SCARLATINE AUX HARAS

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(Autant en emporte le vent pour bien achever les chevaux)

Avez-vous eu 5 ans un jour ? La question mérite d’être posée car le doute est permis…

Je veux dire qu’il a son permis dés la naissance le doute. Le doute donc je suis en quelque sorte et si je suis douteux, il n’y a pas de doute, tout le monde l’est. Que l’on soit d’Outreau, d’Outre-mer ou d’outre-tombe. Ce qui n’empêche que moi je suis d’Albertville et que cela n’a rien à voir avec la choucroute.

Pour en revenir à nos moutons, sans plumes, et à notre goudron, sans doute, si vous m’affirmez que vous avez eu un jour 5 ans je vous réponds droit dans mes bottes et les yeux dans les orbites Prouvez le !

Vous avez des souvenirs ? Ça n’est pas une preuve, ça se fabrique les souvenirs, demandez aux historiens. Quoi ? Parlez plus fort, vous êtes inaudible en plus d’être sourde ! 86 ans c’est pas une excuse et puis vous pouvez le prouvez que vous avez 86 ans ? Bon bref, alors vous dites ? C’est l’année où vous avez eu la scarlatine…? D’accord. Et alors vous vous en souvenez tant que cela ? Comment ça se fait, c’est pourtant pas grand chose la scarlatine ! Quoi – again – ? Ah, parce que vous vous l’avez eue deux fois ?! Une seconde fois quelques années plus tard, pendant la guerre…Quelle guerre ? La seconde guerre mondiale ? Et vous aviez quel âge cette fois là ? 8 ans.

En quoi cela prouve-t il que vous ayez eu un jour 5 ans ? Et puis hein, faire sa maline avec la scarlatine sous prétexte qu’elle est restée à chaque fois enfermée 40 jours seule dans sa chambre… Une petite quarantaine toute simplette. Enfin, deux petites quarantaines simplettes. Mettons une quatre-vingtaine sans chichi , sans téléphone mobile, sans ordinateur et sans internet – bref, sans rien n’est-ce pas – dont la moitié pendant une guerre qui a fait 60 millions de morts.

Enfin je vous fais remarquer que dans tout ça il n’y a pas le moindre début de chemin qui mène à une ombre de piste prouvant que vous ayez eu 5 ans un jour, ou même plusieurs. Et puis la guerre la guerre, nous aussi on est en guerre officielle. Il y a un virus qui nous a déclaré la guerre, enfin, plus sournois, il nous a obligé à lui déclarer la guerre. Vicieux. Et du coup on lui fait la guerre.

La vraie, exactement comme en Syrie. Et du coup, comme avec la Syrie, tout le monde se sert les coudes. Comme l’a écrit un de mes cousins dans un de ces mails cousinesques collectifs dont il est friand, « Nous sommes une grande famille » – il est crèmedelélitement diplomé mais il confond encore nombreuse et grande – et il nous parle de Nelson à Trafalgar et de ceux qui en ces temps de guerre virusoïdales pourrons dire comme lui à l’époque  » Dieu merci j’ai fait mon devoir ! ». C’est beau non ?!

Beau et con à la fois. Mais surtout très très con ! Passée la gerbe du bas le cœur il m’aura quand même fallu m’interroger sur les potentiels cinq ans de ce cousin. Il est censé en avoir eu soixante récemment, peu de temps après lesquels d’ailleurs, en toute discrétion anhéroïque, j’ai dû pour ma part aller ramasser ses tantes, mes tantes, octogénaires, à la petite cuillère, après qu’il se soit associé à une partie de sa fratrie en meute corrosive pour les assaillir de courriels abjectes les tantines, endeuillées, elles, de la perte de leur frère, son père.

Le redresseur de tore écrivait entre autres choses – un peu comme certains que j’ai pu recevoir un temps dans mon cabinet de psychanalyse et qui, après s’être convertis et avoir changé de Dieu le Père, manifestaient le vœu de collaborer à l’établissement d’un ordre politique nouveau où la femme serait désormais reconnue à sa place de compte réglé réglant ainsi à ses frais celui de l’homme – à qui ne pouvait l’entendre ainsi, qu’il souhaitait désormais et sans fin « terroriser sa belle-mère »…

Oui, à bien y penser, cela fait de moins en moins de doute, il est vraisemblable qu’il ait eu cinq ans un jour le cousin terroriseur de belle-mère à l’ombre éternelle de son défunt père, si avoir eu cinq ans se soit de toujours apprécié à l’aune de la rampe que l’on impose désormais aux cinquagénaires de notre temps.

Enfin nous y voilà ! Tout ces détours et leurs peccadilles insignes, je me suis un peu amusé, pour en arriver à ceci que, avoir cinq ans, être en dernière année de maternelle par ces temps de Noli me tangere coronavirusé, s’évalue – c’est le mot n’est-ce pas – au fait de recevoir du travail via l’ordinateur, aux confins de où que l’on en soit de son in situ. « In situé » plutôt.

Avoir cinq ans c’est être touché, affectus, d’une touche d’ordinateur… infectis.

Ceci dit, pour l’anecdote, peu de temps auparavant, au mois de janvier 2020, à la question posée par une mère à un professeur de collège de savoir si il était mieux que ses enfants de 11 et 12 ans aient chacun un ordinateur personnel pour travailler sa matière, celui-ci eut cette réponse sublime de nihilisme ignoré, tout sourire et avec un petit accent du midi conférant une tonalité badine à son totalitarisme impensé,  » Et bé c’est la baze ! Moi je les fais travailler comm A n’Ane’treprize ! ». Et c’est vrai qu’ils reçoivent du travail le Week End les bougres et qu’ils doivent y répondre séance tenante depuis la maison. Comm A n’Ane’treprize !

Un petit accent chantant comme celui qu’utilise Desproges dans l’un de ses sketchs pour évoquer le médecin qui lui annonce, tout grand sourire à la vue des résultats de ses examens, que, « Oh putaing Kong ! C’é le KAïncèrE ! ». Pas de doute, il vaut mieux ne pas « se toucher les uns les autres » pour la plupart du temps pouvoir continuer à ne pas vivre sans le savoir mais continuer à pouvoir toucher l’enfant en plein cœur de ses cinq ans pour espérer le tuer en toute ignorance de cause. Dans les deux cas faillir à.

Disant cela me viennent à l’esprit les livres de Serge Leclaire, « On tue un enfant » (1975), et celui de Ginette Raimbault, « Lorsque l’enfant disparaît (1996). De l’enfant, le meurtre sur le divan du psychanalyste ou bien la mort réelle qui s’y dit ressortent d’un discours à l’acabit d’un scalpel autrement plus décisif que celui, actuel, des petites frappes insuffisantes qui se font les loufiats serviles de la promotion que nous connaissons.

Celle qui se targue de faire raisonnablement appel au bon sens pour que personne ne puisse jamais plus pouvoir soutenir avoir eu cinq ans un jour. « A raison », puisque ces jours effacés se font la mémoire des logiciels qui s’y emploient.

L’activité humaine s’arrête de l’avoir oublié et oublie cela de s’y être arrêtée.

Partant, ou pourtant, c’est selon, il n’y a pas la moindre chance que la dite humanité soit jamais assez ni courageuse ni compétente vis à vis d’elle-même, c’est à dire au clair avec son désir, pour s’accorder au moyen d’en disparaître.

Jean-Thibaut Fouletier

Le 23/03/2020