Don de rien

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Hurler avec les loups ou bien jouer de la trompette avec les anges. Les accords de cette ligne musicale polyphonique à l’onde moebienne s’élèvent le plus souvent sur des airs de parfaite communion. Une ligne de toujours qui développe avec une grande facilité ses harmonies puisque le motif de sa partition est le nécessairement indiscutable marié au volontarisme de l’irréprochable.

Oui, ici bien sûr Hannah Harendt et son pavé dans le marigot au canards boiteux la banalité du mal. Formule oxymorique qui aura aspiré, au moins lors de la parution de ce texte, l’attention de la majorité des lecteurs. Pourtant, lorsqu’elle se fonde d’affirmer que Eichmann a abandonné son « pouvoir de penser » et qu’elle le qualifie d’homme insignifiant, il n’y a là aucune contradiction.

On ne peut même au contraire que constater que ce qui fait le lien entre ces deux propositions dans une complémentarité pleinement avérée est l’une de ces logiques d’airain qui, selon la formule consacrée, pousse sa pointe jusqu’au lieu où le tragique confine au comique. Puisqu’en effet, l’une ne va pas sans l’autre et ce jusqu’au vertige.

Ce qui est sans aucun doute moins comique, c’est, pour commencer, la pérennité de la chose. Tant dans les situations massives et extrêmes, « solution finale », Rwanda, que dans les petites composantes de quotidiens restreints, le monde du travail, ou bien encore aussi bien dans les liesses afférentes aux célébrations communautaires, les grands évènements sportifs, qu’au creux de mises en gages – d’engagements – pourtant peu soupçonnables de recéler la moindre parcelle d’insignifiance et par là encore moins soupçonnées que puisse y être – pour qui que ce soit (1) – abandonné son pouvoir de penser.

Concernant ce dernier point, celui qui nous intéresse, celui de l’irréprochable en vertu du peu soupçonnable, le hic alors – et c’est peut être là la partie la moins comique du « moins comique » – c’est qu’il ne s’agit pas là d’un abandon, mais d’une aporie, celle inhérente à la pensée au champ de la raison. Ainsi en est il tout naturellement de la bonne cause. Je pose bien entendu ici ce « bonne » en écho au « mal » dit plus haut.

La bonne cause a du sens, toujours et beaucoup. Trop donc quoi qu’il en soit et la moindre de ses expressions, tuilée voire écaillée, aura été circonscrite par une pensée qui s’en érige omnisciente et qui, partant, fine politique quoiqu’un peu pompière en la matière, lui décerne un blanc-seing concernant la limite dans son choix d’objets et les modalités de son expression.

Morale quand s’y manifeste un engagement – pour les pandas, contre « la faim dans le monde » (2), etc. – qui se soutient de soutenir ceux qui le soutiennent, ou bien de bon sens commun, injonction de l’évidence, lorsqu’il s’agit par exemple, orienté, de répondre à la réalité d’une nouvelle épidémie, laquelle n’aurait spécifiquement de nouveau que de ne pas concerner qu’une partie de l’humanité.

Dans tous les cas de ces deux cas se réalise surtout l’évidence d’une pensée qui n’a d’évident que l’évidement de ceux qui la pensent. Difficile ici de ne pas s’ouvrir au manifeste labile qui soutient cette volatilité. A savoir les tournures de phrases et les mots qui surgissent au fil du temps, ceux qui rendent le mouvement d’une langue en venant y faire leur trou, mais qui sont désormais gainés d’une valeurs très particulière ne profitant pas à tous de la même façon.

Ils sont bienveillance, développement durable, pervers narcissique, une certain nombre de, considérable, réel (3), efficacité, comportement éco responsable, collaborateurs, suggérer, évaluation…La liste est exhaustive de ces petites insuffisances – de tous bords – qui halent le chaland dans la même direction, toutes étant à prendre comme autant de balises affectant le langage du lest morbide de celle d’entre elles qui les rassemblent, la qualification performative,. C’est à dire arasive par son horizon univoque au rendu binaire du pour ou du contre.

Le chalut du chaland, maillage au service de la langue du IVème empire.

Dans une étreinte ressemblant étrangement à un baiser de la mort l’accolade est donnée par les mots au langage telle que ceux qui en demeurent les sujets s’y reconnaissent en vassaux, y adhèrent en suppôts et s’en comportent en cerbères, reproduisant avec une application féroce une valeur dont ils se retranchent, y prenant goût immodéré, mais à la condition collusive de ne jamais y goûter.

Les mots valise sont devenus des valises de mots signifiant une vacuité toute particulière puisque pleine de l’absence de ceux qui les dégorgent. Un plein d’absence qui me ramène à ces deux extraits du texte « Les Ambassadeurs – Vanitas memento mori » (4). Et plus précisément au constat qui aura accompagné la conclusion du second. Ceci de s’être avérée tout à fait inattendue à l’instant de son inscription.

Extrait 1 : (…) J’ai déjà utilisé par ailleurs et plus souvent qu’à son tour cette formule, La publicité est une valeur ajoutée qui n’a pas lieu d’Être. J’y reviens, tournant autour une nouvelle fois, pour en dire aujourd’hui l’effet de gommage qui s’y produit et qui dénote qu’à y avoir à faire une chatte ne puisse y reconnaître ses petits, c’est le but, ou, pour ce qui nous concerne, qu’un sujet n’en puisse mais concernant l’abord de son désir. N’en puisse mais puisque imaginairement comblé par avance, étant devenu l’objet de toutes les prévenances.

Reconnaissons là la configuration, ou, pour le dire de façon plus sèche, la figure anorexique qui fait de ce tout prévenance un rien prévenu valant pour elle toujours mieux que deux tu l’auras, ou pas. Un rien dont elle se sustente au-delà de sa propre moelle, preuve que ce rien est indexé à la pointe acérée du dé-lire de son désir.(…)

Extrait 2 : (…) Le vase de Soissons est un objet de discernement par moyeunne. Commençons par remarquer que son vide semble avoir plus de portée que le vide du crâne du soldat mort par lui, pour ensuite considérer qu’ils peuvent, l’un comme l’autre comme nous le voyons, donner accès au n’être pas rien et permettre à une société de n’être pas anorexique, malgré les signes d’opulence fictive qu’elle se donne. (…)

Oui, je le répète cela m’avait saisi. Tout d’abord bien sûr, filé par la logique, l’inattendu de l’évidence à laquelle l’on touche, révélation. Mais également le fait que cela laisse encore leur place à ceux qui s’y frottent, étonnés qu’ils peuvent être de coexister avec soi-même qui jusqu’alors n’en voulaient rien savoir. Décollement et « profondeur » de champ.

Ici donc, le vide donne accès au « n’être pas rien » et permet à une société de n’être pas anorexique, malgré les signes d’opulence fictive qu’elle se donne

Enfoncer des portes ouvertes, puisque c’est la définition de la révélation, peut tout de même avoir comme avantage, à la longue, d’enseigner l’art de la chute après le coup d’épaule dans le vide. Soit, précisément, de donner accès à la lecture des traces que l’on aura alors inscrites sur le sol. Rien d’autre qu’un cheminement me direz-vous, ce qui n’est déjà plus rien, n’est-ce pas, puisque de la tessiture de ceux qui peuvent mener à l’entre-soir...

La reconnaissance singulière, entre chiens et loups aux temps de la nuit, et qui permet par ailleurs et par exemple, ni sans s’y dissoudre ni sans s’y heurter, la saisie du lieu où pour l’anorexie la délinéation problématique du besoin et du désir fait la ligne tendue du symptôme. Faire œuvre de chair.- à surtout pas confondre avec donner de soi – pour rajouter au niveau du besoin la ligne qui désignera le différentiel d’avec celui du désir enfin reconnu.

Oui, attention à la confusion. Qu’il s’agisse pour cela de ne retrancher que la livre qui suffirait à faire l’affaire, mortelle, comme dans Le marchand de Venise (5), ou bien autant qu’il en faudra pour parvenir à la livrée de transparence, fatale d’être exquise, par anorexie, ce donner de soi là, mettons qu’il soit tenu à partir d’une position qui puisse se dire ainsi, « déchairer », terme à placer en radicale, en extrême, en absolue, comme vous l’entendrez, altérité à ce qu’est le don dans l’acte psychanalytique. (6)

Donner ce que l’on n’a pas, s’entend particulièrement sans le « n » explétif. Donner ce que l’on a pas c’est donner accès à ce que l’on a jamais eu. Le à qui n’en veut pas devenant à qui en veut pas puis à qui en à jamais voulu, pour possiblement, entre franchissement et affranchissement, permettre d’arriver à bon port, celui du bien nommé désir.

…donner ce que l’on a jamais eu à qui en a jamais voulu.

Et effectivement, retour au rien qui estampille autant le singulier de l’unique solitaire que celui du solitaire agrégé, il s’agira, pour que la bascule opère, pour que cela donne son poids à ce qui se situe entre ces deux abords du don, que l’un fasse payer cher le Geste psychanalytique (7), ce qui permettra à l’autre de pas y laisser sa peau de pouvoir soutenir une certaine valeur à la décontenance de ce qui, dans cette peau, s’y tient.

Ainsi, en aucun cas le psychanalyste doit il se prêter au jeu (8) de « l’offre gratuite du don ».

Cela trouve toujours bien sûr justifications. Retour à « la bonne cause » qui calque la surface de ses motifs sur celle de ce qui est supposé la supporter, sans même plus s’accorder aux moyens de se pencher un temps soit peu sur le manque, voire le manqué, qui l’aura, elle, la bonne cause, motivée dans cette supposition.

Tournons la chose ainsi, l’impossibilité d’accès au différentiel est à mettre en lien – causes et effets comme serpent se mord la queue – avec le passage du respect de la règle fondamentale de la libre association à la courbure d’échine au regard de la loi, nécessaire puisqu’indiscutée, du marché – appel d’offre -, seul habilité à supporter quoi que ce soit. Les qui en étant, eux, pour leurs frais.

Afin de répondre au mouvement de confusion voire d’effacement de ce qui spécifie le besoin et le désir, le Geste psychanalytique doit être en toutes circonstances de travailler à la délinéation de l’un et de l’autre. Suivre ces lignes par la grâce de faire payer chair la sienne.

Faute de quoi, de son discours irrespectueux d’avoir été inconsidérant (9), à son tour, il concourra à l’avènement de l’insignifiance.

De celle qui se tient uniquement à ravaler le moindre échange à de la putasserie opportune.

Jean-Thibaut Fouletier

Le 15/04/2020

(1) Pour qui que ce soit, condition sine qua non à l’agrégation qui ramène à la stabilité de la chose, laquelle laisse entrevoir ainsi son caractère de loi fondamentale.

(2) Voici une brève écrite en 2011 et présentée dans le livre « A demain(fermé le WE) ».)

Toi seule le sait !

A l’angle des rue Mouffetard et de l’Arbalète l’on peut se faire alpaguer, certains jours sombres une dizaine de fois, par de jeunes représentants d’associations caritatives, au service de causes toujours bonnes (enfants, planète, pandas…). Alors que je rentrais chez moi après une de ces journées denses comme du mercure, lesté d’enfants, de courses et du reste à venir, une X ième fois sollicité par la Jiminy Criquet de service, je sortis de ma bouche mon cutter velouté. Elle m’accompagna alors sur 300 m, jusqu’à ma porte. A l’issue de cette baguenaude où la charité de mes mots se fit tranchante, s’abandonnant, elle me demanda, superbe d’innocence, « …mais alors, qu’est-ce que je dois faire? ».

(3) A propos du Réel, ces lignes de 2015 :

A la mode de chez nous :

Il y a comme cela des mots ou des tournures de phrases qui s’inscrivent pour un temps comme étant incontournables. Pour dire les choses simplement, ils sont à la mode et l’on se serre autour d’eux pour se réchauffer et faire communautés, diverses et variées, à peu de frais. Par delà l’irritation épidermique qu’ils me procurent généralement, il en est qui me titillent jusqu’au sous cutané, et d’autres qui poussent jusqu’au céphalé. En voici quelques exemples récents dans la veine d’un dictionnaire des idées si ce n’est reçues en tous cas livrées.

– Un certain nombre de … : C’est le Il y a de ceux auquel quatre lettres ne suffisent pas pour annoncer quoi que ce soit qui les suive et qui, quitte à se raccrocher à du chiffre, préfèrent que ce soit un nombre imaginaire voire indéfini.Un certain nombre de...ça fait plus peur, c’est mieux et le savoir reste du côté de ceux qui usent de cette expression. Énormément utilisée par les universitaires. Ex :Un certain nombre de paradigmes…

– Considérable : Est au « cultivé » ce que le C’est énorme est au « beauf ». Infiniment utilisé, lui, par les invités de France Culture. Ex : Un certain nombre considérable de paradigmes…

– réel pour Réel* : Le Graal a portée de bouche de quasiment tous les intervenants de France Culture, universitaires ou non. La réalité tellement bien perçue qu’on lui décerne une médaille en la nommant réel. Lapsus où s’entend tellement que le réel se voudrait Réel à la place du Réel. Le syndrome d’Iznogoud… Mais il ne suffit pas de baisser la tête devant le réel pour le grandir d’une majuscule. D’autant – plus, ou moins, – que le Réel est sans commune mesure. Ex : Le réel d’un certain nombre considérable de paradigmes…

(‘4) Les Ambassadeurs et le bon samaritain, est un texte qui date de septembre 2015. Il traite d’une publicité placée dans le magazine supplément WE du journal Le Monde dans lequel est présentée une conférence donnée par Luc Ferry sous la houlette spirituellement financière de Bernard Magrez. L’image qui fait le support de cette publicité reprend 400 ans après et à son insu la plupart des éléments du tableau de Hans Holbein le jeune « Les ambassadeurs ». A un détail près…

https://tybolt.fr/les-ambassadeurs-et-le-bon-samaritain/

(5) Jean Clavreul A propos du machand de Venise (extrait du Désir et la loi, Denoël, 1987) https://tybolt.fr/les-ambassadeurs-et-le-bon-samaritain/

http://www.jeanclavreul.fr/textes/marchand

(6) Voici la citation de Jacques Lacan qui nous intéresse. Je la fais suivre pour la bonne bouche de de deux autres où il est également question de don.

– L’amour c’est donner ce qu’on a pas à quelqu’un qui n’en veut pas.

– Le psychanalyste ne donne rien c’est pour ça qu’il doit le faire payer très cher.

– Je te demande de refuser ce que je t’offre parce que ce n’est pas ça.

(7) Ce à quoi je me réfère en parlant de l’acte psychanalytique est ce qui lie ce dont il a toujours été convenu de les déterminer comme étant les bornes de la pratiques, à savoir la clinique et la théorie. Je dis cela le Geste.

(8) A entendre souplesse d’un arrangement permettant supposément à un ensemble de tenir, alors que l’ensemble en question se situe et oscille, pour partie et de longtemps, entre le respect d’un marché passé de sujet à sujet et l’identification au marché saturé d’objets

(9) Le préjudice et l’idéal. Pour une clinique sociale du trauma, Anthropos/Economica, 1999 – Paul-Laurent Assoun, : Précarité du sujet, objet de la demande Préjudice et précarité à l’épreuve de la psychanalyse :

(…) La posture analytique et le préjudice inconscient : Ce trajet permet de dessiner ce qui serait la position propre de l’analyste face à cette figure et ce qu’elle peut apporter à l’éthique du psychologue clinicien, engagé par son acte dans cette conjoncture de la précarité. Prendre la mesure de la demande permet de récuser toute idée d’en flatter l’impasse imaginaire – dont se repaissent les théories de la réparation et de la résilience, ce qui en assure le succès social et institutionnel de «réhabilitation». L’égard pour le sujet de la demande va de pair avec le refus d’y céder, dans la mesure même où cela enkysterait la jouissance d’un sujet identifié à son préjudice. Il s’agit en d’autres termes de dégager le reste de désir qui permettrait au sujet de persister à s’envisager comme tel, au-delà de son destin statutaire de déchet du système.(…)