Livre papier et numérisation (interview écrite)
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Rebecca, une amie journaliste, m’a demandé de lui transmettre quelques lignes pour le magazine Institut Confucius (n°33, novembre 2015) en réponse à la question Le livre papier a-t il un avenir dans notre monde numérisé ?
J’en ai donc livré quelques unes… de trop, mais surtout, semble-t il, de trop tout ! Parmi celles-ci un extrait, sauvé par ses soins amicaux, aura finalement été publié.
Voici présentée ci-dessous la réponse originale dans son intégralité.
Le livre papier a-t il un avenir dans notre monde numérisé ?
Pour introduire ma réponse à votre question voici une considération qui va nous ramener sur les bancs de l’école.
Il fut un temps où les examens de l’école primaire s’appelaient « composition ». La transmission du savoir ressortissait d’une certaine tradition mâtinée de rigueur. Et pour autant, le mot composition dit bien la tournure de la chose, l’élève était amené à composer avec les éléments dont il disposait. Il était un sujet composant avec les objets qui lui étaient proposés pour établir son savoir, via un panel de connaissances.
Pour la génération suivante, la mienne, premier pivot, la composition est devenue un « contrôle ». Le barycentre commence à se déplacer et le glissement sémantique montre que l’accent est désormais porté sur le rendu de la connaissance, qui doit être en adéquation avec la mise en avant d’une certaine obligation – de production bien entendu.
Enfin, aujourd’hui, le contrôle est devenu une « évaluation ». Cela dit que l’élève est passé en trois générations du statut de sujet à celui d’objet dont on évalue désormais donc moins les connaissances que sa condition attendue d’objet.
Le savoir a disparu au profit de la connaissance dans le même temps où le sujet est devenu objet. Et l’on ne peut déjà même plus, pour cet objet-là, seulement parler de connaissance mais d’une connaissance encyclopédique, organe réticulé de cette objectivation, facette de l’homme prothétique annoncé par Freud.
Partant, pour en revenir à votre question concernant l’avenir du livre papier au temps de la numérisation, je vous répondrai ceci.
Jusqu’à présent, l’objet livre était un support un par un, par lequel le lecteur pouvait en retour se réaliser comme sujet d’un certain savoir, le sien.
Désormais, par le biais des mêmes ressorts que ceux précédemment évoqués à propos de l’évolution de la dénomination des examens à l’école primaire, nous allons avoir à repérer si ce ne sont pas la tablette, la liseuse ou encore l’ordinateur, supports de la numérisation, qui ne vont pas devenir, eux, les sujets un par un de livres sans statut autre éventuellement que juridique – ce qui désigne l’extrême étroitesse autant que la force et en tous cas l’orientation procès-sionnnelle de leur portée – tandis que le lecteur, simple courroie de transmission, deviendrait, lui, l’objet nécessaire, mais sans profondeur, à ce commerce.
En réalité le repérage est fait depuis bien longtemps déjà et son orientation est vécue par tous.
Alors, pour ponctuer ce constat apparu en écho à votre question, je soulignerai que nous avons à notre disposition une indication de ce à quoi nous attendre dans ce domaine, comme se gramme évidemment l’air de notre temps dans quelque domaine que ce soit, puisque ce même lecteur, qu’il use ses fonds de culottes sur les bancs de l’école ou bien dans son fauteuil roulant, de moins de 7 à plus de 77 ans donc, dans le registre de ce type d’échanges univoques et totalisants qu’estampille la perspective dite libérale – est d’ores et déjà… l’objet de toutes les attentions.
Des bancs de l’école à la mise au ban du sujet, littérature et numérisation ou
de l’esprit – éperdu – de la lettre
au code de son infor-matage.
JTF le 27 septembre 2015
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