Lhommalaise 7 – chapitre 6 (émission radio)


Texte à télécharger en Pdficone PDF


LHOMMALAISE

UNE SÉRIE D’ÉMISSIONS DE  JEAN-THIBAUT FOULETIER

AVEC LA PARTICIPATION DE     ÉMILIE DUBOIS

Émission numéro 7 :   L’outrage de l’au-delà


Le masochiste : Fais moi mal !
Le sadique : Non !



Introduction

Elle est très drôle cette histoire drôle. Et plus que cela si l’on fait acte de franchissement pour en saisir alors tout le tragique. Un tragique qui se tresse précisément de n’être pas saisissable immédiatement, en cela qu’il n’est pas la pointe d’un arc réflexe assubjectivé. Ce qui pourrait qualifier le rire mécanique. Autrement dit, ici, le tragique est la pointe d’une récolte qui s’inscrit dans le temps d’après. D’après le rire en l’occurrence.

Et quoi ?! Le masochiste manifeste sa demande. Fais moi mal, fais moi jouir, consumes-moi! Sa parole est conforme à son attente, confortée par sa visée. Le sadique lui, est également sollicité au niveau de sa demande. Au même niveau, mais pas au même endroit. 

Pas au même endroit, cela veut dire, puisque j’ai parlé de franchissement pour atteindre au tragique de cette petite blague, pas au même endroit cela veut dire qu’il est sollicité en un point qui serait plutôt de l’ordre de l’envers. Et même, pour le dire plus précisément, en un point qui est du registre de la traversée. En effet, parlant de jouissance, ici, si le sadique jouit, si il se consume, c’est de consommer la consumation du masochiste. 

Et si le sadique obtient sa satisfaction d’opposer une fin de non recevoir à la demande du masochiste, Non !, il ne peut que constater, ce faisant, qu’il donne à ce dernier entière satisfaction. En effet, par ce refus il ne le prive qu’en apparence, alors que c’est bel et bien ce semblant, cet habillage de privation accordé par le sadique qui donne sa pleine satisfaction au masochiste. 

Pour résumé, que le sadique réponde oui ou bien non à la demande du masochiste, c’est le masochiste qui gagne d’obtenir satisfaction à tous les coups - si je puis dire. Satisfaction par insatisfaction. En quelque sorte, le sadique n’a qu’un mot à dire et ce mot ne lui appartient pas. Voilà le drôle de l’affaire.  

Oui, paradoxe de cette histoire ou l’on peut dire à propos de celui qui semble être le maître du jeu, le sadique, Qui gagne perd ! et où ce qui caractérise celui qui apparaît être le faiblard quémandeur, le masochiste, est un Je gagne à tous les coups.  

Un Je gagne qui rappelons-le mène à la consumation de soi la plus radicale. Oui, Dans cette relation, la position qui donne le meilleur accès au désir est celle qui astreint à la consumation la plus radicale de ceux qui s’y collent. Pour dire la chose, le gagnant est celui qui meurt. Voilà pour le tragique. 

Enfin...voilà pour le tragique tragique qu’illustre cette histoire car le fait est que par-delà le tragique tragique, oui, par-delà, il y a aussi un tragique comique. Illustration de la chose par un retour à Hannah Arendt - déjà citée dans Lhommalaise émission 3 - pour rappel de ses éclats de rire à la lecture du rapport de police concernant Eichmann.  

Le tragique comique c’est bien évidemment là la pointe de ce qu’il y a tirer, enfin, celle que je choisi d’extraire de ce que Freud avance dans son chapitre 6 de Malaise dans la culture. Cela à partir de la trouvaille géniale qu’il a formulé dans le livre Au-delà du principe du plaisir, trouvaille dont il nous rappellera la teneur par la suite dans ce même chapitre.

Je vais naturellement m’y attarder sur cette trouvaille ainsi que je vais revenir sur ce que Freud trace comme ligne pour résumer les cheminements par lesquels il nous a fait passer pour en arriver jusqu’à elle. 

Ainsi donc, comme, annoncé lors de mon dernier commentaire, qui était tout entier orienté par l’injonction qui saisit Freud - Tu aimeras ton prochain comme toi-même, je rapporterai ce qu’il nous livre - notamment au sujet de la lutte entre les forces de vie et les forces de destruction - je rapporterai cela à un épisode de la mythologie grecque, celui dit du Mythe de Marsyas. 
 
Pour rappel, dans mon commentaire du chapitre 5 je soulignais que ce à quoi mène  la recherche du Tu aimeras ton prochain comme toi-même est le bon objet d’amour, bon objet, valeur des valeurs, qui, comme je le soulignais, peut tout aussi bien être arraché à l’autre par le biais de la torture.  

Un arrachement valant autant qu’une réinsertion pour désigner sa condition a-topique. C’est ce que nous verrons dans ce mythe, le mythe de Marsyas, qui relate dans quelles circonstances le satyre Marsyas fut torturé à mort par le dieu Apollon au son d’une musique issue de la partition de l’Au-delà du principe de plaisir.

Chapitre 1  
Cheminement vers l’Au-delà 


Cheminement vers un Au-delà inédit jusqu’à Freud et qui, malgré l’encoche désormais incontournable qu’il fait dans la réalité de la pensée humaine, conserve ce caractère d’inédit, d’être toujours inouï, de toujours être inentendu.

Cela veut dire que inédit, il l’était jusqu’à Freud cet Au-delà sur lequel nous allons nous pencher, mais qu’il ne suffit pas qu’il soit passé au statut de dit après l’éclairage que Freud a posé sur lui pour être, en tant que dit, accessible à chacun. Un plutôt inaccessible qui n’empêche que de toujours - un toujours qui inclut le temps d’avant que Freud ne le découvre - ce qui n’empêche que de toujours donc chacun en éprouve pourtant l’effectivité.

Cet Au-delà donne son titre à l’ouvrage dans lequel Freud le porte au jour, Au-delà du principe de plaisir, ouvrage qui paraît en 1920. Aujourd’hui, en 1929, dans le chapitre 6 de Malaise dans la culture il nous rappelle quel est cet Au-delà.

Le pas suivant je le fis dans «Au-delà du principe de plaisir», alors que l’automatisme de répétition et le caractère conservateur de la vie instinctive m’eurent frappé pour la première fois. Parti de certaines spéculations sur l’origine de la vie et certains parallèles biologiques, j’en tirais la conclusion qu’à côté de l’instinct qui tend à conserver la substance vivante et à l’agréger en unités toujours plus grandes, il devait en exister un autre qui lui fût opposé, tendant à dissoudre ces unités et à les ramener à leur état le plus primitif, c’est à dire à l’état anorganique.

L’automatisme de répétition pour le dire brièvement c’est ce dont chacun d’entre nous peut faire le constat quotidiennement - en pensée et/ou en actes - à savoir que quelque chose se répète dans sa vie, quelque chose sur quoi il n’y a pas de prise, une butée manifestant son caractère d’indépassable en ceci par exemple que le volontarisme le plus affiné, c’est à dire le plus massif dans son intentionnalité, ne fera qu’en renforcer l’assise d’inéluctable autant que d’insaisissable.

Caractère répétitif, dit Freud, de ce qui malgré-nous nous ramène inexorablement vers l’anorganique. Anorganique en direction duquel l’on s’oriente. Je ne dis pas vers lequel on s’en retourne, comme si il s’agissait de revenir à un état premier, mais bien vers lequel on s’oriente en ce sens que cette orientation revêt ce caractère particulier d’être une aspiration interne.

C’est là le pas franchit par Freud. La tendance à la destruction qu’il repère n’est pas située en extériorité par rapport à chaque sujet. Chacun en est porteur - pulsion de destruction - dans une intériorité d’autant plus effective qu’il n’a pas la main sur elle. Qu’il n’a pas la main sur elle depuis le le champ de sa conscience, lieu d’où il la subit et d’où il ne peut au mieux - parfois et sous certaines conditions - qu’en constater les effets dévastateurs sur son existence. Le à côté de l’instinct qui tend à conserver la substance vivante que Freud évoque, cet à côté est en réalité un Au-delà.

Voilà en effet ce que Freud découvre. Un Au-delà du principe de plaisir. Au-delà de ce qui normalement a pour butée de répondre aux différentes tensions ressenties par un sujet de manière à en ramener l’intensité au seuil le plus bas - satisfaction. Et bien malgré, mais surtout au-delà de la satisfaction alors obtenue, il y a quelque chose de tout à fait inattendu qui se manifeste. 

Et ce qui se manifeste, ce qui se manifeste avec une insistance toute particulière dont l’inévitable fait le grain, c’est l’écho de ce que à quoi tout le monde est assujetti. À savoir donc que par delà le constat que la satisfaction n’est pas suffisante en soi et bien la seule satisfaction qui vaille concernant celui ou celle qui l’aura obtenue, Le satisfaisant - mot à la mode - ne se manifeste au final, que d’être un vœux de destruction d’eux-mêmes.

Un vœux de destruction situé au-delà des limites d’une quelconque réussite jusque là établies par notre appréhension. Il s’agit ici de la destruction la plus radicale qui se puisse imaginer, la mort. Qui se puisse imaginer n’est-ce pas parce que jusqu’à preuve du contraire, jamais personne n’a pu intégrer réellement sa mort de son vivant. Confer Le conte La vérité sur le cas M.Valdemar de Edgar Poe. 

Quoi qu’il en soit, c’est bien là l’inouï - l’inouïable pourrait on dire - que Freud, lui, entend et nous livre, aux côtés de l’amour qui érige et qui agrège, marche du même pas l’insistance comminatoire à l’affaissement, à la désunion et pour le dire clairement, à mourir.  Oui, la mort comme seul objectif dont l’obtention supporterait en réalité l’estampille de réussite. Voilà ce que l’on peut qualifier d’être le relevage d’une empreinte radicalement Autre – avec un grand A - dans l’appréhension de la marche humaine.    

Bien, ceci ayant été rappelé je vais maintenant faire quelques remarques rapides sur certains points que Freud avance pour étayer ce qu’il nous expose. Celui-ci par exemple. Je sais combien est répandu la tendance à attribuer de préférence tout ce qu’on découvre de dangereux et de haineux dans l’amour à une bipolarité originelle qui serait propre à sa nature. 

Il marque ainsi que sa découverte va à l’encontre de l’idée selon laquelle l’amour serait premier, source et origine de tous les affects et que la haine ne serait qu’un contrepoint, une encoche seconde, un avatar qui n’aurait ni autonomie ni existence en propre. 

Je le dis en passant, cette perspective est celle qui alimente les théories modernes les plus lénifiantes. À commencer, pour reprendre l’un des termes qu’utilise Freud, par celle dite des personnalités bipolaires. Je serais d’ailleurs à ce sujet trop bien éduqué de me contenter de m’exclamer Quelles foutaises !

Mais comme, bien éduqué je ne le suis pas, je suis psychanalyste, je dis à ce propos que l’idée d’une personnalité à deux pôles entre lesquelles oscillerait le sujet est une faiblesse impardonnable. Impardonnable au regard des conséquences que cela engendre pour ledit sujet. À commencer par celle-ci qu’il ne peut alors plus se saisir tel que sa structure le soutient, à savoir, divisé par le Réel plutôt qu’écartelé par ses bornes imaginaires.

Dans la redistribution qui s’opère à partir du terme que j’ai forgé, Lhommalaise, cela peut se traduite ainsi, le divisé ne peut pas tout, malaise fécond quand l’écartelé est déchiré par sa toute puissance, à l’aise à perte. Le constat ne cesse de s’imposer à quiconque se penche sur la question que le passage du second au premier nécessite un franchissement auquel la plupart d’entre nous oppose la plus grande résistance.

Comme le dit Freud, Je me rappelle ma propre résistance à la conception d’un instinct de destruction quand elle se fit jour dans la littérature psychanalytique; et combien j’y restai inaccessible. Le fait que d’autres aient manifesté cette même répugnance, et la manifestent encore, me surprend moins. Il est vrai que ceux qui préfèrent les contes de fées font la sourde oreille quand on leur parle de la tendance native de l’homme à la méchanceté, à l’agression, à la destruction, et donc aussi à la cruauté.

Il est vrai que c’est un vocabulaire qui peut paraître un peu naïf de prime abord, les contes de fées, l’amour, la méchanceté, mais, à suivre l’entièreté de ce chapitre et à cocher le reste de la terminologie utilisée, instincts, pulsions, intentions libidinales, sadisme, masochisme, narcissisme, névrose traumatique, névrose de transfert, psychose, sexualité, etc. se révèle le tressage d’un fil tout autre. Un fil dont la patine tire son lustre d’un vernis implacable, le silence. 

Oui, le silence comme rampe pour accès à ce qui nous intéresse, voilà un autre point sur lequel nous pouvons nous pencher puisque c’est ce que Freud repère précisément, On pouvait admettre que l’instinct de mort travaillât silencieusement, dans l’intimité de l’être vivant, à la dissolution de celui-ci.

La pulsion de destruction s’avance silencieuse et il faut être particulièrement armés pour être à même de pouvoir en entendre les harmonies désagrégeantes. C’est ce silence hors pairs nous dit Freud qui alimente le moindre consensus... Travail, Famille, Patrie ! 

Lacan reprend ce fil dans son interview audiovisuelle nommée Télévision. Suite à un premier développement de sa part concernant le mal de jouir de l’individu au sein du collectif, son interlocuteur s’exclame Bon ! Écoutez, si il y a refoulement c’est qu’il y a répression. Je vous propose d’entendre sa réponse à l’aune de ce que j’ai déjà relevé dans une émission précédente au sujet donc des rapports s’établissant entre l’individu et le collectif, entre le collectif et l’individu. 

À savoir que si le collectif ponctionne à son profit une partie de l’énergie vitale de l’individu, ce même individu ne pourra pourtant en aucun cas s’en prendre au collectif pour justifier son malaise. Malaise qu’il aura de fait à devoir repérer...Ailleurs. Cet ailleurs étant, je me répète, à entendre selon la modulation que nous renvoie l’expression D’ailleurs..., c’est à dire, un ailleurs valant pour preuve. 

Donc, à l‘apparent bon sens qui soutient la remarque de l’intervieweur, Écoutez, si il y a refoulement c’est qu’il y a répression Lacan répond  FREUD n’a jamais dit ça, il n’a jamais dit que le refoulement provenait de la répression. 

À la suite de quoi il précise, La gourmandise dont il dénote le surmoi est structurale, non pas effet de la civilisation, mais « malaise, symptôme, dans la civilisation ». De sorte qu’il y a lieu de revenir sur les preuves, à partir de ce que ce soit le refoulement qui produise la répression.  

Et, enfin, pour enfoncer le clou, à la question suivante, Si je comprend bien ce que vous dites, ça veut dire que la famille et la société elle-même, sont pour vous  des effets du refoulement, il  répond Bah oui ! Pourquoi est-ce qu’elles le seraient pas, la famille et la société, des effets à s’édifier du refoulement ? 

Je vais tâcher de traduire ces affirmations de manière suffisamment concise et claire pour que leur portée soit rapportable à ce qui a initié et nécessité leur évocation dans le cadre de Lhommalaise. 

Alors, comment dire cela ? Si la moindre agrégation sociétale est toujours justifiée au nom de l’amour qui unit, le fait est que ce sur quoi s’appuie, ce sur quoi trouve li-tté-ra-le-ment appui le développement de la famille ou de la société est en réalité le silence que le refoulement de chacun met en musique.

Un silence de mort dont le grain n’est aucunement imputable à une quelconque répression provenant d’un organe autoritaire ancré dans le collectif - maman, papa, police, patron... - ou encore l’autre sous toutes ses formes - mais repérable, ce grain, dans le fait que pour tout individu le refoulement est premier. C’est à dire tout entier rapportable à ce qui conditionne l’entrée du sujet dans le langage. 

Je le souligne, le refoulement est tout entier rapportable à ce qui conditionne l’entrée du sujet dans le langage. Ce qui a pour corollaire de devoir répondre à la nécessité de l’y maintenir. Comment ? Et bien, parlant de savoir inconscient, en n’aimant rien tant que de prendre des vessies pour des lanternes, cela en s’attachant à croire que son malaise initial, initial d’être branché sur le constat du refoulement primaire, en s’attachant à croire donc que ce malaise est dû au collectif qu’il dénonce. 

Ce faisant, comme chacun peut le constater, il le renforce ce malaise, trouvant par ailleurs en ce procès une jouissance irrépressible qui alimentera d’autant son refoulement, dit secondaire cette fois. 

Et c’est ainsi que la boucle se boucle. La plainte du quotidien est une partition qui alimente le chœurs des chapelles individuelles et collectives. Et désormais, ce sont ces querelles - les choeurselles de chapelles pourrait on dire - qui les lieront indéfectiblement les unes aux autres. 

Parlant de refoulement, comme cela se soutient de façon convenue, ce qui va sans dire va toujours mieux en le disant. Ce à quoi il faudrait préciser que le mieux en question ne se touche qu’à reconnaître que ce qui doit être dit ne puisse l’être qu’à mi-mot, et ne puisse être entendu qu’à être lu entre La ligne. 

En fonction de quoi ce que je ne peux que rappeler c’est que le refoulement primaire dont il est question est inconscient. Inconscient par définition puisqu’il consiste dés l’accès au langage d’un sujet en la bascule d’une parcelle signifiante dans son inconscient. Bascule qui induit définitivement le mi du mi-dire. Mais bascule qui détermine aussi que si la perte semble irréversible, tout n’est pourtant pas perdu.

Ceci peut s’illustrer de ce que Freud répète à l’envie, Au cours de cette étude l’intuition, un moment, s’est imposée à nous que la civilisation est un processus à part se déroulant au-dessus de l’humanité. Alors non, effectivement tout n’est pas perdu. Si la civilisation se meut malgré l’humanité c’est qu’il en est de même pour le langage par rapport aux humains.. Mais, je le répète, une certaine perte est pourtant nécessaire à chacun d’entre nous, aux parlants, pour préserver le différentiel entre civilisation et humanité. L’enjeu, radical, étant bien entendu que l’une ne finisse pas par absorber l’autre. 

Que ce soit la première qui absorberait la seconde ou bien l’inverse cela porte le même nom, société totalitaire. Un toutalitarisme qui est sommes toutes un penchant naturel puisque l’allant premier et continu pour chacun d’entre nous, de la to do list à la cassette d’Arpagon, est bien de faire le compte de ses billes.

Un compte qui ne s’opère que dans l’optique de les retrouver toutes. Et c’est là que, incorruptible, l’acte psychanalytique donne accès au fait que ce compte d’une totalité n’est possible qu’à une condition. La voici, pour que l’idée de totalité tienne, il faut  que le sac qui contient les billes soit le représentant ignoré de la bille manquante. 

L’alternative est donc, soit d’ignorer cela et de passer sa vie à faire le compte d’un tout imaginaire - auquel cas c’est le à l’aise du totalitarisme aliénant - soit d’en faire un savoir malaisant qui se fonde sur le manque réel, auquel cas cela permet de  toucher à l’inaliénable de Lhomalaise.    

La perte, le différentiel, sont tout entiers définis par le champ du langage. Langage qui conditionne l’ex-sistence de l’inconscient. Ex-sistence Heidegerienne, pourtant incluse dans le champ de la conscience qui la désigne tel - Ex-sistence, Ailleurs radical - de ne pouvoir la saisir. 

De ne pouvoir la saisir, ce qui n’empêche qu’il soit possible, après repérage, de faire avec. Et, plus précisément, pour chacun finalement, de faire au mieux grâce à. C’est là l’enjeu que désigne l’expression lire entre La ligne. Un entre pour espace de respiration, entre l’individuel et le collectif, entre le refoulement et la répression, entre la civilisation et l’Humanité, entre l’Homme et lui-même… 

Au-delà du malaise et radicalement sans rapport avec le à l’aise, cet entre désigne l’espace de langage dans lequel se situe  Lhommalaise... 

Bien. Il est temps de voir maintenant comment cette ligne, son entre et l’Au-delà qu’elle désigne sont mis en scène par le dieu Apollon et le satyre Marsyas.

Mais auparavant nous allons avoir la joie - Freude en allemand - d’entendre les vocalises perchées de Catherine Ringer  et les mélodies géniales de Fred Chichin, les Rita Mitsouko donc, qui nous interprètent la chanson Y’a d’la haine...



Chapitre 2
De Marsyas à Apollon, le volume de la ligne claire


La mythologie, sous couvert de présenter plus grand que l’Homme aux humains, les Dieux, fait adresse par vertu de langage à ce que hommes et femmes auraient d’enfant en eux. Une innocence supposée qui se conjugue à tous les temps de n’en être pas moins coupable, assujettie donc en permanence au sursis de possiblement être enfin coupée. 

Le mythe qui nous intéresse aujourd’hui, celui dit de Marsyas, n’est pas particulièrement mis en avant dans la myriade mythologique. En voici les grandes lignes. Athéna, déesse de la sagesse, de la stratégie militaire, des artisans des artistes et des ...maîtres d’école, se débarrassa un jour de l’aulos, sa flûte, après avoir été moquée par son entourage car son visage se déformait lorsqu’elle en jouait. 

L’instrument fut récupéré par le satyre Marsyas et tout le monde tomba sous le charme de sa musique...divine. Son succès parvint aux oreilles d’Apollon qui en fut irrité et qui provoqua alors Marsyas en duel, avec Midas pour juge arbitre. À l’issu de la première joute Midas déclara Marsyas vainqueur. Rendu qui lui valut de devoir subir la colère d’Apollon, lequel, à l’issu du combat final, pour le châtier, changea ses oreilles en oreilles d’âne. 

Lors d’un deuxième assaut, pour être départagés, les duellistes durent chacun jouer de leur instrument à l’envers. Marsyas perdit alors le fil de la musique et les muses attribuèrent la victoire au Dieu Apollon. Pour se venger des prétentions de Marsyas à mieux jouer que lui et à se servir de sa musique pour séduire qui l’écoutait Apollon écorcha vif Marsyas et suspendit à un arbre sa peau changée en outre. Voilà pour les faits.

Comme je le soulignais ce mythe n’est pas de ceux que l’on évoque de prime abord lorsqu’il s’agit  de disserter à propos des affaires des Dieux. Il y a pourtant dans la Divine comédie de Dante un vers qui évoque très précisément, et pas pour rien, le supplice de Marsyas.

Entra ne petto moi e spira tue
Si come quando Marsia traesti
Dalla vagina delle membra sue

Entre dans ma poitrine et souffle 
Comme la fois où tu as extrait Marsyas
De l’enveloppe de ses membres.

Jaromir Neumann, auteur tchécoslovaque, et Franc Ducros, auteur français, ont commis deux textes d’un tonneau respectif radicalement hors le champ l’un de l’autre mais trouvant pourtant à se conjoindre en un point d’analyse tout à fait précis.

Jaromir Neumann en évoquant le tableau Le châtiment de Marsyas en 1962 et Franc Ducros dans son livre L’odeur de la panthère, se retrouvent effectivement tous deux à cheminer sur ce même vers de Dante.

L’un comme l’autre suivent le fil d’une pensée qui soutient le pour son bien faisant sceau au geste d’Apollon à l’endroit de Marsyas. Les deux auteurs posent en effet que Dante a raison  de se faire le héraut d’un Apollon déchirant l’Homme par son souffle divin à la seule fin de lui permettre de s’affranchir des chaînes de la condition humaine. Et pourquoi pas ?! Mais comme vous l’aurez sans doute saisi avant que je ne le précise, cela n’est pas la ma ligne. 

Ça n’est pas que ce ne soit pas défendable et que cela ne tienne pas debout, mais, si il s’agit de parler de la condition humaine, je dis qu’à ce niveau Freud se pose un peu là et qu’il y a donc tout intérêt à le suivre lorsqu’il s’engage sur la voie du dépassement de la condition humaine, non pas au niveau d’une résolution par le biais d’une intervention divine, mais plutôt par la reconnaissance au niveau de ce qui, de la condition humaine, en spécifie le ratage - couru d’avance -, à savoir l’accroche au langage.

C’est dans  cette veine que pour vous ouvrir à ce qui peut nous être livré par le mythe de Marsyas je vais auparavant vous toucher un mot d’une des histoires extraordinaires d’Edgar Poe, histoire qui a pour titre Double assassinat dans la rue morgue. 

Un mot seulement et ce pour deux raisons. La première étant de ne pas déflorer ni le dénouement absolument divin - c’est le cas de le dire - de ce conte, ni le génie de Dupin, le héros qui parvient à désintriquer les chausses trappes et les doubles fonds de l’énigme. La seconde étant, elle, que j’ai déjà bien circonscrit la chose dans mon livre Signorelli de l’oùbli du nom au Nom dupé. Nul besoin donc d’y revenir si ce n’est pour en souligner ceci qui nous sollicite aujourd’hui. 

En l’occurrence un ceci très simple et très remarquable, un ceci qui se définit d’une seule question, laquelle devrait s’imposer en toutes circonstances dans notre quotidien face à n’importe quel interlocuteur, Qui parle ? Celui qui la poserait cette question n’étant bien entendu pas exclu, euphémisme, du fait qu’il devrait se la poser à lui-même. Et si possible à haute voix.

Dans le conte de Poe les témoins auditifs attribuent avec certitude dans tel ou tel cas de figure envisagé telle ou telle langue d’Europe du nord ou bien du sud à l’assassin, ou aux assassins. Les pistes sont aussi nombreuses que les affirmations des témoins auditifs sont tenues pour certaines et bien malin donc est ce Dupin qui saisit le fil de ces voix de la raison pour résoudre l’énigme. 

Il faut dire que ce fil de la ou des langues supposées être celles du ou des assassins le ramène structurellement à la rampe du langage. Et là, pas d’erreur possible, c’est la temporalité de l’inconscient qui fait sa loi ! Ce à quoi Dupin se soumet pour remettre les choses à leur place. 

À commencer donc par le fait que pour que chacun parle sa langue, accède à sa langue en propre, il s’agirait qu’en toutes circonstances il en soit bien barré. Cette barre étant ce qui, d’un trait, défini l’inconscient. C’est à dire, à l’instar de ce qui dans le champ du conscient sépare le sujet de l‘énoncé de celui de l’énonciation, ce qui au niveau de l’inconscient dévoile la division du sujet, la barre qui en fait la marque.

C’est à partir de là que nous allons maintenant, le plus simplement du monde, faire retour à Marsyas et à Apollon via le mythe qui les met en scène. Si les mythes font partie de l’horizon culturel de tout un chacun, je rappelle en passant qu’ils n’ouvrent pourtant pas le même horizon à tous.

Dans l’émission Radiophonie Jacques Lacan est amené à répondre à 7 questions. Voici la deuxième d’entre elles. La linguistique, la psychanalyse et l'ethnologie ont en commun la notion de structure, à partir de cette notion, ne peut-on imaginer l'énoncé d'un champ commun qui réunira un jour psychanalyse, ethnologie et linguistique ? Question à laquelle il fait réponse en passant notamment par l’évocation des mythes. 

 ... Ajouterai-je que le mythe, dans l'articulation de Lévi-Strauss, soit : la seule forme ethnologique à motiver votre question, refuse tout ce que j'ai promu de l'instance de la lettre dans l'inconscient. Il n'opère ni de métaphore, ni même d'aucune métonymie. Il ne condense pas, il explique. Il ne déplace pas, il loge, même à changer l'ordre des tentes... 

Ce que dit Lacan c’est que le mythe va complètement à l’encontre de ce que lui, Lacan, aura mis à plat à propos de la façon dont opère la lettre dans l’inconscient. Je souligne que ce qu’il attribue de principe actif au mythe, il explique et il loge, accompagne comme un gant les prérogatives du maître, lequel, au sein de l’école sous l’égide de laquelle il officie - là ou il loge donc, au même titre que cela fait loge au savoir qu’il est censé dispenser - ce maître des lieux explique quoi que ce soit comme il l’entend. 

Comme il l’entend n’est-ce pas… Là nous sommes renvoyés au champ des possibles. Limités tout de même. Et vous saisissez bien à ce niveau le spectre de la petite musique qui se joue. Une petite musique dont la maîtrise rappelle le médiocre de ce que Salieri nous fait entendre au regard, ou plutôt à l’oreille de ce par quoi Mozart nous ravit. Les bornes sont posées.

Ceux qui ont vu le film de Milos Forman, Mozart, se remémoreront la scène où, dans un bal masqué, Mozart, en présence de Salieri, se moque de la puérilité de la musique de ce dernier en la jouant au piano. Il fait cela après avoir joué la sienne à l’envers. Tout comme Marsyas et Apollon jouent chacun de leur instrument à l’envers pour pouvoir se départager. 

Il y a là une ambiguïté qui révèle la veine à suivre pour toucher au filon. Dire que Mozart joue Salieri en le moquant c’est dire qu’il se joue de lui. À entendre non pas qu’il se moque de lui mais qu’il se joue - forme pronominale, comme on dirait il se lave - depuis Salieri. Oui, Mozart se joue à l’envers, il ne perd pas son propre fil en quelque sorte. 

Alors qu’il en est tout autrement pour Marsyas. De lui, on pourrait dire qu’il le perd son fil. On pourrait le dire à la condition de passer à côté de l’essentiel. À savoir ceci que ce fil n’est pas le sien. En effet, la flûte avec laquelle il charme tous ceux qu’il croise a cette particularité singulière de jouer seule. On ne peut donc pas dire qu’il perd un fil qu’il n’a en réalité jamais tenu puisque la flûte est autonome.

Pour autant cela nous amène à une impasse logique qui est la suivante. Si la flûte joue seule il n’y a aucune raison pour que sa ligne musicale s’arrête  au simple motif qu’on l’utilise à l’envers. Il y a là donc quelque chose à bien saisir, un pivot qui va nous permettre de mettre au clair de quoi il en retourne concernant le geste d’Apollon, tout d’abord son incision pour dépeçage à l’encontre de Marsyas.

Je vais exprimer la chose ainsi, de façon un peu abrupte. Alors, la ligne musicale qui est rendue par la flûte, par l’aulos, c’est la ligne de l’inconscient, la ligne de l’inconscient en tant que, à l’instar de ce qui se passe dans cet autre conte d’Edgar Poe, La lettre volée, où ceux qui un temps sont les possesseurs de la fameuse lettre sont tenus au silence, ils l’ont mais ne sont plus, être ou avoir

Et bien, donc, tout comme les personnages de ce conte, la déesse Athéna, pour rester elle-même, doit s’en déprendre de cette flûte, tandis que Marsyas, lui, ne voit pas le danger, lui qui pourtant le devrait puisqu’en définitive, il ne veut rien d’autre que de faire main basse sur ce qu’il ne maîtrise pas. 

Faire main basse sur le langage vous savez comment cela s’appelle. Je me répète mais c’est la condition pour que quelques uns entendent, faire main basse sur le langage, vouloir maîtriser l’immaîtrisable, cela a pour nom la communication. Communication - On s’comprend -,  dont le fleuron actuel est le réseau, nouvellement érigé en golem incontournable, diffuseur de l’information.

On voit ce que ça donne ce type d’incontournable, cela donne le puits sans fond dans lequel, communautairement, il semble plaisant de plonger les yeux fermés ; autant que l’esprit d’ailleurs. Cela donne l’égide contemporain intitulé Fake news sous lequel chaque parole doit désormais se courber et passer la tête baissée. Révolution parfaite n’est-ce pas puisque c’est tout bonnement un retour au Dieu trompeur de Descartes. Belle avancée…

Un effet de surplace dont je me contenterais si, à mon tour, pour ce qu’il en est de l’histoire des pensées j’en restais au stade des analogies. Mais tâchons de faire un pas en avant en revenant à la fameuse incision que Apollon inflige à Marsyas. Incisif n’est-ce pas le Dieu qui retourne à Marsyas son péché d’orgueil là même où celui-ci l’aura manifesté. !    

En effet, par là où Marsyas à voulu faire acte de maîtrise, à l’endroit du langage, il va être dépecé et sa peau fera désormais office d’outre. En outre pourrait-on dire là comme jamais autant de circonstance puisqu’il s’agit en cette occurrence d’une outre récipiendaire de tous les mots de toutes les langues et pourtant tenue par l’impossible de pouvoir être comblée par ce Tout langage qu’elle contient, par ce Tout qu’elle est censée comprendre.     

Une outre qui revêt le caractère de grand Autre tel que défini par Lacan et déjà évoqué le long de notre parcours. Le grand Autre, lieu du langage, réservoir à disposition dont nul ne peut pourtant s’attendre à recevoir la moindre réponse. Si ce n’est précisément celle à laquelle l’on s’accordera après avoir constaté qu’il est troué et que seule la reconnaissance de ce trou permettra à ceux qui s’y frottent de s’y piquer sans y laisser leur peau. 

Oui, puisque comme déjà avancé dans l’émission précédente, au grand Autre, au langage, à l’orang-outang du Double assassinat dans la rue Morgue, qui s’y frotte s’y pique. Jusqu’à parfois en mourir. Ce qui arrive donc à Marsyas, durant la séance de torture où Apollon inscrivit sur son corps la ligne faisant lien entre le semblant de la parole maîtrisée, fixée, et la réalité de l’inconscient immaîtrisable et  labile. 

Et si son cri de souffrance nous délivre une vérité, nous y voilà, c’est bien celle-ci, que ce corps investi par la torture, ce corps failli, forteresse assiégée au motif de receler la cause des causes, ce corps est ouvert et traversé au nom du blasphème des blasphèmes, consubstantiel au péché sans doute mais en sa matière qualifié par un originel au tonneau plus prometteur, celui de souffrir la béance et d’en retour se voir conférer le pouvoir de la combler. 

Un comblement au moyen cette parole atteinte par effraction, parole objectivée qui devrait porter non pas la marque de l’AOC pour Appellation d’Origine Contrôlée, mais de OF pour Obédience Fictionnelle. 

Car s’il est une fiction dont se dénote science et religion c’est bien celle qui consiste à investir un objet, quel qu’il soit, tel qu’il aurait la propriété rédemptrice de suppléé au mot qui manque. Au mot dont, au risque de me répéter, le manque fait pourtant condition à l’accès au langage. 

Alors, pour résumer la chose, nous sommes parti de ceci que s’il s’agit de considérer les limites de la conditions humaine, il convient moins d’envisager les dépasser via l’aide d’un Dieu que de les réaliser via la lecture de ce qui les spécifie, le langage. 

Et ce qui indéfectiblement s’y révèle c’est le ratage nécessaire qui caractérise l’entrée dans le langage. Une entrée conditionnée donc à ceci que le refoulement primaire est une soustraction définitive - Adieu au langage titrait Godard – une soustraction définitive à laquelle l’individu doit s’accorder pour pouvoir y accéder au langage.

Ainsi, dans ce mythe, contrairement à ce qu’avance Dante, ce n’est pas un Dieu qui permet à l’Homme de s’élever  au dessus de sa condition, c’est un Dieu qui accorde à Marsyas un point d’accès à la condition humaine, cela en lui coupant la chique. 

Ainsi, la fameuse réplique de Didi dans l’aventure de Tintin, Le lotus bleu, Lao Tzeu l’a dit «il faut trouver la voie !». Je vais d’abord vous couper la tête et ensuite vous connaîtrez la vérité !. Je n’ai pour ma part pas que je sache été empoisonné par le Radhjadja, le poison qui rend fou, et du coup je me contenterai petitement d’avancer la chose ainsi, Les humains sont des outres contenues dans les effets du langage qui les remplies.   

J’ai déjà souligné lors de la première émission de Lhommalaise cette propriété du langage qui est que le rapport réciproque qui s’établit entre le langage et l’être parlant est de compréhension. Je le redis, la compréhension étant à entendre au sens de comprendre, c’est à dire de prendre à l’intérieur de. Ainsi,  le langage comprend les êtres parlant qui eux-même comprennent le langage.

C’est une étrange figure n’est-ce pas qui nous est proposée. Comprendre et dans le même temps être compris, c’est à dire être pris dans quelque chose qui est pris en nous… Une drôle de torsion qui ressort du champ des mathématiques et plus précisément  du domaine de la topologie. 

Représentation des corps dans l’espace donc. Ce qui nous permet de revenir à celui-ci de corps qui nous intéresse au premier chef aujourd’hui. Ce corps qui, du faire l’amour à torturer, est fait objet de toutes les convoitises. Comme dit précédemment, ce dont il est question lors de toutes les étapes du processus d’appropriation est univoque, il s’agit de faire lui faire cracher le morceau.   

Un morceau compris dans ce qu’il comprend donc. Retour à Socrate, qui explique cela à Alcibiade lors du fameux banquet. Fameux d’ailleurs nous n’en savons rien. Je veux dire que les mets servis cette nuit là passent au second plan au regard de celui que sert Socrate à Alcibiade en réponse au fait que celui-ci - aussi beau que Socrate est laid - veut à tous prix le mettre dans son lit. 

Socrate lui livre cette vérité, ce plat, indigeste pour le coup, qui est que ce qu’Alcibiade désire en le désirant c’est ce qui se situe au-delà de son enveloppe à lui, au-delà de l’enveloppe qu’est le corps de Socrate. Et il nomme cette chose, il nomme cet objet, ce morceau du banquet qui n’apparaît pas sur la carte. C’est l’agalma. DÉFINITION. 

Agalma qui n’apparaît pas sur la carte et pour cause. En effet, au-delà de ce que peut en dire Socrate pour justifier ou injustifier l’amour - Au-delà de ce que peut en dire Socrate, comme Freud peut situer ce qui fait l’objet de sa découverte au-delà du principe de plaisir - au-delà donc de ce que peut en dire Socrate pour justifier ou injustifier l’amour, l’agalma, le bon objet, le morceau à cracher n’apparaît en réalité sur aucune carte. 

Il est insaisissable en tant que bon objet résolutif. Mais c’est aussi en tant qu’il est insaisissable qu’il défini les cartes au trésor qui s’échafaudent sans cesse pourtant de vouloir l’attraper. Cela ne vous évoque-t il rien ? Et bien oui, nous revenons par là à ce qui fut rappelé le mois dernier, à savoir - c’est le cas de le dire,  que l’objet du désir n’est pas la cause du désir.

Le défilé que nous avons suivi aujourd’hui se resserre et je voudrais pour en amorcer la ponctuation commencer par préciser deux choses, deux choses à partir d’Alcibiade et de Midas. 

Alcibiade tout d’abord…, Et bien Alcibiade il faut tout lui expliquer, gentiment, patiemment, sans cesse et...sans résultat. Il est en cela la représentation prototypique de l’Homme moderne originellement décati auquel rien de doit être refusé. Voire, pour être plus précis, auquel tout doit être accordé, y compris la parole alors perdue de ceux qui s’adressent à lui au niveau de l’insatiabilité qui le défini. 

Insatiabilité qui se fonde à partir de cet au-delà repéré par Freud. Au-delà d’où s’anime la moindre de ses espérances et qui n’a autant comme horizon, comme point d’origine, ou bien, entre les deux, comme point de fuite, que le désir de mort.  

Ce à quoi s’oppose précisément la figure de Midas. Midas s’est vu attribué le rôle de juge arbitre lors du duel entre Marsyas et Apollon et nous savons que sa décision de ne ne pas déclarer Apollon vainqueur aura courroucé ce dernier au point de lui faire changer ses oreilles en oreilles d’âne.

Ça c’est l’histoire. Et pour ce qui est de ce qui nous anime, sa lecture, je vais avancer ceci que Midas a été puni en réalité pour avoir mis le doigt sur une vérité qu’il n’a pas su taire et que je peux pour ma part répéter ici sans crainte du châtiment du fait qu’il n’y a que les gens intelligents pour croire que l’on entend moins bien avec des oreilles d’âne. Et moi, intelligent, je ne le suis pas au point de croire de telles âneries.

Ce qui me permet de dire ce que Midas aura perçu. Qui est que la parole, dés à présent que son souffle, autonome, aura été soutenu, le langage donc, ferre sur sa ligne qui que se soit qui l’aura entendu. Un entendeur, bon ou pas, qui n’aura alors plus de salut possible.

Ainsi, changer les oreilles d’un roi, d’un satyre, d’un humain ou du monde entier en oreilles d’âne, ce dont on se prive pas, ne modifiera en rien le fait que nul, fut-ce un Dieu, ne pourra ensuite de ce crochet du langage par lequel il aura été ferré - par ce dit-ferrant - nul donc ne pourra s’en déprendre.

D’entendre, et de cela entendre, Midas sait dés avant le rendu de la sentence à l’encontre de Marsyas qu’il sera puni lui aussi. En contrepartie de quoi d’ailleurs peut-il s’inscrire au lieu de la liberté pour y livrer son véritable goût à propos du duel musical.

Si figure d’âne il y avait à soutenir ce serait celle de ne savoir ni où ni quand ni comment la parole issue de la ligne de l’inconscient va suivre et révéler sa ligne autonome. Et bien, à proprement parler, elle le fera en ressortant par là où elle est entrée, par les oreilles de Midas puisque l’esclave chargé de le coiffer, à la vue de ses oreilles d’ânes symbole de la chose, ne pourra en tenir le secret et s’en délivrera dans un trou creusé dans le sable à cet effet. Un roseau y poussera, nouvelle flûte qui dispensera au gré de tous les vents le retour du refoulé.

De Alcibiade à Midas nous voilà ainsi rendus au point de constater que à la question Qui parle ? répond la question D’où cela parle-t il ?

Et bien comme nous le dit le mythe de Marsyas, cela parle depuis l’outre au sein de laquelle se révèle ce qui nécessairement ferre les humains au langage.

Et ce qui ferre les humains au langage c’est l’irréductible dit- ferrant - en deux mots -  qui lie l’amour et la haine.  

Alors ami auditeur, 
si la communication non violente et la bienveillance sont ta tasse de thé,
tu sais désormais qu’elles se lestent toutes deux d’un soupçon de strychnine.
Un soupçon oui..mais établit en tant que désiré. 


Rendez-vous est donné dans quelques semaines pour la huitième émission de L’Hommalaise. Il y sera présentée la suite de l’interprétation du livre de Sigmund Freud Malaise dans la culture via son chapitre 7. 

Vous pouvez retrouver l’intervention d’aujourd’hui en podcast sur le site de la radio RDWA - R-D-W-A.FR, ainsi que, accompagnée de sa version écrite téléchargeable, sur le site de Jean-Thibaut FouLEtier, tybolt.fr, T-Y-B-O-L-T . FR 



À l’instar des mots Love et Hate tatoués sur les phalanges de Robert Mitchum dans le film La nuit du chasseur, le groupe Madrugada dans sa chanson Hands up, I love you  nous propose de retracer la lutte de ces deux géants, lutte qui, nous dit Freud, est le contenu essentiel de la vie. 

Jean-Thibaut Fouletier