Les Ambassadeurs et le bon samaritain

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LES AMBASSADEURS

Vanitas mementomori

Les vendanges de la vanité produisent le vain dont nous croisons le visage sous toutes les formes que l’imaginaire nourrit du grain de toutes les justifications spirituelles. Son champ est labouré par le soc commun de nos croyances et de nos aveuglements.

Malgré le caractère banal de ce sillon il m’est arrivé tout récemment d’être saisi par l’étrangeté de pouvoir en appréhender le vif dans une publicité récente sous une forme quasiment identique à l’une de ses représentations la plus remarquable datant, elle, du 16ème siècle.

Je vais étayer différents points afin de développer le fil de ma pensée, pensée qui s’inscrit me semble-t il, mais puis-je en préjuger, sous l’égide de la parole biblique « Ils ont des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour ne pas entendre« . Parole à l’ombre de laquelle se coule ce qui fait la communauté de nos folies, la passion de l’ignorance.

Le premier de nos appuis sera le descriptif de la toile de Hans Holbein « Les Ambassadeurs ».

Au deuxième pas nous aborderons la question des différentes énigmes soulevées par ce tableau et parcourrons la portée de celles-ci par le biais de l’analyse de l’une d’entre elles.

Troisième élément de ce six temps, le rappel du développement précis et novateur que Jacques Lacan aura soutenu,notamment, par le truchement de cette œuvre, à propos du regard*.

Nous verrons ensuite comment les films « Meurtre dans un jardin anglais » et « L’année dernière à Marienbad« , chacun trouvant certaines de leurs racines dans le livre d’Adolfo Bioy Casares « L’invention de Morel« , pourront encore accompagner notre cheminement.

L’avant dernier pivot de ce mouvement nous ramènera à notre point de surprise introductif, la publicité sus évoquée.

De celle-ci, à l’aune de ce que nous aurons avancé auparavant, nous tirerons nos dernières lignes en direction de ce que nous ignorons encore, conformément à nos habitudes.

* Jacques Lacan, séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse.

 

1 – LES AMBASSADEURS, LA TOILE


« Les Ambassadeurs » est une toile de Hans Holbein réalisée en 1533 qui met en scène deux personnages, Jean de Dinteville et Georges de Selve. Le premier est un laïc qui figure le pouvoir politique et le second un ecclésiaste, un évêque, qui, lui, représente le pouvoir religieux.

Ce tableau de 207 cm par 209,5 cm à été commandé par de Dinteville à Holbein à l’occasion d’un évènement qui ne fut pas sans suite pour chacun de ses protagonistes. Le 11 avril 1533, François 1er envoya une ambassade auprès du roi d’Angleterre, Henri VIII. Celui-ci répudia alors Catherine d’Aragon et épousa en secret Anne Boleyn, ayant obtenu auparavant l’annulation de son mariage par l’archevêque de Canterburry. S’en suivront l’excommunication d’Henri VIII par le pape Clément VII et le schisme de l’Église anglicane avec Rome.

Holbein représente donc de Dinteville et de Selve, qui sont amis, debout, positionnés chacun de part et d’autre d’un meuble auquel ils sont accoudés et sur lequel sont posés, sur deux niveaux, différents objets. La prestance et l’importance des deux hommes vêtus de leurs plus beaux atours sont encore rehaussées par la présence, habituelle dans les tableaux de cette époque, de ces objets qui symbolisent la grandeur et la magnificence des connaissances humaines dans le domaine scientifique, ainsi que la richesse de ceux qui en sont les possesseurs.

Une symbolique massive qui n’empêche subdivisions. Les objets sont par exemple disposés en fonction de la représentation symbolique commune à laquelle ils se rattachent. Ainsi, tout ce qui touche aux connaissances de l’univers, comme les sphères armillaires ou les gnomons, etc., est placé sur la partie haute du meuble et tout se qui se rapporte aux sciences terrestres, le globe, le luth, les instruments de navigation, etc., est disposé sur la partie basse. Subdivision encore, puisque chaque objet a évidemment à sa charge une représentation particulière.

Et en matière de représentation imaginées, de symboles donc, restent encore, parenthèses aussi incontournables qu’énigmatiques puisque sises aux limites du visibles, deux objets singuliers. Tout d’abord un crucifix se nichant de profil dans le coin supérieur gauche du tableau et ensuite, une forme, réelle autant qu’innommable en premier lieu, située au premier plan, quasiment sur le plancher de la pièce.

Ce tableau est exposé à la National Gallery de Londres.

2 – LES AMBASSADEURS, ÉNIGMES


Le caractère franc-jeu qui est en tous points présenté par cette toile donne très naturellement accès à tout un champ de ressorts insoupçonnés de prime abord.
Trop franc pour être honnête pourrait on dire, et, parlant d’ambassade, rappelons, comme je l’ai déjà avancé par ailleurs, que La diplomatie c’est mettre du velours sur la poignée du placard à cadavres.

Toute une série d’énigmes apparaissent donc au fur et à mesure que se déroule la lecture du tableau. Elles ont été chacune abordées dans leurs, très variés, domaines respectifs et travaillées de tous temps par les experts de ces différents champs. Histoire, mathématiques, architecture astronomie, alchimie, religion, politique, …, la liste ne s’arrête pas ici des matières sollicités par l’œuvre de Holbein. Mais comme là ne se situe pas le cœur de mon sujet chacun de ces éléments ne fera pas l’objet d’un développement.

Pourtant, avant d’en appréhender un tout particulièrement, dans la perspective d’irriguer notre recherche, nous allons embrasser rapidement et de façon non exhaustive quelques unes des énigmes qui sont mises en avant par le tableau.

Pour ce faire j’ai éclusé bon nombre d’articles sur ce thème ne retenant que celui qui me paraissait être à la – bonne – croisée entre savoirs institués et références ouvertes. De ces références proposées, des énigmes travaillées dans cet article, là encore une seule fut retenue sur laquelle nous allons nous pencher après avoir donc tout de même brièvement énuméré certaines questions traditionnellement soulevées par la toile.

  • L’affaire qui origine cette toile se déroule à Londres et, sans aucun liens avec ses différents protagonistes et donc sans raison apparente, la ville qui est indiquée sur le globe terrestre de l’étage supérieur, Polisy, se trouve en France, quand celui de l’étage inférieur désigne Rome.

  • La musique est représentée par un livre d’hymnes et un instrument. Or pourquoi l’une des cordes du luth est-elle brisée et pourquoi le livre est-il allemand, puisque Luthérien ?

  • En vertu de quoi le plancher est-il une représentation de celui de la cathédrale de Westminster ?

  • Pourquoi dans la série de flûtes l’une d’elle manque-t elle à l’appel ?

  • Mais encore et surtout, comment et pourquoi le commanditaire de cette toile a-t il pu se trouver représenté ainsi presque surfant sur la représentation de forme oblongue qui se trouve au premier plan ?

Le regard porté sur cette dernière figure constituera l’entièreté de la troisième partie du présent texte. Se dévoilera alors, c’est le mot, le caractère radical du questionnement de le voir ainsi placé aux pieds de de Detinville. Mais avant cela, comme annoncé précédemment, développons la recherche supportée par un exemple extrait des différentes énigmes proposées.

Un objet comme exemple:
Exemples, références, étais de discours, ne sont, au même titre que quoi que ce soit, jamais présentés complètement au hasard. Si ainsi devait s’afficher la volonté d’un auteur, la perspective qu’il soutiendrait s’appuierait sur la naïveté, coupable, limitant d’emblée la portée et le crédit de sa visée, de considérer que l’arrimage du particulier à l’universel puisse se réaliser sans loi pour en régir le mode.

La démarche opposée, consistant à choisir sine qua non tels éléments qui viendront éclairer dûment ce dont il s’agit, rejoint quant à elle les apories de la première en ceci spécifiquement qu’étant censés faire office de preuves définitives ils ne finissent en tout et pour tout que par tramer l’ajustement du partiel au partial. (Ces deux derniers paragraphes sont repris de mon livre « Signorelli, de l’oùbli du nom au nom dupé »)

Ceci étant posé, l’exemple choisi maintenant l’est tout autant pour y indexer chacun des questionnements présentés mais non développés ici auparavant, que pour illustrer la finesse, la profondeur et, pourquoi pas, la portée des développements afférents à ces recherches. J’oriente déjà mon propos en précisant encore, en démontrer la finesse la profondeur et la portée dans un champ précis, la raison, qui est précisément celui présenté par ce que semble au premier abord soutenir ce tableau, la maitrise. Ce qui donc, parlant de portée, en désigne immédiatement la limite.

L’article sur lequel je m’appuie a été écrit par André E Bouchard, secrétaire général de la Commission des Cadrans solaires du Québec. Il met particulièrement en avant ce qui ressort de son domaine, les instruments de mesure célestes et terrestres, les cadrans et les gnomons. A cette fin, parmi les auteurs qui auront travaillé sur les questions soulevées par Les Ambassadeurs, il souligne et à juste titre la qualité inédite de l’un d’entre eux, John David North et de son livre, The Ambassador’s secret : Holbein and the world of the renaissance.

Dans son livre North s’attache entre autres à répondre point par point aux lectures et interprétations erronées qui ont été faites du tableau. Ainsi, pour exemple, évoquons brièvement que pour la question de Rome indiquée sur la toile quand Londres y aurait été attendue, il s’appuie sur un catalogue des étoiles de Ptolémée datant du 2ème siècle après Jésus Christ pour conclure que les étoiles brillantes du globe leur sont identiques et que de ce fait le ciel représenté est bien celui de Londres et non celui de Rome comme soutenu par nombres d’observateurs. Question résolue.


Le cadran polyédrique :
Le point qui nous intéresse maintenant, l’exemple que nous avons choisi de mettre en avant ici à travers l’article de
André E Bouchard étayé par la dialectique de John David North, concerne un instrument de mesure appelé bloc gnomonique. C’est un objet présentant à lui seul plusieurs cadrans solaires.

En l’occurrence le bloc représenté sur la toile est un cadran à dix surfaces. Pour vous représenter cet objet il vous faut imaginer deux pyramides que l’on aura étêtées. Chacune d’elles aura donc quatre cotés, qui seront des losanges dont la ligne de base et celle du sommet seront parallèles. Exceptée leur base, sur chacune des surfaces des deux objets obtenus, – les quatre cotés et la surface de la pointe ôtée -, cinq chacun donc, un cercle est tracé au centre duquel est placé un gnomon, ou style, qui projettera l’ombre indiquant la coordonnée souhaitée. Enfin, dernière opération, ces deux pyramides sont collées l’une à l’autre par leurs bases formant ainsi le bloc gnomonique à dix cadrans.

Nous allons maintenant considérer successivement les différentes questions soulevées par cet objet dans ce tableau, comme elles furent traitées par J.D North et rapportées par A.E Bouchard.

Je le dis dés à présent, ce qui aura arrêté mon attention dans les démonstrations présentées c’est que si les différentes techniques, mathématiques, astronomiques ou bien géographiques, avancées par North y sont maitrisées et utilisées au meilleur des escients, il n’empêche que Bouchard met en perspective le fait qu’au final ce ne sont pas elles qui assènent le coup de grâce aux interprétations que pourtant elles mettent à mal, mais encore et surtout qu’elles ne font que préparer et servir un type de ponctuation démonstrative qui ressort d’un tout autre domaine que celui de la pure technique. Comme nous l’allons voir.

Ce cadran est donc un objet difficile. Les questions qui se posent par son biais sont les suivantes. Sa représentation respecte-t-elle les critères de la science gnomonique, les ombres du gnomon représentent elles la ou les bonnes heures, quelle est leur cohérence et, en résumé, Holbein se serait-il fourvoyé en incluant le cadran gnomonique dans sa toile ?

Bouchard souligne que pour North aucune des réponses apportées jusqu’alors à ces questions ne sont satisfaisantes. Pour y remédier, c’est l’aspect technique suggéré plus haut, il livre à notre connaissance trois points pour une meilleure compréhension du cadran en général.

– Primo, le gnomon doit être parallèle à l’axe polaire de la terre.
– Deuzio, si plusieurs faces fonctionnent simultanément les gnomons seront parallèles et dirigés vers les pôles, Nord ou Sud.
– Tertio, les lignes horaires seront gravées en fonction de l’usage que l’on prévoit, la simplicité s’orientant vers un angle droit avec l’axe polaire.

Technique…

Mais encore, North se penche sur les cadrans qui présentent le plus de difficultés, ceux qui ont une face plus large et qui sont les plus près du spectateur. Il avance trois points là encore.

– Premièrement la graduation des lignes horaires ne dépend pas de la latitude géographique de l’utilisateur à la condition que le gnomon soit orienté vers le pôle.
– Deuxièmement, l’arrangement angulaire des lignes horaires va être le même pour les différents cadrans et c’est la numérotation qui variera.
– Troisièmement, les différents cadrans pourront être utilisés également en respectant le fait que les gnomons soient pointés vers le pôle, soient parallèles et aient des angles de lignes horaires égaux.

Pour en terminer avec l’aspect technique de ses démonstrations, reste à évoquer qu’à l’aide de schémas extrêmement rigoureux North met à mal les théories voulant que le cadran ait été calculé pour une latitude d’Afrique du Nord et celle posant que l’orientation du cadran soit mauvaise.

Passé le descriptif un peu sec des arguments techniques, je rappelle que l’exemple du bloc gnomonique et des démonstrations de North ayant trait à démontrer l’inanité des théories qui ont précédé ses interprétations sont avancés ici pour illustrer la haute volée de tout ce qui a pu se dire à propos des questions soulevées par cette toile d’abord limpide en apparence.

A la suite de quoi je rappelle également que la qualité technique de ses arguments, qui pourrait faire office de summum, de faîte maitrisé des qualités démonstratives du chercheur, elles mêmes posées sur les objets les plus représentatifs de la maitrise humaine, promeuvent in fine le pas de côté nécessaire, et indépendant de ces différentes expressions de maitrise, qui l’amène effectivement à ponctuer sa démonstration.

Quel est-il ce pas de côté ? Presque rien comme toujours et en tous cas juste ce qu’il faut pour possiblement passer à la trappe et n’être pas repéré, sans pour autant, soulignons-le, ne pas avoir d’effets. Là encore trois points discernés, mais qui, cette fois donc, ne s’appuient pas sur une arête technique de l’objet mais plutôt sur une posture à tenir vis-à-vis de lui.

En avançant crescendo dans le sens de ce qui nous intéresse présentons d’abord cette remarque de North posant que 1) le cadran représenté ne serait pas un instrument servant à donner une information scientifiquement sérieuse mais serait plutôt une pièce de démonstration à l’intention d’un gnomoniste féru de mathématiques.

Ensuite, et à propos des schémas réalisés par North, celui-ci avance que 2) Holbein a peint ce qu’il a vu et que l’ombre, qui est sur la partie arrière du gnomon correspond aux principes du cadran et non à son usage.

Et à présent, la meilleure de ces considérations gardée pour la fin avec ce questionnement de North concernant l’usage artistique d’un cadran polyédrique dans un tableau constitué de façon extrêmement complexe, questionnement se présentant aussi joliment qu’énigmatiquement et pour le dire « poétiquement » ainsi : 3) un instrument peut-il seulement dire l’heure quand il est constitué correctement ?

Et A.E Bouchard de conclure sur ce dernier point en estimant que voilà bien une question qui relève de la sémantique !

En résumé, pour le point 1) nous avons donc un objet difficile qui ne serait pas présenté pour étayer un discours scientifique mais seulement pour titiller l’intérêt des mathématiciens et pour le point 2) cet objet aurait été peint comme il a été vu et non aux fins de son utilisation. Ces deux remarques venant s’inscrire en faux à l’encontre des théories stipulant que le peintre se serait trompé dans sa représentation de l’instrument et ce indépendamment, et en sus, de son usage technique. Laquelle technique, comme nous l’avons vu, n’aura pourtant pas été laissée pour compte.

Je reprends enfin le dernier point, le 3), mot à mot pour bien le conjoindre à ce qui du présent écrit va suivre. Un instrument peut-il seulement dire l’heure quand il est constitué correctement ? Voilà bien une question qui relève de la sémantique ! La question qui se pose alors est, comment répondre au « naturel étrange » de cette question ?

Autrement dit, pour North, relayé par Bouchard, l’étayage par la preuve scientifique s’efface devant le fait que l’objet puisse se déprendre de sa fonction et qu’il puisse être seulement supporté par le regard du peintre ou du spectateur.

Mais aussi, alternative, c’est là l’étrange question, que délesté des réserves techniques et n’étant plus désormais qu’objet sans fonction autre qu’être simplement « correctement » représenté sur la toile, cela amorce ce glissement qu’il ne puisse se contenter de répondre à cette seule fonction et doive, à partir de là, en dire un peu plus.

Ce que nous servent donc sur un plateau les considérations de ces deux auteurs est ceci, que le bloc gnomonique représenté sur cette toile est privé de sa fonction, celle de dire l’heure – fonction des fonctions ? – et que de cette privation advient un petit quelque chose de différent que de seulement dire l’heure.

Petit quelque chose que l’on peut qualifier tout simplement d’être un discours autre.

Un nouvel heur dont la castration est la condition.

3 – LES AMBASSADEURS, LE REGARD DE LACAN


Respectant notre feuille de route nous avons commencé par décrire le tableau de
Hans Holbein, Les Ambassadeurs, pour ensuite évoquer la question des différentes énigmes qu’il avait soulevé à travers les siècles et arriver au point de butée de celles-ci en ayant analysé l’une d’elle.

Cette dernière aura été abordée à travers ce que j’ai présenté comme étant à mes yeux le meilleur des articles, article dont l’auteur s’appuie sur le meilleur des auteurs, pour en extraire l’objet de la connaissance qui semblerait le plus emblématique à aller dans le sens, parlant d’énigme, de la désintrication du vrai du faux.

A ce procédé démonstratif orienté, le meilleur par le meilleur rehaussé par le plus emblématique, l’on pourra me retourner son caractère subjectif. A quoi je répondrai dans un premier élan, et quoi d’autre chez celui qui « y met du sien « DV-SIEN » posté ici comme anagramme de « DASEIN » – pour ensuite pointer qu’il s’agit juste, après coup, de constater la butée de cette réflexion qui ravale le moindre objet représenté sur ce tableau au rang, précisément, de « ravalé » pouvoir l’être. Ce qui peut se dire le plus simplement du monde, démis de ses fonctions comme condition sine qua non pour fonctionner. N’est-ce pas là, comme je l’ai fait remarquer en passant, une première aspiration en direction de la castration ?


Partant, voilà que le titre de la troisième partie de ce texte, Les Ambassadeurs, « Le regard de Lacan », s’ouvre à une autre lecture, celle du regard de Lacan sur un certain regard qu’il relève être révélé par cette toile. Puisque s’il va s’agir, comme annoncé en introduction, du rappel du développement précis et novateur qu’il aura soutenu à ce sujet, il faut alors avancer sans attendre que le regard révélé en question est, selon lui, un objet privilégié, l’objet petit a de son algèbre.


Contentons-nous de dire pour l’instant, pour définir cet objet, qu’à la différence des objets représentés, qui eux peuvent donc être démis de leur fonction, il est, lui, l’objet faisant reste de cette démission tout en étant nécessaire à la rendre effective.

Objets, objet, objet… Tout d’abord ceux représentés sur le tableau, puis le regard, et enfin la forme oblongue placée au premier plan de la toile. Nous les retrouverons dans l’évocation des chapitres de la deuxième partie du séminaire XI « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse ». Le titre de cette deuxième partie est « Du regard comme objet petit a » et ses quatre chapitres sont 1) La schize de l’œil et du regard, 2) L’anamorphose, 3) La ligne et la lumière, 4) Qu’est-ce qu’un tableau ?


Nous allons maintenant, autant que faire se peut, brièvement parcourir et retracer les deux premiers de ces chapitres sans nous interdire par la suite de nous appuyer sur les deux derniers.

Autant que faire se peut au sens où il ne s’agit ni de résumer le séminaire de Lacan ni de le paraphraser, mais où il s’agira, puisque ce sera pourtant formellement en partie inévitable, de procéder comme pourrait le faire une sonde lancée dans l’espace qui s’appuie sur l’attraction d’une planète pour retendre le ressort de son mouvement.


1)La schize de l’œil et du regard :
Nous sommes en février 1964 trois ans après la mort de
Maurice Merleau-Ponty. Lacan évoque la parution de son livre posthume « Le visible et l’invisible » dans lequel le philosophe fait un pas de plus par rapport à la tradition phénoménologique, positionnée jusque là sur le registre du dualisme des catégories sujet/monde, corps/conscience, en avançant la dépendance du visible à l’égard de ce qui nous met sous l’œil du voyant , établissant ainsi une relation de réversibilité des dimensions du visible et de l’invisible.

Si novatrice soit la pensée de Merleau-Ponty, Lacan pose qu’il ne s’arrêtera pas, lui, aux limites du visible ainsi contingentées par les ressorts du phénoménologue, la faille manifestée par le rapport du visible et de l’invisible. Il avance alors son pion, « L’œil et le regard, telle est pour nous la schize dans laquelle se manifeste la pulsion au niveau du champ scopique. ».

Suite à cela il défini le regard comme étant ce qui glisse, passe et se transmet d’étage en étages à chaque étape de notre rapport aux choses tel qu’il est constitué par la voie de la raison et ordonné dans les figures de la représentation. Pour imager sa pensée, sa démonstration s’appuie sur le mimétisme et sa supposée voie adaptative pour s’arrêter sur l’exemple des ocelles, figures arrondies qui attirent les futures proies ou figent les prédateurs, ocelles qui permettent dit il de distinguer la fonction de l’œil de celle du regard en posant la question de savoir si ils impressionnent par leur ressemblance avec les yeux ou si les yeux ne sont fascinants que de leur relation à la forme des ocelles.

Il insiste sur l’importance de cet exemple qui permet de marquer la préexistence au vu d’un donné-à-voir. Lacan isole alors la fonction de la tache, autonome et identifiée à celle du regard et défini la fonction du couple tache/regard comme étant celle qui commande le plus secrètement la constitution du monde dans le champ scopique et qui échappe toujours à la saisie de cette forme de vision qui se satisfait d’elle-même en s’imaginant comme conscience.

Il illustre cette partie de son discours en donnant l’exemple de la jeune Parques se voyant se voir, de Valéry, où peut se repérer cet escamotage, cet évitement de la fonction de regard. A cet exemple de repérage de ce qui du regard est éludé, il en adjoint deux autres. Primo, le rappel de la satisfaction narcissique liée à l’image spéculaire et secundo, la posture référencée par la tradition philosophique de la plénitude rencontrée par le sujet lors de la contemplation.

En ponctuation de ce chapitre, Lacan dit accompagner Maurice Merleau-Ponty lorsqu’il s’agit de soutenir que nous sommes des êtres regardés dans le spectacle du monde, ce qui, note-t il, mène tout droit au phantasme platonicien d’un être absolu omnivoyant. Mais il formule encore une fois sa différence, le monde est omnivoyeure mais pas exhibitionniste, il ne provoque pas notre regard, ce qui implique que dans l’état de veille il y a élision du regard, élision de ceci que, non seulement ça regarde, mais ça montre. Il poursuit remarquant que, par contre, dans le rêve le ça montre vient en avant et que le sujet suit la chose sans voir où cela va le mener, qu’il peut s’en détacher en disant que cela n’est qu’un rêve, mais qu’ en aucun cas il ne peut se saisir comme conscience de ce rêve.

Le chapitre se clôt sur la pointe suivante, le regard peut contenir l’objet petit a où le sujet vient choir et ce qui spécifie le champ scopique et engendre la satisfaction qui lui est propre, c’est que, pour des raisons de structure, la chute du sujet reste toujours inaperçue. Le regard comme objet a pouvant symboliser le manque central exprimé dans le phénomène de la castration et réduit à une fonction punctiforme, évanescente, laisse le sujet dans l’ignorance de ce qu’il y a au-delà des apparences.

Ignorance qui à ses yeux caractérise tout le progrès de la pensée constituée par la recherche philosophique. Ce qui a le mérite, comme ce qui précède et ce qui reste à venir, non seulement d’être clair, mais aussi de spécifier par la schize de l’œil et du regard ce qui fait chiasme entre la tradition philosophique et la butée innovante perçue par la psychanalyse.


2)L’anamorphose :
Pour définir le regard
Lacan commence par poser à nouveau le caractère irrémédiablement borné de la conscience et, pour faire liaison, s’appuie sur le dernier point de sa démonstration précédente en rappelant que le sujet, en essayant de s’accommoder au regard, défaille et devient, à l’aune de ce regard, objet punctiforme et évanouissant. Son effacement se symbolise dans l’illusion de la conscience de se voir se voir où précisément s’élide le regard.

A partir de là il pose la question de comment se représenter ce regard, envers de la conscience. Il évoque le regard tel que Sartre le défini, un regard dont je suis surpris en tant qu’il ordonne mon monde, mais il ne le suit pas lorsque ce dernier écrit qu’en tant que je suis sous le regard je ne vois plus l’œil qui me regarde et que si je vois l’œil, c’est alors le regard qui disparait.

A l’encontre de cela Lacan cite Goya qui a su saisir ce regard, non pas un regard vu, mais un regard par moi imaginé au champ de l’Autre, un regard qui, dans le texte de Sartre, le surprend en tant que voyeur.

La pierre de touche que pose ici Lacan est de dissocier le regard établit dans la relation de sujet à sujet, sujet néantisant corrélatif du monde de l’objectivité, du regard intervenant directement sur le sujet se soutenant dans une fonction de désir. Pierre de touche sertie par la question suivante, N’est-ce pas justement parce que le désir s’instaure ici dans le domaine de la voyure, que nous pouvons l’escamoter ?

Dans la troisième et dernière partie de ce chapitre. Lacan propose de suivre le cours « historique » par lequel le domaine de la vision a été intégré au désir pour saisir ce privilège du regard dans la fonction du désir. Il commence par faire remarquer que ce n’est sans doute pas sans raison que la méditation cartésienne inaugure dans sa pureté la fonction du sujet au moment où se développe la dimension de l’optique géométrale.

Les bornes de la raison convoquées à nouveau, sous l’égide cette fois des apories du cogito cartésien à fin de désigner le lieu où gît l’erreur, l’espace géométral. La définition que Lacan donne de l’image est alors comme souvent, c’est à prendre ou à laisser, corrélée à sa démonstration qui est celle-ci.

La vision s’ordonne sous un mode qu’on peut appeler en général la fonction des images. Cette fonction se définit par une correspondance point par point de deux unités dans l’espace…. Ce qui est du mode de l’image dans le champ de la vision est donc réductible à ce schéma si simple qui permet d’établir l’anamorphose, c’est-à-dire au rapport d’une image en tant qu’elle est liée à une surface, avec un certain point géométral.

Pourra s’appeler image quoi que ce soit qui est déterminé par cette méthode où la ligne droite joue son rôle, d’être le trajet de la lumière. La perspective géométrale s’inscrit dans le registre du repérage dans l’espace et ne permet donc pas d’investir dans sa plénitude ce que le champ de la vision nous propose comme relation subjectivante originelle.

C’est alors, dans cette troisième partie, que Lacan introduit la toile « Les Ambassadeurs ». Il commence par décrire le portillon de Dürer, un cadre à l’intérieur duquel des carrés sont définis par des fils, ce qui permet de reporter point à point le sujet choisi par l’artiste sur la surface qui va supporter l’œuvre puisque la surface est revêtue elle aussi des mêmes carrés, pour accorder et respecter les perspectives et le rapport des volumes.

Il désigne ensuite la possibilité d’un usage inversé et partiel du portillon, à l’endroit d’un objet choisi parmi tous ceux à représenter. Cela aurait pour effet une distorsion de la représentation dudit objet ainsi désarrimé du rapport de référence liant entre eux les autres éléments à reproduire point par point sur la toile ou le papier.

L’objet en question représenté distordu sur la toile ne pourrait plus être reconnu par le spectateur qu’à la condition que celui-ci se positionne en une place unique dans la pièce où l’œuvre est présentée pour se le voir rendu dans sa forme originale. Ce qui est le cas de l’objet qui semble voler au premier plan du tableau « Les Ambassadeurs ».

En l’occurence, à se retourner, au moment de quitter l’espace où le tableau est exposé à la National Gallery de londres, le spectateur pourra découvrir que l’objet, illisible et que je disais de ce fait innommable, représenté au premier plan de la toile était une tête de mort.

Lacan suggère alors l’idée d’une érection et d’un tatouage ainsi soumis à l’état plus ou moins développé de l’organe considéré. Il vient à nouveau marquer par là le manquement inhérent à la dimension géométrale, butée qui désigne en creux le différentiel menant au représentant de la fonction du manque, le phallus, Phi.

Il ponctue ses dires en désignant ce qui est à ses yeux le tour de force de l’artiste, être parvenu à représenter le sujet néantisé sous une forme qui est l’incarnation imagée du « – Phi » de la castration, laquelle centre pour nous toute l’organisation des désirs à travers le cadre des pulsions fondamentales.

Ponctuation :
J’avais pris les précautions d’usage à l’entame de ce chapitre et malgré cela il se confirme que résumer
Lacan demeure un exercice qui se révèle presque impossible et qui, puisqu’il se réalise tout de même, laisse apparaitre autant son caractère non souhaitable qu’il se livre pourtant ici du nécessaire.

Non souhaitable pour les raisons d’incommodité, de fastidiosité et de redondance déplacée que vous devinez. Et nécessaire pour, comme annoncé, pouvoir tirer la ligne qui va, dans le tableau « Les Ambassadeurs », de ce qui était amené à la fin du chapitre 2 du présent texte, à savoir la castration « dévoilée » à travers le sort fait au bloc gnomonique, à ce qui ponctue le chapitre suivant, à savoir la néantisation du sujet, sous une forme qui est l’incarnation du – Phi de la castration du sujet représenté par le regard que « dévoile » Lacan.

Par le tableau d’Holbein et par le parcours qui nous aura mené du sort de l’objet lambda, représenté par le bloc gnomonique, à l’objet petit a de l’algèbre lacanienne, et de l’objet petit a au regard, nous voilà rendus à établir un certain lien entre la castration qui s’en désigne et la publicité qui aura retenu notre regard dans le supplément Week End du journal Le Monde.

Nous voilà également obligés de, ce lien, en nommer les fibres constitutives.

4 – LES AMBASSADEURS : DEUX FILMS UN LIVRE

Nous allons maintenant nous pencher sur le film de Peter Greenaway, « Meurtre dans un jardin anglais » (1982) pour le lien manifeste qui s’y tisse avec le tableau Les Ambassadeurs. Nous suivront pour cela certains des éléments judicieux, quoique situés un pas juste en deçà de ce à quoi ils vont nous mener, sur lesquels Catherine Millet appuya son propos lors d’une intervention à Paris en 2011.

Ce film nous offrira également la possibilité de tirer un fil qui, à être suivi, nous amènera à en évoquer un autre, « L’année dernière à Marienbad »(1961) de Alain Resnais, mais encore à remonter jusqu’au livre dont les deux réalisateurs se sont inspirés, « L‘invention de Morel » (1940) de l’écrivain argentin Adolfo Bioy Casares.

Depuis les restes que nous saurons récupérer de ce cheminement nous en arriverons enfin à ce qui ici tient lieu pour nous de visée, placer l’image, publicitaire, qui nous aura porté jusqu’ici à l’épreuve de sa pierre de touche, de son touchau.

Car c’est là un fait de structure ou bien de poésie épique, libre à chacun de situer la chose, à la fin de l’envoie Je touche.

1) Meurtre dans un jardin anglais :

Ce qui suit ne peut être entendu sans que ce film ait été vu.

Durant tout le film cousin de Meurtre dans un jardin anglais qu’est le Dead man de Jim Jarmush, le spectateur saura peut-être reconnaître que le regard du héros, William Blake, désigne indéfectiblement la mort des mondes sur lesquels il se pose et des Hommes vers lesquels il se tourne. Il le saura à la condition d’excentrer ce regard de Blake du quotidien dont il témoigne et de là, sans échappatoire, devoir se positionner, comme Blake, dans un rapport à la représentation de sa propre mort.

A l’aune de quoi les regards qui accompagnent le film Meurtre dans un jardin anglais n’ont en définitive rien d’autre à faire eux que de constater qu’une fonction l’anime, qui excentre de leur propre place et détermine à l’avenant tous les éléments qui le constituent, personnages, dialogues, décors, causes et fictions. Cette fonction, nous y reviendrons ultérieurement, mais nous posons dés à présent qu’elle fait office de cadre, voire de quadrature du film.

C’est d’ailleurs la notion de cadre qui inspira Catherine Millet dans la présentation qu’elle fit de ce film lors d’une intervention au forum de images à Paris en 2011.

En évoquant tour à tour le cadre sous divers aspects, par exemple le contrat liant le peintre Mr Neville à Mme Herbert, celui le liant ensuite à la fille de Mme Herbert, Mme Talmann, les rigoureuses règles logistiques que le peintre se donne et auxquelles il astreint les membres et le personnel de la maisonnée, le portillon de Dürer utilisé par lui pour la réalisation de ses dessins ou bien encore le contrat de mariage et celui du libertinage, elle tisse un joli réseau qui, comme elle le précise en conclusion, fini par cadrer et par déterminer, malgré son relatif apparent, cela s’appelle le jeu, l’interprétation du moindre spectateur que ce soit. Elle comprise donc.

A ce propos, la morale populaire stigmatise, avec une gourmandise toute orientée par le rail convenu du renoncement et de l’oubli de soi, le cordonnier et la qualité notoirement médiocre de ses chaussures. Je ne m’alignerai pas sur cette position de principe concernant Catherine Millet qui non seulement sait de quoi elle parle à propos de la pratique du contrat dit libertin, qui n’en a eu vent la concernant, mais encore sait comment ficeler la chose dans ses relations référencées au monde de l’art.

Je m’y conforterai pourtant au motif que son savoir l’astreint à une place où elle fait tache à elle-même, de ne pas voir, c’est le cas de le dire, disons alors de ne pas percevoir que là où elle ne se voit pas est le lieu qui motive son discours et que de se dé-voir se définit le véritable dévoiement…

Pour tenter de rendre l’esprit de son propos, c’est à dire transcrire la portée que peut avoir le plus petit dénominateur commun de l’ensemble de ses analyses, je dirais qu’elle s’attache avec beaucoup d’implication à border le cadre d’une aire aux surfaces éparses, c’est la définition de la quadrature, dont elle relève avec tout autant de finesse, s’appuyant pour cela sur l’analogie avec l’expression du baroque, que s’y recèle un dispositif livrant rien en son centre, nous y reviendrons au final, et qu’en vertu de quoi, quiconque attendrait une résolution clé en main de l’énigme du meurtre de Mr Herbert en sera pour ses frais.

Et pour cause, la clé n’est pas en main mais hors l’œil. Catherine Millet, au cours de son exposé évoque les signes disposés ça et là au fil du temps de la réalisation des dessins et de l’espace du jardin, signes qui sont interprétés dans un sens ou dans un autre par les différents protagonistes, et elle en conclue que la vérité est différente pour les uns et les autres. Notons qu’une vérité différente peut tout aussi bien être dite plurielle, à moins qu’en bon psychanalyste l’on sache surtout qu’elle n’est pas toute.

Mais avant de toucher cela du doigt, si tant est que l’on puisse y parvenir et surtout s’y tenir, les évidences, preuves en anglais, deviennent pourtant des signes plurivoques qui poussent à dire que l’artiste honorant sa partie du contrat dessigne plus qu’il ne dessine et que l’impuissance des spectateurs à pouvoir se situer sur une lecture pleinement résolutive de la grille qui leur est proposée désigne ce qu’il en est d’un aveuglement qui se refuse à trouver son fondement sur les terres œdipiennes pour se vautrer sur celles pauvrement cartésiennes. De là se touche que non seulement la vérité n’est pas toute, mais en ressort que n’est pas aveugle qui veut.

Pour en finir avec la lecture de ce film à travers le prisme du regard de Catherine Millet, je voudrais relever rapidement les différentes banderilles qu’elle plante, au fur et à mesure que se déroule la pellicule, au niveau de ce que je définirai comme étant à ses yeux les permutations du symbolique, le champ du possible qui prend figure de chant du cygne, en réaction à l’avènement d’une vérité insoutenable.

A savoir, successivement et de manière non exhaustive, la réversion des termes du contrat suivant qu’il lie l’artiste et la mère assujettie à ses désirs, ou à la fille, aux désirs de laquelle il est lui même l’obligé, mais encore, évoquant la haute qualité d’un langage châtié qui couvre les pires horreurs, elle cite Sade ainsi que l’artiste Pierre Klossowski en rapportant ce mot de ce dernier, « la syntaxe occulte l’incongruité « . Enfin, à propos de la scène, de ménage, entre la fille et son mari, elle évoque l’impuissance de celui-ci pour suivre et terminer sur la place que Greenaway fait aux femmes, qui finissent, puissantes au dernier terme, par tirer les ficelles du grand ensemble. Ici, en donnant, à la main de leur désir, un héritier au domaine.

C’est sur ce constat que se clôt l’élégante intervention de Catherine Millet et c’est à partir de là que se singularisera la mienne. Il faut alors poser qu’à la différence de Catherine Millet mon propos ne vise pas à analyser Meurtre dans un jardin anglais, ce qui reviendrait à faire ce à quoi revient habituellement l’analyse d’un objet, le canalyser, mais à tenter de repérer ce qui motive le discours qui s’y produit en tant que celui-ci reproduit, c’est le terme, le notre.

Et puisque, pas pour rien, celui de Catherine Millet s’est abouti sur cette trilogie de l’enfant à venir, de la mère puissante et de l’homme impuissant je voudrais désigner dans les lignes à suivre l’idée que si, comme elle le dit, la résolution de l’énigme du meurtre n’apparaît pas possible, elle trouve tout de même des relais, porteurs d’une satisfaction que je dis être, évidemment, déplacée.

Par exemple dans les deux propositions qui suivent, à savoir la reconstruction a posteriori de ce que le peintre aurait dû voir pour échapper à la mort mais également de ce que la mère et la fille aient su non seulement édicter les règles du jeu mais encore en tirer leurs épingles respectives fort correctement. Dans un cas comme dans l’autre ces relais sont des leurres qui situent, à corps perdus, ceux qui les soutiennent dans un espace où le temps se conjugue, confère le lit conjugal...

Or si le moindre regard sur les différentes pièces de l’ouvrage nous apporte la moindre des constatations c’est bien que, malgré l’étendue de la palette qui nous est proposée, ce qui prévaut, au sens de faire moteur, est… une inertie, à laquelle précisément nul n’échappe y compris le spectateur. C’est ce qui pointe et nous permet de faire retour sur la fonction que nous évoquions à l’entame de ce chapitre.

Ni la construction rétrospective ni l’évocation d’un futur au visage d’héritier, mais ni non plus la phallicisation de la femme ou la castration de l’homme, l’une comme l’autre souscrites au plan de l’ imaginé, aucune donc de ces variations épiphénomènologiques ne sauraient prendre le pas sur ceci, c’est la fonction, le primat inconditionné du père mort sur les causes qu’il cautionne.

Il ne s’agit pas de la mort fictionnarisée du père chef de famille, Mr Herbert, ni de la mort du père en tant que géniteur, Mr Neville. Non, s’il n’est que questionnements par la mort du père il n’est de réponse que par le père mort. Non pas donc d’avoir été tué, laissons là ce ridicule, mais bien plutôt uniquement de ne pas être, de toujours, si ce n’est précisément qu’en tant que mort pour accès, alors possible mais pas acquis, à ceci que Nécessité fait loi, dont on peut faire là le constat comme jamais autant à propos.

Il me faut revenir un instant sur un éclairage que Catherine Millet opère sur l’œuvre de Greenaway en révélant qu’à l’aube de sa carrière cinématographique celui-ci faisait des cours métrages où se produisait l’énonciation de nomenclatures. L’exemple donné lors de cette conférence est celui de statistiques, avec énumération donc, sur les suicides dans tel lieu et à telle époque. A partir de quoi nous pouvons souligner que l’énumération se conditionne à partir d’un point zéro, condition sine qua non à l’ordonnancement.

Dans son livre La névrose obsessionnelle volume 1- Le signifiant, la lettre, Charles Melman rappelle à ce sujet, d’ailleurs à propos de la relation mère – fille, que dans le registre de l’ordinal, qui ne se fonde qu’à partir du point zéro, de la castration donc, les choses peuvent être comptées mais encore mises en ordre. Alors qu’à défaut, au champ du cardinal, si elle peuvent être comptées elles ne peuvent être ordonnées. Quelle conséquence pour ce qui nous concerne ?

La seule qui vaille dans notre perspective, il me semble, est que si il est une place qui doit situer le point sur lequel pourra se fonder la prospective ordinale, qui le lui rendra bien puisque l’ordinal fonde la place, s’il est une place donc qui doit pouvoir permettre de supporter la castration, c’est celle mystifiante du spectateur du film.

Parce que pour ce qu’il en est des différents protagonistes il faut bien se dire, que pour eux c’est joué et qu’ils sont la partie faire valoir, possiblement car là rien n’est joué, du cadre dont le spectateur est la pointe, tout aussi possiblement.

Une pointe, toute la difficulté est là, qui ne se valide que de se dé-saisir, castration, pour que soit entériné ce principe de l’ordinal dont nous faisons dépendre, c’est ce qui nous motive, la capacité à ex-centrer le regard. Ce qui, que ce soit devant la toile Les Ambassadeurs ou le film Meurtre dans un jardin anglais, ne reste pourtant encore que l’une des représentations d’accès à l’ek-sistence.

Faute de quoi les points de vues et les interprétations se succèdent comme autant de témoins situant la condition de ceux qui les énoncent, en vacance, détachés et délestés. Soit, non pas au point zéro, mais au point mort.

Ce qui fonde la différence entre un baroque témoignant d’un dispositif livrant rien – nous y revenons -, et un pas de coté en fonction de la castration ne livrant rien.

2) L’année dernière à Marienbad et L’invention de Morel:

Si l’essentiel aura été transcrit par le truchement du film de Peter Greenaway, nous allons pourtant demeurer encore quelques temps dans le domaine du cinéma en nous penchant brièvement sur le film d’Alain Resnais, L’année dernière à Marienbad.

Tout le monde connaît l’histoire. Ce qui en l’occurrence revient à dire que chacun sait quelle témérité il y a à utiliser comme si de rien n’était ce mot, histoire, au sujet de ce film. Histoire qui d’ailleurs se situe autant hors la dernière image projetée sur l’écran que hors la première puisque les mots des critiques et les supputations des spectateurs sont autant de mètres de pellicule qui viennent faire échos à cette phrase de Resnais, « Je rêvais d’un film dont on ne saurait laquelle est la première bobine. ». Chaque commentaire a posteriori en rajoutant une nouvelle venant renforcer la réalité de son rêve.

Le film. L’adresse d’un homme à une femme, la présence diffractée de celle-ci et le retour incessant à la même place d’un autre homme. C’est à n’y rien comprendre et le critique Jacques Lourcelles qualifiera cette œuvre comme l’une des plus insane que le cinéma ait produit. Un rien comprendre qui est une réussite puisque tout est réalisé pour que nous ne soyons pas particulièrement compris dedans. Pas compris au sens de n’être pas compris dans un ensemble, excentrés, pour revenir à cet état nécessaire que je disais à propos de Meurtre dans un jardin anglais ou de Dead man. Ce qui amène au constat qu’avec L’année dernière à Marienbad Alain Resnais devint sans aucun doute l’un des premiers déréalisateurs du cinéma français.

Si Peter Greenaway et Alain Resnais se côtoient ici, c’est bien évidemment parce que leurs œuvres respectives offrent une possibilité de dessiller les yeux de leurs spectateurs dans le sens que nous disons, mais aussi parce que l’un et l’autre, à propos des œuvres sur lesquelles nous nous appuyons, ont été inspirés par le livre de Adolfo Bioy Casares, L’invention de Morel. Si vous ne l’avez encore fait, vous lirez ce livre. Qu’il vous suffise de savoir pour l’instant que la préface en a été écrite par Jorge Luis Borges qui termine son texte par ces mots, J’ai discuté avec son auteur des détails de la trame, je l’ai relue; il ne semble pas que ce soit une inexactitude ou une hyperbole de la qualifier de parfaite.

Outre le fait qu’il soit amusant que Borges parle de trame parfaite à propos d’une œuvre ayant inspiré un film pour lequel les mots ne suffirent pas aux critiques pour le démolir, amusant mais pas désarmant, les syllogismes s’inscrivent sur le papier et flambent au contact de la réalité, je signale en passant que trame n’est pas si éloigné que cela du frame relevé par Catherine Millet, qui désigne le cadre mais aussi comme elle le souligne fort justement le coup monté, frame-up.

Alors quoi, le cadre, the frame, se chaufferait donc d’un autre bois et il pourrait non seulement receler en son sein une énigme sans solution, mais encore, absurdité inenvisageable, se délester d’une solution hors l’énigme ?

Question au regard de laquelle voici venu, je crois, le moment de conclure et d’aborder la production publicitaire qui anime notre mouvement.

5 – LES AMBASSADEURS : LA FOIRE AUX VANITES DU BON SAMARITAIN

A la toute fin de L’invention de Morel, cette histoire à la trame parfaite dixit Borges, répétons-le, quand le temps se dévoile être l’ inscription d’une impossible correspondance, empire du disséqué, le héros adresse une prière « à celui qui,…, inventera une machine capable de rassembler les présences désagrégées. ».

Je ne souscris pas au bien fondé de ce vœux, auquel Luc Ferry et Bernard Magrez semblent, eux, ne pas douter pouvoir répondre. Dans la publicité pleine page du magazine Le Monde supplément Week End du 14 juin 2015 ils répondent donc à la prière du personnage de Adolfo Bioy Casares autant qu’ils refaçonnent à leur manières, veules et contemporaines, le message véhiculé à travers les siècles par le tableau de Holbein.

Ce tableau publicitaire peut se décrire ainsi. Sur un fond noir constellé de points blancs figurant les étoiles dans l’univers apparaissent de haut en bas, le dessin d’un château domanial tel qu’il s’en trouve dans le bordelais et les informations suivantes :

Institut Culturel Bernard Magrez

Parrainé par le château pape Clément

« Grand Cru Classé de Graves »

Les nuits du Savoir

à la Sorbonne

En dessous de ces éléments est placée l’image d’une sphère armillaire puis en dessous de cette image ces dernières données:

Sur le thème de «Solidarité et Fraternité»

Conférence de Luc Ferry – écrivain et professeur de philosophie

Mercredi 25 juin 2014 à 18h – Amphithéâtre Durkheim

Sorbonne Paris

Celle qui me présenta cette image estima en me tendant le magazine que cela pourrait peut-être m’intéresser. Expression de ce qu’un savoir encore insu trouve à frayer son chemin, à faire œuvre d’effraction, sur le champ du dévoilement. Ce qui m’amène à souligner avec la même évidence que ce que je vais résumer dans les quelques lignes à suivre au sujet de cette image publicitaire passe à l’as au regard des lecteurs et que ce qui y gît ne touche qu’à la condition, contradictoire en apparence, d’être scotomisé.

Bernard Magrez, l’une des plus grande fortune de France, s’offre une danseuse, un faire valoir, en la personne de Luc Ferry, sous l’égide du savoir universitaire le plus renommé, la Sorbonne, au prétexte de causes qui ne souffriraient aucun soupçon d’appropriation personnelle à fin démagogique, la solidarité et la fraternité. Le qui ne souffriraient ouvrant les portes à la lecture de ce qui est scotomisé et que je définirai d’être ce qui représente le verrou, la vérole au féminin, faisant ressort à la perpétuation du pire.

C’est à dire, en terme d’effet du capital, de faire retour à la fonction qui s’en dévoile lorsqu’ il est reconnu comme étant de traviole malgré la satisfaction de dupe que procure le mirage de complétude dont il se pare. Dans cette publicité par exemple. Cette fonction est connue de tous, non seulement par ses effets mais encore par la figure du fantôme dont elle assure la pérennité puisqu’elle à un nom, en retour de ses dits effets, la peine capital-iste.

Le capital en veine instillant la peine capitaliste c’est ce qui se repère dans cette page publicitaire, qu’en introduction à cet écrit je disais porteuse du vain issu des fruits des vendanges de la vanité, page à la composition étrangement similaire quatre siècles plus tard à celle du tableau d’Holbein, Les Ambassadeurs. A ceci près…

A ceci près que s’il peut encore lire la page proposée, le lecteur ne peut désormais s’y lire, en aucun cas, et que littéralement, lire ce qui vous efface est un dé-lire.

J’ai déjà utilisé par ailleurs et plus souvent qu’à son tour cette formule, La publicité est une valeur ajoutée qui n’a pas lieu d’Être. J’y reviens, tournant autour une nouvelle fois, pour en dire aujourd’hui l’effet de gommage qui s’y produit et qui dénote qu’à y avoir à faire une chatte ne puisse y reconnaître ses petits, c’est le but, ou, pour ce qui nous concerne, qu’un sujet n’en puisse mais concernant l’abord de son désir. N’en puisse mais puisque imaginairement comblé par avance étant devenu l’objet de toutes les prévenances.

Reconnaissons là la configuration, ou, pour le dire de façon plus sèche, la figure anorexique qui fait de ce tout prévenance un rien prévenu valant pour elle toujours mieux que deux tu l’auras, ou pas. Un rien dont elle se sustente au delà de sa propre moelle, preuve que ce rien est indexé à la pointe acérée du dé-lire de son désir.

Prévenu et délire, nous reconnaissons là deux termes qui sont parfois accolés dans les procès juridiques. Le prévenu est celui pour lequel rien encore n’a été tranché, ni son innocence, ni sa culpabilité, ni sa tête, ce qui dépend parfois de la reconnaissance, ou pas, de son délire.

Michel Foucault bien sûr ici, mais là aussi où se situe l’acte fondateur qui, dans les circonstances de son avènement, a être lu tel ou tel permet de définir une évolution, une involution ou même une dévolution de la loi qui aura à s’en situer. C’est l’exemple donné du vase de Soissons, dans Il faut défendre la société.

Dans les cours des 11 et 18 février 1976 Michel Foucault reprend les analyses de Boulainvilliers. Avec un certain ordonnancement cela va sans dire. J’en reprendrai ici à mon compte quelques unes, également dans l’ordre de présentation qui me sied et qui s’introduit pas cette formule poncive connu de tous, Nos ancêtres les gaulois.

Foucault pose que cette antienne qui s’évoque toujours sous son aspect grossier, parler d’ancêtres gaulois à des populations colonisées, établit en fait un point fondamental symbolisé par la bataille de Poitiers.

Il s’agit de fixer l’origine de la féodalité à autre chose qu’un conflit interne entre Francs et Gaulois mais à un conflit entre les Francs les Gaulois et les envahisseurs d’une autre race et d’une autre religion et donc de définir des frontières et pas seulement géographiques.

Foucault explique alors que la façon dont les choses sont présentées a pour ressort leur représentation dans la théorie du droit constitutionnel et dans les problèmes posés par le droit public. Ainsi en est il de l’histoire du vase de Soissons. Les manuels d’histoire incitent à n’en retenir que la vision d’un roi rancunier, revanchard et un rien caractériel où l’enjeu tel que Foucault le présente à l’aune du regard de Boulainvilliers est en réalité d’une toute autre portée.

Au creux d’une analyse située à la croisée de l’économique, du politique, du juridique, du militaire, du sociale, du religieux…, il relève que Clovis, fracassant le crâne du soldat qui lui avait refusé de préempter le fameux vase, assoie un nouveau type de pouvoir, celui du monarque absolu qui apparaît lorsqu’il se sert d’une revue militaire pour régler un problème de droit civil.

Foucault avance une autre raison, plus importante à ses yeux, pour justifier de ce virage. Il s’agit de l’alliance qui s’est forgée entre le pouvoir royal et l’ancienne aristocratie gauloise. Pour le coup je vous laisse ouvrir ces deux cours, des 11 et 18 février 1976, et en parcourir le liant.

Un liant qui, concernant cet aspect des choses, tient à ceci que, par un jeu de positionnements affectés par les uns aux autres, les différents corps sociaux ont livrés leur « advenir » à ce que Foucault synthétisant la vision de Boulainvilliers nomme le savoir-langue.

Il s’agit par exemple de parvenir à ce constat que si la noblesse a perdu le pouvoir cela tient au fait qu’elle ne parlait plus la langue dans laquelle s’érigeait la loi. Mais encore et là je reprends directement Foucault parlant au nom de Boulainvilliers, « Vous ne récupérerez pas le pouvoir si vous ne récupérez pas le statut des savoirs dont vous avez été dépossédés – ou plutôt que vous n’avez jamais cherché à posséder. Car en fait vous vous êtes toujours battus sans vous rendre compte qu’à partir d’un certains moment la vraie bataille, à l’intérieur au moins de la société, ne passait plus par les armes mais par le savoir ». Et Boulainvilliers de continuer « Nos ancêtres se sont fait une vanité capricieuse d’oublier qui ils étaient ».

Voilà qui situe dans mon propos la ligne de discernement à établir évoquée plus haut avec l’exemple de la responsabilité du prévenu dans un procès juridique. L’oubli de soi est non pas la déresponsabilisation devant un savoir collectif mais le refus de conquérir sa propre langue.

Cette ligne donne accès à un certain type de départage qu’habituellement l’on appelle frontière et que pour ma part je préfère faire apparaître par le biais d’un néologisme, la moyeunne, à travers lequel vous pouvez sentir se conjoindre les mots moyeu et moyenne. Une moyenne, au sens de référence permettant de repérer les bornes et un moyeu qui s’apparente à la théorie chinoise, vieille comme le monde, du centre vide de la roue vers lequel tous ces rayons convergent.

Le vase de Soissons est un objet de discernement par moyeunne. Commençons par remarquer que son vide a plus de portée que le vide du crâne du soldat mort par lui, pour ensuite considérer qu’il peut, comme nous le voyons, donner accès au n’être pas rien et permettre à une société de n’être pas anorexique, malgré les signes d’opulence fictive qu’elle se donne.

Dans le langage des psychanalystes moyeunne se dit Phallus. C’est l’une des modalités de sa représentation que la publicité dont il est question scotomise. Une scotomisation qui laisse pourtant une cicatrice que saint Luc – Ferry, fougueusement lié au précepte du bon samaritain « Aimes ton prochain comme toi-même » dont on sait sinon l’impossible du moins l’équivoque ouvrant à un champ tout autre que celui qu’il sollicite, s’attache à cautériser voire à effacer y compris en la niant.

Le pauvre dis-je dans mon registre, puisque la cicatrice est un trait du phallus dont les effets de mèches du philosophe à portée de balayage dénégatif témoignent de l’existence.

Le pauvre dis-je dans son registre, à ceci près que sous couvert d’aimer son prochain comme eux-mêmes, et plus exactement comme eux s’aiment, avec passion, pas celle de la foi mais celle du désespoir, et par causes, les Luc Ferry ne relèvent pas l’agonisant, ils l’enterrent et sans coup férir, eux compris.

Puisqu’en effet, parler de solidarité et de fraternité dans le cadre « productif » qu’évoque cette publicité revient à conforter cette copulation particulière que relevait Lacan en 1973 à propos du cinquième discours, le capitaliste.

Une copulation, inédite alors et qui apparaît incontournable désormais, liant celui de la science à celui du maître et fondant ainsi une voie nouvelle où l’éthique du premier et l’étiquette du second se retrouvent sur la démarque du sujet dont ils n’ont de cesse d’abolir la représentation.

6 – LES AMBASSADEURS : A LA FIN DE L’ENVOIE JE TOUCHE

Nous voici enfin rendus au lieu estimé il y a quelques pages où nous avancions que, « …nous en arriverons enfin à ce qui ici tient lieu pour nous de visée, placer l’image qui nous aura porté jusqu’ici à l’épreuve de sa pierre de touche, de son touchau . Car c’est là un fait de structure ou bien de poésie épique, à chacun de se situer selon son humeur, à la fin de l’envoie Je touche.« .

Il ne m’est pas possible ici de décrire avec précision et de développer pleinement l’historique de la pratique de la pierre de touche. Je me contenterais de dire qu’elle permettait de mesurer la qualité des alliages et des métaux précieux en orfèvrerie.

Une pratique qui relève de l’art et qui désigne ses artistes postés tels des funambules sur le fil d’un savoir forgé à la longue par l’élaboration d’une constante de référence, celle du rapport liant le touchau et les objets touchés.

Tout ceci reposant moins sur un étalonnage rigoureusement scientifique du processus que par ce qui en fait sa pointe, le savoir faire du praticien. Après quoi, valeur sera attribuée, parole sera dite ou Je pointe son nez.

C’est l’illustration d’une structure élémentaire qui au fil de son procès livre enfin le Sujet.

C’est cette apparition que l’image publicitaire que je rapporte voudrait rendre caduque. Et pourquoi pas ? Cela est censé donner assise, à leurs yeux, à ceux qui la véhiculent et qui se veulent les ambassadeurs sans limites d’une parole détachée du manque nécessaire qui la génère.

Ambassade de la non représentation, celle d’un imaginaire comblant ne donnant accès qu’à l’ombre de son désêtre.

Mais la livrée de sainteté dont s’affublent ces nouveaux ambassadeurs ne leur suffira sans doute pas et vous verrez qu’avant longtemps ils voudront la parer du diadème des stigmates du mystique.

Alors autant que cela leur soit dit, à défaut qu’ils ne le sachent, ils n’en pourront mais, si de la perfection rêvée de leur signe sourd effectivement une larme (1) c’est l’ob-scène dont je suis parvenu à suivre le sillon jusqu’ici. Par elle se révèle l’effectivité de l’organe (2) qui l’a décelée. Lequel donne accès à la fonction d’obscène qu’elle recèle (3).

Cette larme, livrée aux ambassadeurs de grand Peu que je dis, anime la politique d’où s’étaie la porosité du sordide collée au grand Rien qui s’en extrait.

Ce qui n’est pas Tout, de ne pouvoir toucher pour autant au petit rien qui me chaut.

Puisque le mien touchau,

D’un rien qu’il affectionne,

Survit sans grande peine

Aux amuïssements de l’Homme.

(1) De jouissance.

(2) Le Sujet de l’énonciation, le Sujet de l’inconscient.

(3) L’objectivation de la jouissance.

JTF, juillet – septembre 2015