entrée de son appartement une série de tableaux d’enfants laids qui accueillaient ainsi ceux qui venaient le visiter ?
Mais son appartement est vide désormais et n’absorbe plus les démons de l’enfance. Mon dessin s’accroche alors au vestibule de votre regard et j’offre à qui voudra les entendre, simple présent d’un présent simple, Les fourmis rouges de Michel Jonasz*.
JTF, Paris, décembre 2014
Tu t’rappelles on s’était couché
Sur un millier de fourmis rouges
Aucun de nous deux n’a bougé
Les fourmis rouges
Est-ce que quelque chose a changé
Couchons-nous sur les fourmis rouges
Pour voir si l’amour est resté
Et voir si l’un de nous deux bouge
Couchés sur les fourmis rouges
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