Aux marches du palais
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Il a mille et une façons de parler des endroits où l’on se sent bien et l’on ne sait laquelle choisir afin de mettre au mieux en avant la lumière que l’on y trouve sans trop pourtant la livrer aux regards étiolants.
Il y a mille et une façons de passer à côté de l’essentiel ou du moindre détail du lieu que l’on aime, détail qui à lui seul pourrait donner à ceux qui n’y sont jamais venus l’envie de venir s’y frotter pour un instant ou une éternité.
Il y a trois mille et quelques manières ou je ne sais combien, d’aborder l’infini d’une goutte d’eau bordée par la montagne à l’endroit où la vallée enseigne l’humilité de l’évaporation.
14juillet 2014:
Ce jour là, par ce que je pense être une conjonction de petits éléments qui font la petite histoire des Hommes, s’est déroulé un évènement qui s’avéra précurseur à mes yeux du même type d’évènement survenus quelques temps plus tard en un autre lieu. Mais encore…
Le 14 juillet 2014 à Die une cinquantaine de personnes ont manifesté leur désapprobation à l’encontre d’un projet de la municipalité concernant l’installation de caméras de surveillance. Cette manifestation s’est tenue sur la place où le soir même devait se tenir le feu d’artifice.
Durant la journée, violence paroxystique, deux ou trois des manifestants ont fait des doigts d’honneur durant le face à face avec ce qu’il est convenu d’appeler les forces de l’ordre. La sous-préfète, nouvellement nommée et le maire fraîchement élu, ont ensuite posé un ultimatum aux manifestants leur demandant de quitter les lieux avant telle heure dans l’après-midi.
C’est au milieu de ce très peu d’agitation et de ce beaucoup de bon enfant que surgirent huit voitures de gendarmes venus de Valence à la demande des autorités locales. Les gendarmes, en tenue d’intervention « Robocop », se positionnèrent au milieu des touristes et des locaux qui prenaient un verre en terrasse et en famille au soleil de juillet sur cette place, cœur de la petite bourgade.
Soudain, alors que la dernière dizaine de très relatifs braillards quittaient les lieux en file indienne et dans le calme, des gendarmes en attrapèrent deux par derrière. L’un de ces chanceux, alors qu’il était immobilisé au sol par plusieurs gendarmes, reçu un violent coup de pied de la part d’un plus gendarme que les autres, adepte de la politique de la lâcheté anonyme à couverture légale.
Enfin, en conclusion de tout cela, dans un geste de partage œcuménique auprès des vacanciers et des habitants du cru en train de siroter leur verre, les gendarmes s’estimèrent fondés à asperger la place de gaz lacrymogène.
Après un passage aux urgences les deux manifestants incriminés furent traduits devant le tribunal de Valence et condamnés à de la prison avec sursis. Un collectif se forma alors pour les accompagner dans leurs défense et ils furent relaxés en appel.
Mille et une façons disais-je de raconter l’Histoire. C’est d’ailleurs sa définition, tourner autour du vide. Mais notez-le, avec un accompagnement toujours très orienté de sa rotation…
Par exemple doit-on préciser que la mairie avait également interdit une réunion très banale de troc de vêtements dans les jours à venir et que cette manifestation entendait également dénoncer cela ? Le prétexte invoqué pour cette interdiction étant que la Croix-Rouge s’était plaint de concurrence déloyale. Préciserais-je encore que les responsables la Croix-Rouge joints par les journalistes locaux dirent qu’ils n’avaient jamais contacté la mairie à ce sujet et que jamais ils n’avaient eu la moindre volonté de s’opposer à cette pratique ?
Mais il me semble encore avoir omis de dire que la liste des élus municipaux est exclusivement composée de braves commerçants, les commerçants sont toujours braves, dont le troc ne semble pas être la tasse de thé. A moins que celle-ci ne soit payante.
Ah oui, autre chose encore, la journée a été filmée et la scène des violences également. J’ai rencontré et échangé longuement avec le cinéaste amateur qui m’a remis le film lequel est également visible sur Youtube. Mais j’ai également parlé à l’époque avec des commerçants, des policiers ou le maire de Die.
Des gens charmants et attachants, tournant tous avec une cécité accomplie autour d’un pot qui fait l’armature de leur communauté, de La communauté. Retour à l’Histoire…
Ce pot je pourrais continuer à le définir point à point en continuant à m’engager sur la voie des « mille et une façons de ... » en livrant des détails toujours plus croustillants recueillis directement ou bien en creux auprès de ceux avec lesquels je me suis entretenu, détails permettant de toucher du doigt combien l’on parle de l’autre du point où l’on se manque.
Et combien ce manque produit le grain de la rencontre. A Die comme ailleurs.
De Die à Sivens:
Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, soit un peu plus de deux mois après les évènements décrits dans la localité de Die lors de la journée du 14 juillet, survint la mort de Rémi Fraisse à la suite d’affrontements entre des manifestants protestants contre le projet du barrage de Sivens et les gendarmes.
Une page web Wikipedia présente le déroulé des évènements des 25 et 26 octobre 2014 à Sivens.
Accessoirement, survenirs d’enfance, vous y verrez apparaître un nom qui résonna à mes oreilles à l’époque de sa mort lors d’une manifestation contre la centrale nucléaire de Creys-Malville en 1976, Vital Michalon.
Vous pourrez surtout constater à la parcourir combien la fiche descriptive la plus précise intime la certitude qui forge l’opinion. En ce qui me concerne cela me permet de détourer ce qui manquera toujours à expliquer, et avant cela à toucher même ce qu’est la mal rencontre.
A savoir, tout bonnement, la réussite qui advient après que, de part et d’autre, qu’on le sache ou non, tout ait été mis en œuvre pour répondre à l’impératif d’un nécessaire, nécessaire à entendre sur le versant de « ce qui ne cesse pas ». La mal rencontre donc…
Ma manière de rapporter les choses prête parfois le flanc à la critique, laquelle critique se manifeste, régulièrement en s’appuyant sur ceci que le fait de jouer sur les mots instille, en tous cas à ses yeux, une touche potache à l’écrit qui les supporte.
Avancer cela est une posture, un paravent, impuissance à dessiller, défense dont on se sert pour refuser la conséquence – effectivement parfois insoutenable – du fait que ce sont là moins des jeux de mots qu’accès proposé au jeu des mots qui, lui, permet d’embrayer sur la structure qui nous mène, celle déterminée par les lois du langage.
En tous cas, de Die à Sivens la perception d’un type de déplacement, d’un mouvement qui est que l’inéluctable dame le pion à l’impensable et que le compte rendu le plus circonstancié, la rationalisation la plus pragmatique, ne donnera jamais accès à la structure dont ce mouvement s’extrait.
J’écrivais dans le courriel annonçant la préparation de ce texte qu’il présenterait « à partir de ce que je perçois de ce coin de France (Die) quelques uns de mes points de vues sur ce qui ces temps-ci fait foin en France. Ou ailleurs. »
C’était en septembre et nous sommes aujourd’hui dans le temps qui suit les attentats du vendredi 13 novembre 2015 à Paris.
Edgar Allan Poe, de Paris à Marseille:
Je tiens Edgar Allan Poe pour l’un de ceux qui savent le plus rigoureusement mettre en scène le meurtre du temps de la raison et le plus évidemment modeler le nouvel espace qui en ressort. Son personnage Dupin est dans ce registre son meilleur porte parole. Autant alors qu’elle soit rendue avec exactitude.
Pourtant, dans le conte « Double assassinat dans la rue Morgue« , Baudelaire fait une erreur, parmi d’autres, dans sa traduction du texte de Poe. Voici ce qu’il fait dire à Dupin, le détective génial. » Entre l’ingéniosité et l’aptitude analytique, il y a une différence beaucoup plus grande qu’entre l’imaginative et l’imagination (8), mais d’un caractère rigoureusement analogue. En somme, on verra que l’homme ingénieux est toujours plein d’imaginative, et que l’homme vraiment imaginatif n’est jamais autre chose qu’un analyste ».
Voici dans son intégralité la note (8) qui précise l’erreur Baudelairienne.
« …than between the fancy and the imagination : qu’entre la songerie et l’imagination. La distinction fondamentale entre fancy et imagination échappe toujours à Baudelaire. La phrase française est tautologique, et de surcroit trahit la pensée de Poe. En effet, la traduction en établissant une distinction entre la faculté imaginative (l’imaginative) et l’imagination s’éloigne, autant que faire se peut, des conceptions de Poe. Ce contresens marque le début d’une confusion qui ne permettra pas de percevoir que Dupin est, aux yeux de Poe, un homme d’imagination par excellence. Il voit en lui,au delà du détective, l’image de l’artiste qui « résolvant » la pensée en ses éléments sait redécouvrir la constitution masquée du réel. Dupin c’est l’être doté de l’intuition fulgurante qui touche l’essence. »
Toujours Poe et toujours Dupin qui dans cet autre conte, « La lettre volée » s’exprime à propos du préfet et du ministre voleur.
Alors que l’ami de Dupin estime que le ministre est mathématicien et non pas poète Dupin lui répond » Vous vous trompez; je le connaît fort bien; il est poète et mathématicien. Comme poète et mathématicien il a dû raisonner juste; comme simple mathématicien il n’aurait pas raisonné du tout, et se serait ainsi mis à la merci du préfet. »
La suite de sa démonstration est passionnante et je vous laisse la (re)découvrir pour n’en évoquer que la conclusion, « …je me sentais convaincu que le ministre pour cacher la lettre avait eu recours à l’expédient le plus ingénieux du monde, le plus large qui était de ne même pas essayer de la cacher« .
Effectivement la lettre dont il s’agit dans cette histoire n’est pas cachée. Elle est placée au su et à la vue de tous qui pourtant, de la chercher cachée, ne la verront pas. Excepté Dupin bien sûr qui saura faire le pas de côté nécessaire afin de se mettre « à la botte » de cette fameuse lettre pour pouvoir s’en saisir et ensuite promptement la remettre au préfet, ébahi devant cet analyste, symbole du lieu où confinent ses propres capacités.
Parlant d’analyste, Lacan explicitera à travers cette histoire les liens de la lettre à l’inconscient, et réciproquement, en relevant notamment combien chacun de ceux qui tour à tour dans ce conte en sont les détenteurs y sont assujettis.
Comme quoi, pour se préserver une chance de n’être pas complètement mené par le bout du nez faut il pouvoir se reconnaître un tant soit peu mené par un bout de lettre.
Dans le contexte où je l’évoque, qui permet à la sous-préfète de Die de donner la main au préfet de Poe, je la rattacherais à ce que put être une lettre de cachet sous l’Ancien Régime, une adresse d’exception faite à un particulier et exercée par un pouvoir exceptionnel.
La lettre de cachet avait pour but de faciliter la rapidité de la sentence établie sans jugement par le roi, l’exil, l’incarcération ou l’internement. Son avantage était la rapidité et la discrétion. Y voir un caractère de diffusion de l’autorité permettant l’assise de ce que je définirais le plus justement possible d’être une mise au ban.
La mise au ban, le lieu du ban, la banlieue, est le lieu de ce pot commun que je disais plus haut, autour duquel tout le monde fait communauté d’une rencontre qui n’a lieu que de ne pas être. Et si la rencontre n’est que de ne pas se réaliser, le lieu de cette mal rencontre est partout à sa place. Malencontreusement…
A être réhabilitée, l’expression désormais inusitée de « marche de l’Empire », sa limite, désignerait actuellement ce que notre époque place sous ce vocable de banlieue, banlieue que je dis moi être la place diffuse, c’est à dire sise en tous lieux, du malencontreux.
Poète et mathématicien disait Dupin à propos du ministre dans « La lettre volée« . Analyste écrit Poe par la bouche de Dupin pour Dupin lui-même. Parmi les moins il n’est de pire – Il n’est pas de degrés du médiocre au pire (Boileau) – et deux moins qui se rencontrent ne font ni le pire ni le mieux mais tout juste un signe différent, dans l’écriture mathématique, ou bien la fulgurance de la poésie, qui peut faire chaîne à l’endroit où la rupture semblait consommée.
Milles et une façons donc…:
La marche de l’Empire, oui, c’est ainsi que j’avais évoqué il y a 4 ans l’exposition de peinture sur le thème de la marche que j’avais faite à Romeyer, village de fond de vallée dans la Drôme situé à 3 kilomètres de Die.
Dans le temple du village pour être précis, espace de l’accueil et du refuge perpétué, essaimé par les Huguenots tout du long de leur chemin de fuite. Leur mise au ban par la révocation de l’édit de Nantes sur décision de Louis XIV en 1685 prouve que la malencontre ne date pas d’hier.
Mais qui sait, si la limite de l’em-pire est située désormais en son sein peut-être doit-on alors, aux marches du palais, de l’Élysée, du Bataclan ou bien des cages d’escaliers des quartiers perdus de Marseille, réinventer une rencontre qui ne soit pas que contre, pour, si ce n’est en franchir le seuil, faire la démarche d’à nouveau la dé-finir.
Car il y a mille et une façons de marcher pour que ça marche.
Mais il y a mille et une façons de marcher pour que ça marche.
Le diable n’est-il pas boiteux ?
JTF, Die-Paris, 07/2014 – 15/11/2015
Plic Ploc*
Plic plic plic, plic plic ploc, y’a une fuitauciel !
Ca débaroule drôlement et ça se répand tel
Qu’il va falloir monter au firmament d’Abel
Pour reboucher les trous aux saignements cruels.
« Ah mais ! » Dis la rivière, « Ne fermez pas les vannes
Du jus de sang qui pisse alimentant mon âme« ,
La gargote du diable s’émaille sans filet
De la fuite éperdue qui remplit son brouet.
Quand dira-t-on Candide, Celui qui pousse au crime
Les gentils marsupiaux violant sainte Agrippine ?
Mais l’âne d’Apulée fait bien moins de miss taire
En dévorant les roses, hymens de basses chairs.
JTF, Paris, le 19/11/2015
* Poème extrait du recueil « L’imPI, Vendredi 13,14159… », réalisé au lendemain des attentats du vendredi 13 novembre 2015.
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