Le picador, le cheval et le taureau

(Ce texte accompagne la toile éponyme présentée à la rubrique « Toiles ».)

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Bon entendeur :

Comprendre était autrefois l’art des arts ; cela ne suffit plus, il faut deviner, et davantage, pour se désabuser. Ne peut être entendu qui n’est bon entendeur. Il y a des sourciers de l’âme et des lynx des intentions. Les vérités qui nous importent le plus s’offrent toujours à demi-mot ; que le prudent les reçoive à sens plein : si elles sont favorables, tirer la bride de la crédulité ; si elles sont odieuses, l’éperonner.

Baltasar Graciàn

LE JUCHEMENT DERNIER

La porte de mon domicile est toujours ouverte à celles et ceux qui veulent voir de visu les tableaux dont les photos sont placées sur ce site. C’est une évidence dont le rappel s’impose pour la présentation de la toile « Le Picador, le Cheval et le Taureau » tant est radicale la différence entre la rencontre physique avec la toile et sa présentation par la médiation de l’ordinateur.

Devant ce tableau plusieurs ont eu ce cheminement de tout d’abord rester pantois, disant tout de même ne pas savoir quoi voir, pour ensuite, sous la douce pression de mes encouragements…, avancer un « Je ne sais pas…, ah si, les deux ronds rouges, peut- être, ce sont des yeux… ».

Et non ! Les deux ronds rouges ce sont les couilles du taureau, enfin me semble-t il.

Saisissant le premier fil qui me vient à l’esprit je me rends du côté des frères Grimm et de leur conte « Les musiciens de Brême ». Le picador, le taureau et le cheval de ma toile semblent juchés les uns sur les autres comme le sont l’âne, le chien, le chat et le coq, ces derniers faisant ainsi de la somme de leurs disgrâces aux yeux des Hommes un corps de bénédicité (1) collective. A l’image d’ailleurs de la vie professionnelle et affective des deux linguistes, Jacob et Wihlelm Grimm, constamment juchés en alternance sur les épaules l’un de l’autre. Jusqu’à temps que d’être au final allongés côte à côte au cimetière.

Toute autre et plus abrupte est la chute du livre Animal farm (2) de Georges Orwell cité dans un article parcouru à propos de l’œuvre des deux chercheurs allemands. Dans cette histoire, métaphore de la révolution russe, les animaux s’emparent de la ferme où ils travaillent et en chassent les humains. De nouveaux commandements sont immédiatement édictés et de fil en aiguille, c’est-à-dire en effet incontournable de ce type de discours, confère le film « Sa majesté des mouches » de Peter Brook, s’accomplit la seule véritable révolution, les choses reviennent à leur point de départ.

Dans cette fable politique donc, l’asservissement est rétablit par les animaux eux-mêmes au sein de leur communauté et de commandement il n’en reste plus qu’un, légèrement modifié, Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres.

C’est ce que j’appellerai le juchement dernier. Et comme chacun le sait cela va de père en pire ; et réciproquement.

Cela ne se fait pas de rire de ses propres bons mots et ce d’autant moins que mes badineries verbales ne sont au fond que des marqueurs désignant la violence avènementielle dont ils relèvent. (3)

Pour en finir revenons-en à ceux-là, Le Picador, le Cheval et le Taureau. Je gage que leur pas est présenté en suspend pour nous permettre de saisir leur qualité dominante, selon les termes de Baltasar Gracian, lequel soit dit en passant propose à ce sujet de toujours travailler à la développer sans quoi l’on risque de faire comme « la plupart qui contrarient leur génie et, ainsi, n’excellent en rien… ».

Ce tableau, la suspension du pas d’un corps en marche donc, pour éclairer que la qualité dominante du meilleur marcheur est de n’avoir besoin pour avancer ni de stratégie ni de tactique, l’une et l’autre repérables à la longue de se réduire au stratagème, éperdument assimilable, lui, à un numéro de claquettes éculé.

Non, non, vraiment, et je parle en connaissance de cause, le marcheur se contente d’être con… comme ses pieds, identification qui lui permet de toujours savoir où il les met.

Ce que Freud a dit plus élégamment. Sa formule « wo es war soll ich werden », établissant qu’à terme « je devra se rendre au lieu du ça », condition sine qua non pour permettre au sujet, Je, de se situer dans son propre discours en commençant par porter le savoir – su porter – de ceci, que même sans lui, ça marche ! (4)

Bonne route…

JTF, Paris 2012

  1. Bénédicité : prière collective précédent le repas. Ici faire un glissement jusqu’à la Bénédiction, la parole dite bien, à la bonne heure. En opposition à malédiction, non de maudire, mais de parole mal dite et des effets dans le temps de cette mal diction.
  2. Pink Floyd, album Animals.
  3. Pour tout dire je l’ai croisée cet été (2012) plus d’une fois la marque du juchement dernier. Elle pèse de tout son poids d’aveuglement sur la parole. Pour faire image disons qu’elle est repérable à user d’une balance particulière, le trébuchet, sur laquelle Je, à se poser en contrepoint de la parole vide, celle du notable universitaire de province à laquelle j’ai eu à faire dans ce cas, fait, lui, toujours le poids. C’est même l’aune grâce à laquelle se discerne sans coup férir, et dans tout type de discours cette fois, ce qui le fonde, le trébuchement premier, rupture originaire et définitive menant à la dette symbolique dont les notables font leurs délices de s’en faire les comptables, à corps perdus, les leurs bien entendu. Au prix fort
  4. même sans lui ça marche : une des définitions de l’inconscient.