Signatures (Pour Trumper le monde)

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« Pour tromper le monde, ressemblez au monde »

William Shakespeare, Mac Beth

Marie-Françoise, ma tante et marraine, a fait profession d’être pédopsychiatre. De l’hôpital où elle travaillait elle rapportait des blocs de feuilles d’électro-cardiogramme sur lesquels je faisais mes dessins d’enfant.

Les battements de tous ces cœurs semblaient ne jamais s’arrêter puisque les feuilles étaient reliées les unes aux autres alternativement par la droite et la gauche et que s’y encraient ainsi les lignes bleutées d’une écriture en boustrophédon, qu’il fallait savoir se contenter de lire, sans lui donner de sens autre que ses arêtes vives dont le tranchant aiguisait la vie. Inutile de dire que la ligne plate n’était en ces circonstances pas très courue.

Pas de platitude dans la signature du Président des États-Unis d’Amérique, Donald Trump, qui manifeste une formidable régularité dans l’inscription des aigües de ses angles sans que, contrairement aux lignes plates évoquées plus haut, l’aiguisé de ces pointes fasse pourtant gage de pouvoir y lire de sa part une volonté de mener la barque commune dans le sens du vivant.

Le visuel, tout comme le ressenti, de sa signature nous ramène à la densité aberrante des électro-encéphalogrammes emballés de Richard Burton, alias John Morlar, à la fin du film La grande menace où l’acteur joue le rôle d’un médium misanthrope qui se sert de son pouvoir télé-kinésique pour provoquer des catastrophes.

Le fait que les lignes de son activité cérébrale soient ravigotées par son désir de vivre uniquement tenu par celui de provoquer la mort permet de ramener le paradoxe, apparent, une première fois énoncé à propos de la signature de D.Trump comme étant constitutif de l’expression du vital. Un constitutif énoncé incisivement par Freud dans son texte Au-delà du principe de plaisir.

Il semblerait que le paradoxe soit nécessaire – à entendre ne puisse cesser issu de de toujours menant à structurel – afin que puisse se déterminer le choix du régime vers lequel le sujet concerné décidera de s’orienter. Le peintre Bernard Buffet en donne, de la lecture de ces lignes paradoxales, une portée tout à fait singulière, à hauteur de la charge de ce qu’il postait dans son trait.

A la toute fin de l’exposition où furent présentées ses œuvre au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 2017, l’on pouvait visionner un film présentant le peintre en train de travailler. Les dernières images permettaient de voir sa main tenant un pinceau et inscrivant sa signature sur la toile qu’il venait de terminer.

Un échafaudage de traits dont le montage, la répartition et la temporalité de leur inscription révélaient, entre soudaineté et minutie, ce qu’il en était pour lui d’intensité de les soutenir, ce nom par ces toiles, ces toiles par cette signature et cette signature par sa vie.

J’imagine, il est vrai que je ne le sais pas, mais disons que j’imagine comme une métaphore de son éthique picturale, qu’il perçu sa maladie de Parkinson en constatant l’altération de son trait lors de l’inscription de son nom. Stigmate définitif dont l’effet direct, l’impossibilité de tracer la ligne, le mena au choix de son suicide, celui que l’on connait.

Lectures ligne à ligne donc, de celles sur lesquelles viennent se poser les dessins d’un enfant, à la scie-gnature de Trump, en passant par les lignes fictionnelles de l’activité d’un cerveau, pour aboutir aux traits de Bernard Buffet. Autant d’agencements et de décryptages qui me ramènent à cette lecture du monde de Shakespeare, Pour tromper le monde, ressemblez au monde.

Et comme tout aphorisme il ne se déploie que de devoir être complété par chacun comme il lui sierra. Pour ma part, je ne pourrai le faire sans être passé par ce constat implicite que soutiennent explicitement les pratiques stéréotypées de notre époque, pour tromper le monde – qui vous trompe – ressemblez au monde – qui se trompe.

D’où je tire ce trait, inconditionnel, que ce n’est pas là la ligne, claire, faisant signature à mon sujet.

Paris, le 09 05 2018

Jean-Thibaut Fouletier