Parler aux murs

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PARLER AUX MURS

Le 4 novembre 1971 Jacques Lacan parle entre les murs de la chapelle de Sainte-Anne pour une adresse à lire entre les lignes des mots.

J’évoque son à propos dans cet extrait du livre « Signorelli, de l’oùbli du Nom au nom dupé ».

Jean-Thibaut Fouletier

Paris, le 14/12/2020

(…)

Lacan et Je parle aux murs

Le mur du temps et Antoine Tudal

Il n’y a pas de mur du temps, il n’y a que celui du langage.

Un petit livre est paru en 2011 qui présente trois conférences de Lacan datant de 1971 et 1972. Le titre en est Je parle aux murs. Au détour de l’une d’elle est avancée la première strophe d’un poème qui en comporte trois. Le titre de l’œuvre n’est pas indiqué et l’on retrouve cette strophe dans les Écrits en exégèse du chapitre fonction et champ du langage et de la parole. Lacan précise le nom de son auteur et dit avoir découvert son texte dans un livre, un almanach, Paris en l’an 2000. Il se trouve que j’ai cet almanach en ma possession. Les voies du hasard ne lui devant rien au final, voici conté en quelques mots comment il me parvint.

Fraîchement débarqué à Paris et ayant sous le bras des peintures sur cartons réalisées à partir des gravures illustrant les livres de Jules Verne je me présentais après avoir pris rendez-vous chez le libraire spécialiste en la matière. Pas de poignée sur la porte de son office et du petit lait tiré de mon nez de jeune naïf bu par lui qui m’écoutait en continuant son travail sans sembler me prêter attention. A la suite de quoi il m’ouvrit pourtant la porte de l’une de ses deux librairies, tenue par sa compagne.

Hugo Pratt venait chez eux se documenter ce qui n’était pas sans me plaire magnifiquement. J’y exposais mes œuvres quelques années sans avoir de contacts très réguliers avec la libraire, mais au fil du temps ses positions extrêmes d’une radicalité à droite droite toute et mon peu d’appétence à la rejoindre sur ce terrain firent que je cessais de m’y rendre.

Il ressorti de cela qu’elle garda une petite peinture de moi que je ne lui réclamais pas, « La jeune tankadère » et qu’elle ne me demanda pas plus de lui rendre ce livre qu’elle m’avait remis un jour en me disant qu’il me plairait. Paris en l’an 2000. Elle hébergeait donc désormais dans sa librairie une asiatique non pas sans papiers mais en papier et je gardais ce livre au titre de mur du temps à franchir…

Le poème en question à pour titre Obstacles. La première strophe ayant donc déjà récemment été exhumée avec bonheur je vous propose d’en parcourir les deux dernières.

« …Les forts enfoncent le mur,

Les adroits l’escaladent,

Les patients le grattent.

Pour d’autres un mur est un mur

Ils le longent sans penser à mal…

ni à bien.

Le bien et le mal

Existent cependant pour eux,

C’est un mur comme l’autre

Qui leur donne son ombre.

Aux emmurés tout est mur

Même une porte ouverte. »

Son auteur se nomme Antoine Tudal. Il est stipulé dans l’almanach que le texte est publié avec son aimable autorisation et qu’il l’a composé à l’âge de 14 ans. Lacan dit dans sa conférence que ça n’est pas sans talent mais que l’on n’a plus jamais entendu parler de son auteur. Ce qui n’est pas vrai pour tout le monde. Il y a en effet matière, son œuvre étant prolifique et multiformes. Il fut notamment coscénariste du film Les dimanches de Ville d’Avray qui remporta un oscar en 1962.

Bien sûr, ceux-là qui longent les murs sans penser à mal ni à bien sont des inconscients et cela leur est rappelé par cette ombre de l’autre qui parfois s’allonge jusqu’à les toucher. Confer maître Freud et maître Fraydau…(3)

Mais surtout, Aux emmurés tout est mur, même une porte ouverte… Le recueil de poésie dont est tiré Obstacles est intitulé SouSpentes. L’auteur l’écrivit en 1943 alors que lui, Antoine Tudal né Teslar, sa mère, Jeanine Teslar née Guillou, qui ne parvenait pas à recontacter son mari polonais, Olek Teslar, pour en divorcer, et son, de ce fait, presque beau-père le baron Nicolaï Vladimirovitch Staël von Holstein, dit Nicolas de Staël, vivaient dans un hôtel particulier inhabité prêté par une amie du couple, Jeanne Bucher.

Aux emmurés tout est mur, même une porte ouverte, donc. Ou une fenêtre, puisque, confiné dans cette soupente, le jeune Antoine y inscrira pour la postérité une ouverture, imaginaire, par écriture, Obstacles. La même ouverture, mais du Réel cette fois, par laquelle se jettera Nicolas de Staël douze années plus tard.

Ce par quoi je dis, accompagné en cela par ces mots du Poêtedespouêts, Jacques Prévert, à propos de Tudal, « il a sa langue à lui – ce qui ne court pas les rues – elle est, si on sait lire, d’une trop étrange simplicité », que Paris en l’an 2000 paraît être un titre soutenant le mur du temps alors qu’y prévaut ici comme partout ailleurs, un ailleurs inaccessible, celui du langage.

C’est à partir de cela que nous allons pouvoir décrypter, de l’analyse de Paul Virilio à propos de l’algotrading, l’erreur Viriléenne

(…)

Jean-Thibaut Fouletier

Extrait du texte « Boîte à lettre »

Paris, 2012