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C’est un fait divers qui a inspiré le roman « Est-ce ainsi que les femmes meurent ? » dont s’est nourri Lucas Belvaux le réalisateur du film « 38 témoins » (1). Ce fait divers est le meurtre de Kitty Genovese à Brooklyn dans la nuit du 13 mars 1964.
Par une logique dont il conviendrait d’analyser les ressorts, le meurtre en général et celui-ci en particulier s’insèrent très naturellement dans la rubrique des faits divers alors que ceux-ci sont pourtant toujours des actes extrêmement singuliers. En vertu de quoi je dis que Kitty Genovese a été singulièrement assassinée par Winston Moseley.
Celui-ci, de nuit et par temps de neige, l’a poursuivie dans la rue et lui a porté deux coups de couteau dans le dos. Alors qu’elle appelait au secours il a été interrompu par les cris d’un homme, depuis sa fenêtre, lui intimant de la laisser tranquille. Kitty Genovese est ensuite allé se réfugier dans le hall d’un immeuble où Winston Moseley l’a rejointe quelques minutes plus tard et lui a porté neuf nouveaux coups de couteau avant de la violer. Kitty Genovese est morte lors de son transport aux urgences.
Un autre film que « 38 témoins », » L’homme des hautes plaines », a en partie été inspiré par ce drame et plus précisément par ce qui semble le spécifier aux yeux des spécialistes du crime, le nombre important des témoins directs, visuels ou auditifs, qui ne sont pas intervenus.
Il y a eu moult analyses depuis sur le sujet. La plus novatrice inspirée de ce crime décrit, en matière de responsabilité, l’abandon facile de toute velléité d’intervention que procure le collectif. En d’autres termes, plus il y a d’intervenants possibles moins la victime a de chances d’être secourue.
Ici, parenthèse, « l’abandon facile » s’applique également à ce que j’évoquais en ouverture à propos de la terminologie faits divers à travers l’usage de laquelle chacun se dilue avec délectation pour ensuite, jouissance, dilué s’ignorer tel.
Cet autre film, » L’homme des hautes plaines », est un western atypique même si le ressort apparent, la vengeance, laisse augurer d’un classicisme rassurant, voire accueillant. Il se situe pourtant dans le registre d’une expression particulière.
Celle où tous les habitants d’un village, témoins du crime qui origine la vengeance du héros, sont longuement ballotés dans des raies de violences, sexuelles, physiques et psychologiques que ce dernier déploie à leur encontre, quand il ne fera par contre « que » tuer les trois assassins.
Ses motivations ne seront connues qu’à l’extrême fin de l’histoire, à ce même moment où l’on apprendra son nom, par ricochet, puisqu’il ne le prononcera pas, révélant seulement être le frère de celui qui avait été assassiné, des années auparavant, au su et à la vue de tous.
C’est là ce qui frappe dans ces situations extrêmes où s’assène l’obligation du choix, intervenir ou pas. C’est en tous cas ce que je relève, le fait que les énergies psychiques des protagonistes semblent toutes tendues à l’unisson et agies en sous main par une seule question, » Est-ce que mon nom va apparaître ? ».
Il ne s’agit pas de se fourvoyer en se demandant, « Apparaître, aux yeux de qui ? », même si ces « qui », aux yeux desquels le nom serait révélé, persécuteurs, représentants de la loi, foule muette ou vociférante, etc., ne sont qu’un, miroir où se dévoient toutes les causes et les raisons au nom desquelles chacun un par un se retrouve à porter bas le sien. Parfois, donc, jusqu’au soulageant effacement de l’anonymat.
Non, la difficulté, pour filer une voie qui nous permette de toucher au cœur de cette question, est qu’elle touche au motif et qu’il est fait alors obligation pour s’y retrouver de s’ouvrir au plurivoque de ce mot. Cette approche et sa portée ne se cantonnant évidemment pas au cas présent.
« Est-ce que mon nom va apparaître ? » ne renvoie pas au motif de la causalité, mais à celui de la « pure » inscription.
Celle qui dans un dessin par exemple en est le motif répété et le caractérise. Représentation sine qua non qui vaudrait pour signature. Le motif donc par lequel chacun pourrait s’inscrire singulièrement et être reconnu dans la moindre de ses expressions sans avoir à la justifier.
Au contraire de quoi nous reconnaissons donc sans peine, dans le registre de la causalité, les tombereaux de justifications que l’on pourrait dire être brodées sur pièces mais d’un fil tout autre, celui des motifs, qui eux n’impriment jamais que le délayage et, au final, la non inscription de ceux qui les profèrent, spécialistes de l’encre sympathique.
Car c’est ici un calcul avant tout, n’est-ce pas, de penser que cette opération, la disparition de l’autre, l’alter ego, dans le silence prégnant de l’attente muette, puisse effacer la moindre trace de celui qui la réalise.
Il s’agirait pour ce faire que convergent toutes les motivations du monde vers le lieu du point mort, celui de cette attente, où seraient absorbées avec elles les voix de celles et ceux qui appellent au secours sans pourtant connaître le nom de ceux auxquels ils s’adressent.
Remarque latérale mais précise, c’est par là qu’ils concourent le plus sûrement qui soit à leur propre perte, puisqu’ils somment d’apparaître, de répondre à l’appel de leur nom, ceux-là même qui ont fait vœu, ignoré c’est plus sûr, d’anonymat.
Oui, pour y revenir, c’est un calcul, mais un calcul qui porte à faux pour ceux qui le font, car au point de convergence de tous les « motifs motivés », le calcul subsiste toujours à l’opération.
L’attente demeure et le fait qu’ils en motivent le déni, simplement en la supportant par leur mutisme, fait d’eux les sujets, témoins repérables, et sans faille pour le coup, de leur propre présence figée et emplie d’inanité.
Pour lors, ils font restes d’eux-même et si leur empreinte n’est pas si difficile à repérer, sa lecture est aussi pénible à effectuer qu’est clair ce qui en ressort.
A savoir, ceci, qu‘ils se tuent littéralement à ignorer de leur vivant,
Seul le ciel peut attendre.
Et le ciel, malgré cet apprêt dérogatoire dont on le pare, semblerait lui-même pourtant ne pas souhaiter s’y accorder.
JTF, Paris, le 15/10/2016
(1) »38 témoins », film de Lucas Belvaux (2012) tiré du roman de Didier Decoin « Est-ce ainsi que les femmes meurent ? ».
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