Lhommalaise 1(émission de radio)


icone PDF
                                                                       
                                                                                               


Texte à télécharger en PDF



Vous pouvez écouter l'émission ICI


                                                          UNE SÉRIE D’ÉMISSIONS DE  JEAN-THIBAUT FOULETIER

                                                                      AVEC LA PARTICIPATION DE ÉMILIE DUBOIS


                                                                               Émission numéro 1 : Lhommalaise 

« Je tente de divaguer dans mes paroles,

Es-tu prêt à divaguer dans ton écoute ? »

Tchouang Tseu

                                                                        
                                                                           

                                                                                       Chapitre 1 -   Être compris


C’est un pari.

Je veux dire toute parole est un pari. Autrement dit, depuis toutes les apparences qu’elle prend , car on les lui prête, et qu’elle redistribue, car l’on s’y apprête, son assise ne va pas de soi. Ceux qui y sont assujettis à cette parole, les humains, le sont d’être, en toutes circonstances et en tous effets, saisis par son aléatoire.

Un aléatoire qui fait des sujets de la parole, les Je, des êtres de Verti-Je.

Ils en sont saisis de cette parole non pas au sens de la comprendre  - qui se dirait alors « Ils ont saisi la chose », non, ils en sont saisis d’y être pris, mais encore de n’y avoir, eux, sur elle, aucune prise. 

Aucune prise, mais un rapport. Celui d’y être compris.
 
L’alternative est alors de déterminer si ce y être compris dans la parole laisse augurer qu’ils y soient entendus ou bien qu’ils y soient effectivement compris. Si l’on considère qu’ils y sont entendu cela fait déjà réponse; réponse suspecte puisque toute réponse est placée sur le versant imaginaire de la complétude. A l’inverse, si l’on considère qu’ils y sont compris dans la parole, la chose est à entendre ici au ras des pâquerettes, c’est à dire, à tout le moins, qu’ils y soient pris comme un poisson dans une nasse et que, effectivement - là pas de réponse - ils ne puissent s’en sortir.  

C’est à ces différentes modulations du Y être compris, au lieu du verti-Je, que je situe Lhommalaise, à écrire L majuscule-h-o-m-m-a-l-a-i-s-e.

Que, de la parole, les Hommes ne puissent s’en sortir, personne n’a attendu la psychanalyse pour savoir cela. Mais, à la différence de qui que ce soit, voire de lui-même, celui qui tient lieu de psychanalyste, est situé non pas  où ce savoir se sait, mais, précisément, par là où ce savoir se sait. En l’occurrence, d’être issu (u) autant qu’issue (ue)  d’une certaine ignorance. Autrement dit, un savoir s’originant autant que s’extrayant  de cette ignorance. C’est ce qui fait que le psychanalyste est situé au lieu de cette assise aléatoire dont nous parlions plus haut. Celle-là même qui de son labile le crochète et le fixe à son fauteuil. 

Pour y revenir un instant, être situé ce savoir se sait ne veut pas dire qu’il est de l’ordre d’un savoir en plus. Cela dit qu’il ressort exclusivement de ce qui se soutient après que durant une psychanalyse, de ce su, pourrait-on dire, l’on en soit passé par le dé-su. Soit, un savoir déchu de tout lien de connivence aux semblants et faux-semblants (((- ici c’est idem -))) du semblable et désormais frappé au coin de l’altérité. Un savoir radicalement Autre dont la frappe, la typographie, à être repérée dans le subreptice de son caractère, est le jet-d’in-su, permettant à un-su-jet de la parole de toucher, non pas la mise, mais à la mise qu’il aura, jusque là sans y avoir eu accès, sans le savoir consciemment, engagée dans sa propre parole. 
Ce qui ne veut pas dire qu’il la récupérera la mise, mais qu’au moins il aura connaissance de ce qui jusqu’ici aura tour à tour, motivé, lesté ou bien indexé son propos et que cela lui accordera désormais la possibilité de se positionner en connaissance de cause. A entendre en connaissance de cause toujours tu m’intéresses... 
Un certain savoir, une certaine ignorance… Un certain inconscient !

Ariwara no Narihira, n’était pas Psychanalyste. Il était poète, au Japon du 9ème siècle, et c’est lui qui va nous permettre d’illustrer une expression de ce lien que nous établissons entre la parole, son aléatoire et, parlant de mise, le type de pari qui en résulte dans le champs qui nous intéresse.

Parmi ses œuvres, il composa un haïku en l’honneur d’un ministre de son temps. L’exégèse qui en est faite dans le livre où il est présenté, Poèmes de tous les jours, dit que si, de façon tout à fait conventionnelle, son hommage est introduit par un mot de bonne augure les assistants ont dû se pétrifier d’horreur en entendant ceux qui suivirent… avant que sa ponctuation ne donne son sens à l’ensemble.

Ô fleurs de cerisier ! Tombez – en obscures – nuées –

Au point que la vieillesse – en perde – – son chemin.

Peu de choses apparemment, mais en réalité l’auteur aura joué là sa vie puisqu’il aurait pu être interrompu et voué aux gémonies séance tenante – du fait de la noirceur des termes utilisés – sans que l’orientation généreuse de l’adresse qu’il faisait à l’homme de pouvoir puisse alors jamais être reçue.

Soumission à l’aléatoire. Celui du possible de la suspension définitive, de la coupure. Aléatoire courant jusqu’au terme de chacune de nos phrases et du procès qui s’y déroule, lequel terme, si il est atteint, livrera seulement alors l’engagement du sujet qui s’y sera profilé d’y avoir faire face, à cet aléatoire. Et peut-être même bonne figure.

En effet, ce terme atteint, rien n’est jamais moins sûr, permettra le rebours, le retour sur ce qui aura donné à celui qui parle la possibilité de jouer sa note tout du long du propos qu’il aura tenu et qui l’aura soutenu. Risque inouï, bien que paraissant complaisamment toujours aller de soi, de cette note tenue terme à terme. Possiblement mais sans certitude

Notons, avant d’y revenir ultérieurement, que chacun des deux « terme » de l’expression terme à terme a ici son sens propre l’un par rapport à l’autre. Que ce sens soit celui de mot ou bien celui de fin.

Chapitre 2 – Le scarabée d’or.

Avant d’introduire plus avant dans ce registre de la ponctuation le terme de Lhommalaise qui fait le titre de nos développements du jour ainsi que ceux à venir pour cette année, nous allons nous arrêter quelques minutes sur une histoire d’Edgar Poe. Cette histoire se nomme Le scarabée d’or. Elle va nous permettre de suivre la voie ouverte par Ariwara no Narihira concernant autant, comme nous l’avons vu, le terme du propos que l’à propos du terme.

L’un des personnages de Poe, le chevalier Dupin, intéresse particulièrement les psychanalystes. Que ce soit dans le conte La lettre volée ou bien dans celui du Double assassinat dans la rue Morgue, il parvient à résoudre des énigmes dans lesquelles, aux yeux des personnes liées par leurs trames, lecteurs compris, ni l’espace ni le temps qui situent ces mystères ne semblent receler les coordonnées permettant d’accéder à leur déchiffrage.

Dupin lui y accède . Et son biais pour ce faire est si singulier que la moindre de ses subtilités est bien plus fine que la plus fine des finesses développée par le héros du conte Le scarabée d’or, William Legrand. Conte dans lequel, précisons-le, Dupin n’apparaît pas. Pourquoi alors me direz-vous en passer par une intrigue apparemment ainsi pré-dévaluée ? Je répondrais tout d’abord, ce dont chacun pourra se rendre compte à sa lecture, que cela n’empêche la haute qualité du raisonnement que Edgar Poe prête à Legrand et le plaisir que l’on peut prendre à le suivre.

Mais encore et surtout, c’est le point à relever, que Poe fait, à qui saura le lire, la démonstration que le véritable fil à suivre, non pas dans mais par cette histoire, tisse une étoffe d’une autre tenue que le raisonnement qu’il crédite à Legrand pour résoudre l’énigme.

Je dis que le grain de cette étoffe apparaît comme indépendant du reste du mystère. Elle est Autre. C’est d’ailleurs là ce qui d’habitude fait la marque de Dupin qui est capable de rencontrer et de soutenir cela dans les deux autres contes. C’est également ce qui détermine que a contrario la police, c’est à dire l’organe figurant pour chacun d’entre nous le lieu de la retenue, de la réflexion contenue, limitée d’être orientée, que la police donc ne parvienne pas à toucher la chose et à résoudre l’énigme dans aucune des deux autres histoires. Elle ne le peut car elle est focalisée sur le mystère tel qu’il est censé devoir se présenter. C’est ce qui l’empêche d’accomplir le pas de côté nécessaire permettant une représentation autre des éléments mis à sa disposition afin de solutionner l’affaire.

C’est que, pour la nommer par son nom, la censure, qu’incarne la police dans ces histoires, n’est somme toute que le porte drapeau d’une coupure mal dite. Et la mal diction qui s’en suit est belle et bien, tout simplement, une malédiction. J’ajoute ici contrairement à la bénédiction que peut être la ponctuation.

Pour y revenir à la ponctuation – c’est le pas de côté du jour – William Legrand, le héros du conte Le scarabée d’or n’est donc pas le génial Dupin. Il est un gentilhomme désargenté et son revers de fortune l’a amené selon ses vœux à établir ses bases de peu sur une petite île où chacun des rares habitants fait figure de naufragé de l’existence. Dans ce cadre infernal, accompagné de son domestique et d’un ami faisant office de narrateur, il aura à suivre un fil très particulier, puisque en dehors du fait qu’il devra lui permettre de résoudre l’énigme, il semble pour lui manifestement vital.

Si manifestement vital ce fil, notons le,Avant l’interrompre, sinon le rompre. Remarque faite pour souligner que l’on ne s’extrait pas sans résistances de la mal diction puisque bien évidemment c’est elle qui fait ciment à la moindre communauté.

Lorsque Legrand aura suivi, à quel prix, jusqu’à son terme le déroulé des action successives qui lui permettront de recouvrer la fortune et lui rendront son rang, il lui faudra encore expliquer à ses deux compagnons comment pour cela il aura eu à déchiffrer sur le parchemin entré en sa possession tel ensemble de signes qui lui auront été révélés dans des conditions en apparence, c’est le mot, en apparence miraculeuses.

Un déchiffrement dont chacune des étapes aura été en soi une aventure. Mais une aventure également dans son ensemble pour Legrand qui aura dû supporter de passer pour fou au regard de la parole commune, celle de ses deux compagnons, considérant la sienne soudainement si distordue durant le temps de ses recherches. Notons que c’est le cas durant le temps de toute recherche.

Une telle distorsion – torsion du dit – place naturellement ceux qui la soutiennent dans une position de coupables. Et comme chacun le sait, tout coupable doit être coupé. Oui, tout coupable doit être coupé et nous revenons par là à la coupure, celle soulignée en creux dans le Haïku de Ariwara no Narihira. C’est précisément ce point, voire ce joint, qui aura retenu mon attention dans ce conte d’Edgard Poe, juste après que Legrand eut déchiffré le parchemin.

En effet, après avoir donc indiqué à son ami et à son serviteur comment il était parvenu à extraire un texte à partir des signes et des chiffres inscrits sur le parchemin, il le leur lit, ce texte, tel qu’il se livre, c’est à dire… tout à fait incompréhensible et devant lui-même encore être non plus déchiffré, mais abordé d’une certaine façon restant encore à établir pour pouvoir être saisi. Je rajoute saisi à défaut d’être compris.

Voici le dialogue qui s’établit alors juste après la lecture du texte déchiffré.

(…)

Le narrateur : Mais, dis-je, l’énigme me paraît d’une qualité tout aussi désagréable qu’auparavant. Comment peut-on tirer un sens quelconque de tout ce jargon de chaise du diable, de tête de mort et d’hostel de l’évêque ?

Legrand : Je conviens que l’affaire a l’air encore passablement sérieuse, quand on y jette un simple coup d’œil. Mon premier soin fut d’essayer de retrouver dans la phrases les divisions naturelles qui étaient dans l’esprit de celui qui l’écrivit.

Le narrateur : De la ponctuer, vous voulez dire ?

Legrand : Quelque chose comme cela. (…)

Oui, la ponctuation ! Celle qui manque et qui courre malgré tout tout le long du texte mystérieux décrypté par Legrand. Voilà l‘ultime écueil que devra franchir celui qui voudra découvrir ce qui s’y déroule. En fait, il précise, quelque chose comme cela. Manière de dire que c’est un cousinage avec ce qui est avancé par son ami. Quelque chose comme la ponctuation…Mais il ne définit pas pour autant ce dont il s’agit – et c’est bien là qu’il n’est pas Dupin. Bon, il en fait toutefois la démonstration en acte, démonstration que je rendrais ainsi, la clé de ce qui se dit ne se livre pas en apprenant à lire entre les lignes, mais entre La ligne.

Cela s’obtient en mettant à nu la ponctuation qui, de cette ligne, en livre l’orientation et par là les coordonnées de ce qui s’y recèle. Un trésor de pirates en l’occurrence. Trésor qui pour être atteint – c’est fin de l’histoire de Poe – aura permis de dévoiler le véritable joyau niché en son sein. A savoir, – retour au fil qui tisse une étoffe d’une autre tenue que le raisonnement de Legrand pour résoudre l’énigme – à savoir donc que la ponctuation est située en tous lieux de la parole et là c’est le début de toute psychanalyse.

Ce que confirme comme une pirouette proche du non-sens, presque détachée du reste du récit, la dernière phrase du conte, phrase qui semble étonnamment si relative quant à sa portée et tout à fait désinvolte dans sa profération. Je vous laisse la découvrir à lire cette courte histoire, non sans vous livrer de façon allusive – pour en préserver le dénouement – au sujet de cette dernière sentence prononcée par Legrand, que la mort, elle, ponctuation des ponctuations qu’elle paraît être, semble ne pas compter ses coups au creux du vivant de la parole.

Et, pour en finir aujourd’hui avec Poe, soulignons que le terme scarabée qui donne son titre en langue française à cette nouvelle qui date du 19ème siècle, Le scarabée d’or, vient de la traduction du titre orignal qui est The Gold Bug… Bug…, un terme qui, n’est-ce pas, nous ramène directement à notre époque où il n’est pour le coup pas associé à la bonne marche des choses…

C’est pourtant par lui, par ce terme, que nous allons en revenir au terme à terme expression dans laquelle, comme dit précédemment, terme prend alternativement les sens de mot – un mot est un terme – et de fin – le terme est la fin.

Chapitre 3 – Le néologisme et l’Ailleurs

Lhommalaise soutient le télescopage de ces deux orientations.

Le néologisme est un mot relais qui est mot d’époque, c’est à dire le représentant d’un temps marqué, que celui-ci soit le temps partagé, celui de la communauté, ou bien celui plus feutré, mais pas moins affirmé, de la singularité. Dans un cas comme dans l’autre il éclot comme une fleur de lys dont nul ne connaît encore la destinée. Ou bien la marque infamante du galérien, gravée au fer rouge, et qui l’assigne à un statut définitif. Ici, pour le néologisme, ce serait l’oubli. Ou bien il fera office de passe-muraille donnant accès à des espaces de langage jusqu’à lui insupportés.

Oui, en réalité toute époque a ses mot, néologismes ou non, qui font actualité. Ici, attention, il s’agit précisément de ne pas passer à côté du fait que justement Actualité est un mot d’époque. De la notre en l’occurrence. Non qu’il y soit apparu, mais qu’il s’y situe très spécifiquement en en étant autant le fondement que l’incontournable production. Nous passons là du Bug au Buzz, c’est à dire du Bug comme ratage qui ouvre pourtant au champ des possibles au Buzz qui en marque la fermeture par la négation revendiquée de l’impossible…

Et c’est bien à ce niveau que se détermine les deux lectures de Lhommalaise, au niveau du rapport à l’impossible

Lhommalaise de l’actualité – Homme très à l’aise – ne tient en effet son identité que de se faire buzzé, cela dans un circuit qui en réalité n’est ouvert qu’à une chose, la fermeture. Circuit fermé d’où résulte qu’imaginairement tout est possible. Ce qui mène, c’est le constat, à l’étouffement.

Je dis que au contraire, le discours analytique, lui, permet à Lhommalaise – Homme à jamais mal à l’aise – d’accéder à un espace de respiration. Respiration oui, mais conditionnée à la reconnaissance de ceci qu’il n’y a pas d’identiquité. Autrement dit, que l’identité en tant qu’être identique à soi-même est un impossible.

Cet impossible, ce Réel, ne peut être touché qu’à accueillir le bug pour ce qu’il est, c’est à dire pour illustration, notamment le lapsus, l’acte manqué, le rêve, enfin bref, ce qui donne à chacun la possibilité de reconnaître un différentiel à soi-même, d’ouvrir le circuit et d’ainsi pouvoir se mettre en mouvement, c’est à dire, en parole.

Bien entendu la psychanalyse n’est pas à l’abri de voir se fermer le circuit de son propre discours. A ce sujet, dans son admirable livre, L’ombre de l’objet L’inactualité de la psychanalyse, Marie Moscovici cisèle son rendu de la chose. Elle y traduit notamment combien bien des tenants de la psychanalyse, à travers leur volonté de rendre leur pratique toujours plus actuelle, ont contribué à ce qu’elle revienne sur ses élaborations les plus spécifiques, les rogne ou les efface, ce de n’avoir cessé d’accorder sa main aux actualités contingentes des différentes époques qu’elle a traversées.

Ce calcul – politique – n’aura eu en réalité pour effet que de placer la psychanalyse sur le plan, peu prisé de prime abord, de… l’inactualité. Une inactualité, précisons-le à décharge, située au regard de l’actualité actuelle pourrait-on dire, c’est à dire au regard d’une actualité exclusive, donc excluante, qui est censée détenir la traduction univoque de notre époque.

La finesse de Marie Moscovici est de démarquer cette inactualité ci – caractérisée par une errance sans issue puisque définie par une actualité sans entrée d’être située partout – de la démarquer donc de l’inactualité telle qu’elle devrait être, au contraire, revendiquée. Celle capable de représenter la marque du pérenne que la psychanalyse traduit à travers les époques et ce indépendamment des signes aléatoires qui les fondent.

D’un mot, ce que je dis être le pérenne de ce à quoi la psychanalyse tient lieu de témoin, voire de relais, à un nom et ce nom est inconscient. Où il y a parole il y a inconscient. Inconscient qui nous fait signe au quotidien par le biais de ces petits éclats brefs – ouverture et fermeture – dits précédemment à savoir les actes manqués, les lapsus ou bien encore les rêves, inconscient dont la lecture, tout du long de la durée d’une psychanalyse se supporte radicalement du transfert filant sa trame entre l’analyste et l’analysant.

Nous retrouvons là le pari qui ouvrait mon intervention d’aujourd’hui puisque ce qui se gage dans l’espace – jusque là inouï – du transfert, c’est que cette parole à la rencontre de laquelle je me figure alors me rendre fera crédit à ce dont témoigne une expression qui tient en un mot prononcé avec un certain ton, D’ailleurs...Expression qui, lorsqu’elle est mise en tête de phrase, vaut alors pour preuve en est…

Oui, ainsi disposé, le solde du transfert, qui est l’un des marqueurs de la fin d’une psychanalyse, pourrait être l’investissement d’un Ailleurs, Ailleurs avec une majuscule, investissement d’un Ailleurs inscrit au frontispice du moindre espace de parole.

La parole est d’Ailleurs….Inconscient. Et c’est à soutenir cela que l’on touche à l’inactualité féconde de la psychanalyse, à son pérenne, à sa constance, qui est transcrite sans fard dans le livre de Sigmund Freud Malaise dans la culture. C’est bien entendu à la réponse contemporaine qui est donnée à ce malaise que vient faire écho mon Lhommalaise.

Nous présenterons le mois prochain cet œuvre de Freud. Je précise. Présentation non pas au sens d’y retourner, mais dans celui de la découverte. Cela mérite d’être relevée car s’il est en effet une chose qui semble aller de soi et faire point de communauté évidente, c’est à dire de connivence, c’est bien ceci, que Freud serait dépassé depuis longtemps.

Il m’apparaît, à l’encontre de ce constat arrangeant, que présenter ici en 2021 ce qu’il aura avancé au début du 20ème siècle permettra à tout le moins de revenir avec une autre oreille sur les notions de dépassement, de progrès, voire de compréhension, puisque nous l’évoquions à l’entame de notre propos, termes qui apparaissent comme étant les coordonnées incontournables des valeurs actuelles.

C’est que, sous couvert de bon sens et au nom du ça va de soi, poussons même jusqu’aux chiffres qui parlent, comme ça pas de jaloux, il n’y a pas de place pour l’évidement de l’évidemment. Ce qui est à traduire ainsi, Les évidences ne sont jamais évidées. Mots de passe collectifs elles emballent quoi que ce soit de leur poudre de perlimpinpin sémantique et leurs estampilles silencieuses n’ont pour effets que de souligner la connivence délétère de ceux qui leur délèguent les clés de leur désengagement. En complément de quoi je peux ici vous faire entendre ce mot d’Antonin Artaud, L’exercice vrai de l’esprit creuse la vie comme une maladie.

Oui, un siècle après il est remarquable que Freud puisse ainsi être encore si ma-gni-fi-que-ment in-com-pris. Je vais avancer ici ce qui peut apparaître comme une remarque transversale. Comment ne pas être frappé par le fait que le malaise qu’il dévoilait alors est toujours si repérable aujourd’hui dans ceci, précis, que la compréhension immédiate, être compris instantanément par l’autre n’est-ce pas, s’avance comme la clé résolutive ouvrant toute les portes du bien être, individuel ou collectif ?

Le Graal !

Enfin, le symptôme plutôt! Adhérer à cette croyance c’est se figurer, comme si cela était possible, être naturellement et sans dommage de la même chapelle que le langage… Je vous laisse juges, cela, notamment, à vous reporter sur ce qui a été avancé à l’entame de mon propos d’aujourd’hui au sujet du fameux être compris.

Dans ce registre, celui du être compris par l’Autre et dans l’Autre du langage, il y a le tableau Le baiser de Picasso en 1925, où les deux qui s’embrassent semblent littéralement fusionner – à moins que ce ne soit un qui se divise – et de là, cette pirouette de Woody Allen, En amour l’essentiel est de ne faire qu’un ! Oui mais lequel ?… C’est en réponse à cela que l’Hommalaise est ce néologisme qui de l’un à l’Autre, risque le va tout de son assise par l’équivoque de sa portée.

Ainsi, je pose la question à nouveau, Lhommalaise est-il l’Homme pris dans le malaise que dit Freud ou bien est il détaché de celui-ci ? Entravé par le langage comme un poisson pris dans la nasse ou bien à l’aise avec lui comme un poisson dans l’eau ? Et bien disons que, à la différence du poisson qui a des ouïes mais n’entend pas, Lhommalaise entend mais qu’il n’ouït guère.

Le silence qui s’en suit – autant qu’il y précède – se leste d’une parole inaffranchie. C’est à dire qu’elle ne le franchit pas ce silence, du fait de ne pas être validée par la ponctuation évoquée plus haut, celle permettant de repérer ce qui conditionne l’engagement de tout être parlant dans ce qui lui permet de tenir son statut de parlêtre.

Chapitre 4 – Du mot de passe aux avenirs de Lhommalaise

C’est ainsi qu’en réponse à cet engagement malaisé, la suspension, qui est du registre de l’imaginaire, est censée remplacer la ponctuation, qui est elle du registre du Réel. La remplacer en pensant par là faire l’économie de la rencontre de l’Homme avec le malaise qui fonde sa condition.

De tous temps il s’est envisagé une solution pour accompagner cette suspension. Une solution que nous pratiquons tous, chacun à sa main, à sa langue devrais-je dire, solution de franchissement aux petits pieds qui a pour nom le mot de passe. Retour aux évidences.

Oui, le mot de passe, le Schibboleth est un contournement du malaise qui étreint l’Homme individuellement ou bien en collectivité. Ce qui est la même chose à partir du moment où il y a langage puisque je le répète, le langage fait de chaque un de nous des êtres divisés. Nous reviendrons cette année sur cette division. Je l’évoque tout de même d’un mot qui me vient, comme cela, et ce mot est refus. Refus du cheval devant la barre. A ceci près que pour l’Homme, pour ce qui est du refus, la barre est dans le langage. La barre de la division, bien entendu, à laquelle il ne peut donc se soustraire.

Je vais prendre un instant pour évoquer ma première rencontre avec le terme Schibboleth. Elle s’est faite par le biais du livre éponyme de Jacques Derrida. Un livre qui provoqua bien des sollicitations à mon endroit lorsqu’il y a longtemps de cela l’on me voyait le lire.

Pour l’anecdote, ce mouvement de sollicitation je le renversais un jour que je me promenais dans les rues de Die, dans la Drôme, et que par la fenêtre j’aperçus ce livre sur une étagère dans un appartement. J’interpellais à son sujet celui qui habitait le lieu et nous finîmes par passer un après-midi à broder à partir de l’ouvrage. Je le dis en passant, au même moment, s’il ne fut pas retenu pour devenir le directeur du cinéma local, Le Pestel, il obtint le même poste quelques semaines plus tard à Forcalquier.

Venons en maintenant à l’origine du sens donné à Schibboleth.

Dans la Bible, le Livre des juges relate comment les Giléadites, après avoir défait les Ephraïmites, mirent au point un indépassable marqueur pour reconnaître ceux de leurs ennemis qui tentaient de s’échapper en traversant le fleuve Jourdain. Ils demandaient en effet à ceux qui venaient à eux de dire le mot Schibboleth.

Alors, immanquablement, ceux d’Ephraïm écorchaient le mot en prononçant Sibboleth, rendant ainsi la sentence de leur propre mort puisque les Giléadites les égorgeaient alors immédiatement sur les berges du fleuve.

Schibboleth est devenu depuis le symbole du mot de passe quel qu’il soit. Il y a eu depuis de nombreux autres Schibboleth. Je retiens celui-ci qui eut lieu en 1937 à la frontière de la République Dominicaine et de Haïti.

Le Président de la République Dominicaine, Rafael Trujillo craignait d’être renversé par des Dominicains en exil aidés par les Haïtiens vivant dans le pays. Il fit alors un discours dans lequel il affirma qu’il fallait urgemment contrevenir aux déprédations multiples et variées causées par les Haïtiens. Le massacre du persil pouvait commencer. Il fut appelé ainsi car connaissant l’impossibilité pour les Haïtiens de prononcer le R les Dominicains leur présentaient une botte de persil en leur demandant de prononcer ce mot, mot de passe – mot d’impasse – dont la prononciation altérée les dénonçait à leurs bourreaux.

Les chiffres avancés depuis concernant le nombre des Haïtiens qui furent alors tués à la machette, au couteau et à coups de gourdins oscillent entre 15000 et 30000.

Il y aurait tant à relater sur l’historique de cet épisode et tant à dire sur l’un de ses avatars, à savoir le sorts des apatrides d’origine Haïtienne vivant en République Dominicaine. Il faut pourtant choisir pour aller directement dans la direction de ce que peuvent nous livrer les confins de cette abjection.

Citons pour ce faire cette phrase extraite du discours prononcé dès les premiers jours du massacre par le Président Trujillo, à Dajabon, ville frontière dont le pont avait été coupé pour empêcher la fuite des Haïtiens. Il y tint, dit-on, ces propos, Depuis quelques mois j’ai voyagé et traversé la frontière dans tous les sens des mots. Ces paroles viennent à point pour ponctuer ce qu’il en est de la traversée du corps par le langage à partir d’une impossible économie, l’économie de la castration, à laquelle est censée répondre le mot de passe.

La visée aberrante du mot de passe, qui n’a pour équivalent véritable dans notre champ que la clé des songes de la pataphysique Jungienne, est de penser pouvoir faire main basse sur le signe qui a prise sur le corps, pour faire de ce dernier, le corps, le lieu du « pas de quartier » soit, du corps mis en quartier. Ce qui est une définition de l’Apartheid. En tous cas, la ligne qui dans cette réalité coupe le corps, à coup de couteaux ou de machettes, figure celle d’un langage dans lequel l’on ne peut lire entre la ligne.

Ainsi, contrairement à ce que promeut courageusement Poe dans Le scarabée d’or, il n’y aurait pas d’ouverture possible. Pour les tenants de cette lecture appauvrie, la chose est définitive, elle est irrémédiable. Irrémédiable vient ici faire résonance au fait que Trujillo avait qualifié sa méthode de remède. Irrémédiable doit donc ici s’entendre en réalité remède du diable. Le remède de ceux qui pensent malgré tout, qui imaginent donc, avoir la main mise sur l’errance du signe en ce lieu qu’est le corps.

Peine perdue, car cette errance qu’ils tentent d’enrayer est la production d’une béance sans origine, sans fin et sans remède…sauf à considérer, comme une pensée magique, que ce corps, il s’agit non pas de l’accompagner à supporter d’être traversé par le langage, mais qu’il est possible de le prémunir des effets du langage. Ce type de fantaisie se soutient par le biais d’un certain discours – toujours écrit à la hache.

C’est cette politique de la maîtrise imaginée qui mène qui n’y prend garde de l’illusion du mot de passe au fol silence du passe sans mot.

Nous y sommes.

Il n’est besoin ni d’être grand clerc ni de conjuguer la chose au futur pour lire ce que cela désigne. Je le répète encore une fois, nous y sommes. Cela veut dire nous y sommes sommés.

Nous verrons dans les développements à venir ce que représente ce signe dont il s’agit de s’affranchir en croyant le maîtriser. Un affranchissement qui nous renvoie à ce qui a déjà été évoqué aujourd’hui, je le répète, un silence mortifère se lestant d’une parole inaffranchie. Une parole qui aura suivi les trois temps que nous avons relevés. Celui du mot de passe, celui du mot d’impasse et celui du passe sans mot.

S’il est entendu que Lhommalaise de l’actualité contemporaine veut s’affranchir des lois du langage, et bien il n’a qu’à se pencher sur le sort que Marcel Aymé réserva à son héros, Dutilleul, alias Garou-Garou. Soit en lisant son œuvre Passe-Muraille – nous y revenons, soit en se rendant en personne place Marcel Aymé dans le 18ème arrondissement de Paris. Il pourra y voir le corps de Passe-Muraille littéralement encastré – c’est bien le termeencastré dans le mur qu’il souhaitait éviter. Celui du langage. Mur dont le ciment pour le coup n’est pas le mal-entendu, répondant à la mal diction comme le berger à la bergère, mais bel et bien – radical du sujet la castration.

Tel est l’avenir d’une telle illusion.

En réponse à quoi, il y a un siècle Le « Malaise dans la culture« de Freud aura posé ce à la rencontre de quoi, par le biais de l’analyse nous sommes censés nous rendre – comme l’on dit « rendre les armes » mais sans que ce ne soit une défaite, loin s’en faut.

A savoir ceci, que Lhommalaise de la psychanalyse, s’il peut éventuellement évoluer et tirer une ligne satisfaisante de son quotidien n’en est pas moins – et plus souvent qu’à son tour en tant que psychanalyste – réduit à évoluer dans le registre du « malaisé ».

Oui…, une réduction drastique de l’illusion.

Ce qui n’empêche le rêve.

Et par là, l’accès au désir.

« Alors, ami auditeur,

Si j’ai tenté de divaguer dans mes paroles,

Es-tu parvenu à divaguer dans ton écoute ? »

Rendez-vous est donné dans quelques semaines pour la suite de L’Hommalaise.

Une deuxième émission dans laquelle sera présenté une interprétation du livre de Sigmund Freud Malaise dans la culture.

Vous pouvez retrouver l’intervention d’aujourd’hui sur le site de RDWA – R-D-W-A.FR, ainsi que, accompagnée de sa version écrite et téléchargeable, sur le site de Jean-Thibaut Fouletier, tybolt.fr, T-Y-B-O-L-T.FR

Nous vous laissons maintenant avec Laurie Anderson qui nous interprète O superman

Jean-Thibaut Fouletier, Die, le 04/10/2021