Place Analytique – Présentation – Un destin si funeste

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Je vous présente l’intervention que j’ai produite dans le cadre de Place Analytique le 23/09/2024. Place Analytique est un dispositif par lequel celles et ceux qui sont intéressés par l’inconscient – psychanalystes ou non – viennent échanger une fois par mois à partir d’une présentation élaborée depuis le thème de l’année. Pour 2024 le thème est Le destin des pulsions dans l’acte analytique. Voici l’argument que j’ai proposé.

Argument :

Destins des pulsions dans l’acte analytique, destins avec un s. Voilà qui rompt radicalement avec le fatum du Destin avec un D. Cette rupture d’avec l’univoque de la fatalité que souligne le thème de cette année s’illustre, entre autres, dans cette remarque de Lacan : Or, dans cet article (Triebe und triebeschicksale)) - et à mille reprises - FREUD nous dit proprement que la sublimation aussi donne la satisfaction d’une pulsion alors qu’elle est zielgehemmt, inhibée quant à son but, en d’autres termes, qu’elle ne l’atteint pas. Ça n’en est pas moins la satisfaction de la pulsion, et ceci, sans refoulement. 

Je tâcherai de suivre le contradictoire apparent que soutient la sublimation - de permettre à la pulsion d’atteindre à la satisfaction sans toucher au but - comme un fil faisant lien à une autre remarque que Lacan avance à la fin de son écrit, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » : Qu’y renonce donc plutôt celui qui ne peut rejoindre à son horizon la subjectivité de son époque.

Ce qui me permettra, d’une touche, en réponse aux interrogations qui mes ont parfois adressées, de faire lien avec ma pratique. Celle, dans une petite commune de la Drôme, d’un psychanalyste en campagne.

UN DESTIN SI FUNESTE…

Si, dit-on, le désir peut s’attraper par la queue, Désir avec un grand D, c’est le titre de la pièce de théâtre de Queneau, qu’en est-il de la pulsion ? À suivre Freud et Lacan dans leurs avancées le moins qu’il puisse s’en dire c’est que l’un comme l’autre délinéent leur motif au fur et à la mesure de l’encre que celui-ci leur restitue. Autrement dit, ils développent l’un et l’autre à partir du motif de la pulsion – motif à prendre autant comme ce qui motive que comme l’image que l’on s’en donne – ils développent l’un et l’autre comme outil et rendu de leurs travaux sur la pulsion une réticulation qui leur est manifestement imposée par la nature de ce sur quoi ils se penchent.

C’est ainsi qu’ils la chope la pulsion – ou bien ils s’y achoppent -, via un maillage ne permettant pas de saisir, mais de donner volume, consistance et représentation à ce qui se donne comme n’en ayant pas. (ni de saisissable ni de configurable). Ou bien ne se donne pas comme en ayant. Entre ces deux propositions, plus précisément avant elles, la pulsion ne s’est donc pas donnée. Il leur a fallu, à Freud et à Lacan, pour la reconnaître et la désigner, la mailler d’un maillage évolutif retraçant leurs cheminements respectifs – réticulation donc -, dont je ne rendrai ici que quelques noms que nous connaissons bien, fiction puis mythe pour le premier, montage puis collage surréaliste pour le second.

Je n’utilise pas pour rien le terme de réticulation. Dans le champs de la chimie il désigne la transformation d’un polymère linéaire en polymère tridimensionnel par création de liaisons transversales (polymère : grosse molécule formée par enchaînement de monomères (constitué de molécules simples )). L’une des traductions qui se peut donner de cette définition est le terme réseau. Un réseau de dénominations, comme un filet permettant d’affiner la désignation de la pulsion. C’est donc en tant qu’issue du vocabulaire de la chimie que ce terme m’intéresse puisque cela fait ainsi ouverture, pont, lien avec l’une des vicissitudes de la pulsion, la sublimation, qui tire elle aussi l’origine de son nom de ce champ lexical.

Avant de me pencher sur la première phrase de Lacan que je cite dans mon argument je souhaite faire une remarque sur le terme de vicissitude. Vicissitude non pas comme l’une des colorations possibles rencontrées par les pulsions dans leur mouvement, mais en tant que désignant les aléas subis par les matériaux qui assurent la transmissions des découvertes de Freud et du travail de Lacan, production ressortant pour l’un et l’autre d’une pratique de la délinéation ciselée.

Vicissitudes et aléas des matériaux de transmission donc, à commencer par le titre de ce séminaire que le site Staferla restitue, lui, fidèlement. A savoir non pas Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse mais Fondements de la psychanalyse. Vicissitudes et aléas des matériaux que souligne également Nicolas Jeannel dans une intervention de 2015, Satisfaction des pulsions et jouissance, dans laquelle il évoque le livre Nestor Braunstein, La jouissance un concept lacanien.

Il nous présente avec justesse et à-propos un passage où Braunstein désigne comment à extraire une subordonnée d’une phrase de Lacan, La jouissance satisfaction d’une pulsion, pour en faire le sous-titre d’un chapitre du séminaire XI, celle-ci ainsi transcrite a pu prendre valeur d’aphorisme alors que ce n’est évidemment pas ainsi qu’elle doit prendre place dans l’orfèvrerie lacanienne. Sauf à être contextualisée. J’y reviendrai.

C’est finalement un peu plus qu’une remarque n’est-ce pas, disons une introduction déterminée – de savoir n’être pas forcément considérée comme étant déterminante – pour dire que si la psychanalyse n’est pas une pratique du déficit mais du différentiel, les exemples que je souligne comme illustration de la vicissitude que je dis ici sont pourtant à même de la rendre déficitaire. Un concept n’est pas un fondement et nous savons bien que c’est sur la rigidité guindé et arrêtée du premier que s’érigent en force les châteaux branlants, quand ce n’est qu’à partir des matériaux discrets du second que se réalisent les mises à jour qui font leviers à nos pratiques.

Mises à jour, découvertes, qui en retour, ces fondements, les révèlent comme étant l’assiette la mieux assise par laquelle l’analyste puisse lire et s’orienter au regard des nouveaux horizon auxquels il s’accorde ainsi. C’est là l’un des points cruciaux qui déterminent la lecture des destins de la pulsion dans l’acte analytique.

J’en viens maintenant à ce dire de Lacan, je cite, Or, dans cet article (Triebe und triebeschicksale)) – et à mille reprises – FREUD nous dit proprement que la sublimation aussi donne la satisfaction d’une pulsion alors qu’elle est zielgehemmt, inhibée quant à son but, en d’autres termes, qu’elle ne l’atteint pas. Ça n’en est pas moins la satisfaction de la pulsion,et ceci, sans refoulement.

Nous sommes au cœur de la séance du 6 mai 1964, séance que je considère comme étant tout à fait emblématique de ce par quoi j’aurais à justifier d’embarquer un livre de Lacan sur une île déserte si je n’avais que le choix d’un. Emblématique pour ce que cette séance a d’ingénieuse en tant que tenant du génie architectural emprunt parfois de passages éperdument comiques.

C’est ainsi que je restitue ce que j’ai à poser concernant le couple satisfaction/inhibition. En le liant au passage où il est question du fameux moment psychologique. Lacan y restitue avec une drôlerie à se tordre comment en 1870 les français ont pris des vessie pour des lanternes en traduisant le psycholosiche moment, terme prêté à Bismarck, par moment psychologique là où lui l’interprète par facteur psychologique. Pour pratiquer ce saut il faut si je puis dire que le terme moment qui fait lien entre les deux langues, soit effacé pour ce qu’il se donne à être et apparaisse pour ce qu’il est, à savoir un faux-ami.

Effacement pour reroutage. Un effacement que je conjoint, c’est le fil que je suis ici, avec ce qui permet de résoudre la contradiction affichée par le couple satisfaction/inhibition lorsqu’il s’affiche en tant que satisfaction complète sans pourtant avoir atteint son but. La mécompréhension nécessaire que je disais auparavant pour toucher au rendu dit de facteur psychologique est, dans l’illustration dont se sert Lacan, le terme tiers. La mécompréhension, terme tiers qu’il relève dans cet exemple, a pour équivalent, dans ce couplage antinomique satisfaction/inhibition, ce que nous devrions écrire en un seul mot, l’objèraté. L’objèraté en tant que nécessaire, de qui ne peut cesser. Ce qui, dans ce registre, est une traduction sinon une interprétation de la constance qui caractérise le mouvement auquel il est lié.

Après le couple satisfaction/inhibition, il y a la sublimation. J’enfonce le clou concernant le champ sémantique de la chimie en rappelant que la sublimation en fait partie. Entre les états solide, liquide et gazeux que peut prendre un corps, de chacun des uns aux autres et dans des relations de réciprocités, les termes qui les lient sont la fusion, la vaporisation, la liquéfaction, la solidification, la sublimation et la condensation.

Deux de ces opérations ont pour point commun de court-circuiter le passage par l’état liquide qui entre les trois prend la place d’état intermédiaire. Il s’agit de la sublimation et de la condensation, la sublimation étant le passage d’un corps de l’état solide à l’état gazeux. Directement, sans passer donc par l’état liquide.

Je souligne simplement ce mouvement qui au sein d’une structure tripartite repose sur le fait que l’un des trois éléments qui la constituent – l’état liquide – passe du statut d’élément de la relation en tant qu’incontourné à celui d’élément nécessairement contournable, cela pour qu’une des relations qui définissent la structure tripartite soit réalisable. La sublimation donc ici, mais encore la condensation avec l’usage que Freud nous propose d’en faire dans la Traümdeutung. Objèraté dont je souligne la consistance, je le rappelle, en l’inscrivant ainsi d’un trait.

Il me semble intéressant d’évoquer à ce point de mon intervention quelqu’un que j’ai déjà cité dans le cadre ouvert de Place Analytique. Il s’agit de celui que l’on présente comme économiste, philosophe, historien et écrivain, l’Italien Pietro Verri. Je l’avais évoqué comme ayant mis à notre disposition le petit livre Traité sur la torture paru à la fin du 18ème siècle. Ce manifeste contre la torture est l’un des exemples de ce que la raison peut produire de plus achevé en matière de défense d’une cause tout en soulignant de fait pleinement que la plénitude de sa démonstration, par l’échec de sa visée, se double de démontrer également les limites de la raison. (Un Edgar Poe et son Dupin avant l’heure en quelque sorte à condition que nous nous fassions Dupin pour l’instituer tel). Sauf écrivais-je alors dans mon livre sur Signorelli, je me cite, sauf à considérer que Verri le fasse poindre (le désir) dans le tout dernier paragraphe de son livre en évoquant le caprice de celui (le bourreau) qui officie au lieu de la question. Un caprice qui s’apparente à la fortune. Fin de citation.

Via Verri j’évoque la fortune, mais alors, là où nous autres nous référons à la Tuché, lui, économiste pense à la répartition des richesses. Via Verri j’évoque le désir, mais alors, là où nous nous référons à l’inconscient, lui, humaniste, demeure dans les limites bornées de la raison. Avec cette singularité toutefois d’être connu et reconnu comme étant le premier à avoir établit l’expression mathématiques d’une courbe de la demande, ce qui n’est pas rien. Il disait également du besoin qu’il est une sorte de douleur que les hommes cherchent à limiter.

Une singularité poussée jusqu’à ceci qui vient donner corps à la planche d’appel que j’essaye de faire apparaître, qu’il est également celui qui, à travers la théorie économique du marginalisme, à inscrit historiquement dans le domaine économique le passage de la théorie objective à la théorie subjective.

Tous ces termes résonnent à nos oreilles n’est-ce pas et je ne m’arrêterai d’un mot que sur le dernier, celui de marginalisme pour expliciter ce qu’il revêt et comment il peut s’en dire ainsi qu’il fait point pivot entre la théorie objective et la théorie subjective, ceci, bien entendu comme je le préciserai, dans la perspective qui nous intéresse.

Alors que la théorie économique classique établit la valeur d’un bien à partir de son coût de production, la théorie marginaliste pose que c’est l’utilité marginale d’un bien, c’est à dire l’utilité de la dernière unité utilisée, qui lui donne sa valeur. Cela permet par exemple aux économistes de résoudre des problème inhérents à la balance qui doit être réalisée entre le prix d’un objet précieux et celui d’un objet nécessaire. Pour nous il s’agit de questionner la marge au point décisif où besoin et désir se caractérisent et se différencient l’un par rapport à l’autre, cela pour accès à ce que peuvent faire résonner en la matière théorie objective et théorie subjective.

Dans le cade qui est le notre donc et au regard de la satisfaction de la pulsion par la sublimation en tant que liée indéfectiblement à l’objèraté, le passage de la théorie objective à la théorie subjective nous permet de saisir quoi ? Que dans le domaine économique a pu être théorisé dés le 18ème siècle que la satisfaction puisse s’affranchir de l’obtention de l’objet en tant qu’étalon unique de sa mesure et que via le marginalisme, la théorie subjective ait pu permettre que s’opère ce que nous devons repérer comme étant un glissement en direction d’un au-delà du besoin.

Un glissement qui désigne quoi ? Que l’objet obtenu est une butée de la demande quand l’appréhension de la marge ouvre au champ du désir et au temps nécessaire de la satisfaction via l’objèraté. Mais pas innomé. J’avance à ce propos Rosebud pour les cinéphiles.

Voilà pour ce premier tour de pulsion.

Je vais maintenant en venir à la seconde partie de ce que je voulais avancer aujourd’hui, une mise en perspective qui prend appuis sur ce mot que Lacan avance à la fin de son écrit, Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, je cite : Qu’y renonce donc plutôt celui qui ne peut rejoindre à son horizon la subjectivité de son époque. Ce que je voulais présenter donc comme étant lié à ce dire dans ma pratique de psychanalyste en campagne.

En campagne, vous l’aurez bien saisi, est une expression qui vient mordre sur le plat empoisonné du prosélytisme. Or, dans le champ de la psychanalyse empoisonné il ne l’est pas, il n’est tout bonnement qu’impossible puisqu’il s’agit de désir et que le désir de l’analyste n’est pas celui du publicitaire quand celui de l’analysant n’est pas celui d’un consommateur.

En campagne désigne aussi ce que j’ai relevé à plusieurs reprise ici à savoir ce fait que la psychanalyse est citadine. Alors, à défaut de m’être interrogé plus avant sur cet enracinement transférentiel ou bien sur ce transfert enracinant, j’ai tout de même souhaité placer ma pratique en campagne. C’est à dire dans une petite commune de la Drôme. Die, sous-préfecture, 5000 habitants.

Je pourrais en quelques mots vous désigner combien le terme de campagne est réducteur et correspond si peu à l’allant de pointe culturel et économique qui caractérise le quotidien des habitants du lieu, mais ce serait quoi qu’il en soit un égarement par rapport à ce qui fait la spécificité de son cadre de vie comme l’on dit. Habitants d’un lieu isolé géographiquement donc mais très accessible et nombreux en effet sont ceux qui font les A/R à Paris, branchés qu’ils sont, ceux-là comme les autres, sur les exigences supposées de la contemporanéité.

C’est d’ailleurs ce à quoi fait écho le Qu’y renonce donc plutôt celui qui ne peut rejoindre à son horizon la subjectivité de son époque de Lacan. Et je fais se conjoindre cette prise de position avec ce qu’il soutient également dans la réponse à la question 5 de Radiophonie. Il y clôt une séquence que je vous résume ainsi, l’analyste doit renoncer à l’idéal bâtard dont il se targue, la maturité génitale, et dont il fait acte politique afin de pouvoir être dit de son époque.

Être de son époque donc…la question se pose de savoir si il s’agit de l’époque à laquelle Lacan à écrit Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, en 1956, de celle à laquelle il a enregistré Radiophonie, en 1970, ou bien si, à l’instar du décalage qu’illustre l’exemple de la mécompréhension du moment psychologique, si cette époque est la désignation précise d’une conjugaison à repérer comme étant celle d’un éternel présent.

Un éternel présent faisant miroir avec la constance de la pulsion mais dans un registre autre, incompatible avec elle en l’occurrence, qui est celui d’indéfectiblement répondre à la bascule progressiste revenant à s’affranchir du réel de la non inscription du rapport sexuel. La maturation sexuelle, soit, pire que la révolution, la résolution volontariste ou comportementaliste, ou e-m-d-r-iste, ou autres, inscrite sous la bannière du sans complexe ni tabou.

Une psychologue installée dans la région depuis quelques années et qui travaille ponctuellement au CMP de Die, me disait récemment ceci, Il y a ici une spécificité du problème des limites. Voilà une réalité qui est effectivement très tangible. Mais c’est un peu court et rapporté ainsi – un constat pris pour une analyse – cela ne se pose pas comme planche d’appel pour accès au réel.

C’est par ce biais que je reviens maintenant comme promis à la contextualisation nécessaire de ce que désignait Braunstein à propos de la mise en avant de la phrase ainsi tronquée La jouissance satisfaction d’une pulsion. Ce peut effectivement être le cas, oui, lors de la répétition qui définit justement la pulsion de mort. Je passe par cette case, vous l’aurez deviné pour souligner que dans ce sens, il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de jouissance à Die.

Jouissance au sens ou donc nous l’entendons comme je viens de le préciser. Beaucoup de jouissance donc et beaucoup de …peutes et de …pathes, comme cela m’a été joliment décrit, pour y répondre. Pour y répondre, je pèse mes mots.

Et c’est là très précisément, même si pas uniquement, c’est là où les mots se pèsent, c’est là que si le psychanalyste a son mot à dire, celui-ci se situe au niveau du repérage de la grammaire pulsionnel. Mais bien entendu, si cela fait une différence radicale avec les divers praticiens qui officient dans la vallée, cela ne calibre pas pour autant le spécifique qui peu à peu point dans le quotidien du psychanalyste en campagne.

Me viens le souvenir d’un premier entretien, à Paris, où celui qui avait sollicité le rendez-vous me dit avoir été à une soirée où des amis lui avait parlé de moi qui aurait dit à je ne sais quelle occasion quelque chose portant l’idée que je n’avalisais aucunement l’idée du sacrifice. C’est cela qui avait fait accroche pour lui.

Il peut y avoir à Die des choses de ce registre également. Je pense à quelqu’un que je reçois depuis peu. La psychologue avec laquelle elle travaillait lui aurait dit qu’elles ne pouvaient pas aller plus loin ensemble mais que elle, la psychologue, avait assisté à plusieurs réunions où il y avait un psychanalyste et qu’il lui semblait qu’avec lui elle pourrait comme elle le souhaitait approfondir son travail. Il faut dire qu’effectivement dans chacune des trois réunions dont parle cette psychologue, réunions dans le cadre du Conseil de Santé Mentale, j’avais de manière assez tranchante fait entendre les dissonances saisissantes que peut porter la voix de l’analyste par rapport au consensualisme et, je mets des guillemets, « aux choses qui s’arrangent ». Repéré tel donc.

En île-de-France ou dans la Drôme, ce n’est pourtant pas à ces niveaux, celui du repérage de la grammaire pulsionnelle dans le cabinet lors des séances ou bien, dans l’autre sens, celui de l’accroche à l’analyste par un mot de lui entendu dans l’espace public, que je détermine ce qui caractériserais à Die le destin des pulsions dans l’acte analytique.

Je souligne bien qu’il n’était pas dit par avance qu’il y ait effectivement une caractérisation. Une singularité oui, ici comme partout puisque par expériences chaque clinique est singulière. Mais autre est la caractérisation que désigne Lacan à l’adresse du psychanalyste, de l’ordre de ce qu’il s’agit de ne pas manquer pour ne pas passer au travers de ce qui caractérise la subjectivité de son époque.

Pour accès à cette caractérisation, vient le temps du constat avant celui de l’analyse. Le constat, j’en ai déjà livré un bout en évoquant comment le discours analytique est porté par l’analyste dans son cabinet ou en dehors – même si ce n’est alors pas le même – de la même façon où qu’il se trouve.

L’analyse de la chose commence lorsque, Lapalissade, la pointe de ce constat est que le où qu’il se trouve ne renvoie manifestement pas l’analyste au même rapport à son discours. Je vais expliciter ce que je viens de dire en commençant par faire une analogie avec Place Analytique. Je vous demande à tous, en tous cas à celles et ceux qui font partie d’écoles analytiques, de s’interroger sur ce qui fait différence, sur ce qui caractérise et sur ce qui motive – ce sont trois questions différentes – le déport de leur parole en ce lieu .

À l’aune de ce questionnement je voudrais relever une chose précise, ceci, que le ratio psychanalyste/habitant est le même à Die et à Paris. Étonnant n’est-ce pas ? Mais la différence, la caractéristique et la motivation à soutenir, pour faire réponse au constat mettant que le où qu’il se trouve ne renvoie manifestement pas l’analyste au même rapport à son discours, est la suivante, à Die le corps de l’analyste est repérable dans la cité.

Chose que n’ont pas manqué de me faire remarquer les différents psys du cru. Il est en effet naturel dans leur propos de ne pas ouvrir son cabinet dans son lieu de vie Comme j’habite à Die j’ai ouvert mon cabinet à Saillans. Mais encore, à ce sujet, de la part d’un analyste officiant à Crest me disant d’un air entendu, il y a le problème de l’exposition du corps jouissant de l’analyste. La même chose donc mais dite là avec un ton très repérable, celui de la componction qui fait le grain de la violence ouatée du discours institutionnel auto-validé.

Alors oui, le corps de l’analyste en libre circulation dans la cité croisant et recroisant les analysants, ce qui ramène à l’idée de discrétion en mathématiques, discrétion qui dit le voisinage de deux ensembles… Et là comment ne pas évoquer Télévision de Lacan, je cite rappelez-vous quand même que le semblant de ce qui parle comme tel, il est là toujours dans toute espèce de discours qui l’occupe ; c’est même une seconde nature. Alors soyez plus détendus, plus naturels quand vous recevez quelqu’un qui vient vous demander une analyse. Ne vous sentez pas si obligés à vous pousser du col. Même comme bouffons, vous êtes justifiés d’être. Vous n’avez qu’à regarder ma télévision. Je suis un clown.

Mais si c’est dit ainsi c’est que, je vous le fais remarquer, le clown est censé en connaître un rayon concernant le rapport auquel s’en tenir au sujet de l’objèraté qu’il présente et représente.

Je vais bientôt m’arrêter pour ce qu’il en est de la porte ouverte concernant le destin de la pulsion dans l’acte analytique en campagne. Je m’arrête ici pour que nous puissions échanger à propos par exemple de ce qui fait que l’on y vienne frapper à la porte du psychanalyste. À la porte de celui qui recueille la subjectivité de son époque en l’indexant au lieu qui la supporte. En faisant corps non pas avec elle, mais parmi elle. Faire corps parmi elle comme on dirait faire coin, manière de s’en tenir, si je puis dire, au réel. Au réel de son désir.

Mais puisque nous sommes en partie en campagne, histoire d’animaux, je vais dire un tout dernier mot à propos, pourquoi pas, du serpent et du crapaud.

Le serpent tout d’abord. Le mot réticulation que j’ai égrené en début d’intervention vient, dans ma réserve personnelle, de python réticulé. Il m’est apparu comme ça et dans ces cas-là il s’agit de suivre le fil. Un fil qui me ramène au fait que j’ai peut-être été lancé par la fin du paragraphe commencé par la phrase de Lacan, Qu’y renonce donc plutôt celui qui... paragraphe qui se termine ainsi, je cite, Qu’il connaisse bien la spire où son époque l’entraîne dans l’œuvre continuée de Babel, et qu’il sache sa fonction d’interprète dans la discorde des langages. Pour les ténèbres du mundus autour de quoi s’enroule la tour immense, qu’il laisse à la vision mystique le soin d’y voir s’élever sur un bois éternel le serpent pourrissant de la vie.

Quant au crapaud, il apparaît, lui, en réponse à cette histoire de désir attrapé par la queue et à la question posée, là encore en tout début d’intervention, de comment attraper la pulsion. A demain, fermé le WE. est un petit recueil de brèves que j’ai écris il y a quelques années. Voici l’une d’elle dont le titre est Sex and drugs and rock n’roll, «…elle prit le crapaud dans ses mains et l’embrassa. Il se changea alors en un beau prince avec lequel…». Sans vouloir faire le rabat-joie, il faut quand même dire que les glandes à venin placées sur le dos du crapaud contiennent une substance fortement hallucinogène, la bufoténine.

C’est loin d’être la meilleure brève du recueil, mais c’est celle qui permet de taper dans le mille de de ce qui nous intéresse. Le crapaud pour accès à la satisfaction par l’hallucination puisque l’hallucination existe aussi pour cela comme rampe d’accès. Mais le crapaud a une autre particularité très pointue, si je puis dire, puisqu’il fait partie d’un ordre d’amphibiens qui a pour non Anoures.

Le nom Anoures vient du grec ourá, pour « queue », et du préfixe privatif a, soit sans queue , car chez ces animaux la queue ne persiste pas après la métamorphose lors du passage à l’âge adulte.

Le chant du véritable amour, celui chanté dans Peau-d’âne par exemple, Amour amour je t’aime tant, ne peut se faire sans le passage par le temps de l’anoure, celui ou l’amour d’une façon ou d’une autre ne se réalise que d’une perte d’une part de lui-même.

Comme un objet perdu, ou bien raté, ou mieux, comme un bout de lettre égarée, celui du M d’amour pour passer au N d’anoures par exemple.

Et la question se pose alors au final de déterminer si c’est véritablement là la marque d’un destin si funeste…?

Jean-Thibaut Fouletier

Die septembre 2024