Le grand noir avec une chaussure blonde

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 » Non Thibaut, les choses ne se sont pas passées comme ça ! «  .

Cette phrase, placée pendant des années en page d’accueil de mon site internet, fut la réponse quasi systématique opposée à mes questions, ou à mes affirmations, par Georges Zogo Fouda, dit Maxum, lors des repas interminables partagés avec lui et sa compagne Térésa dans leur appartement de Florence. C’était au début des années 2000.

J’étais à l’époque en veine de connaître mieux l’histoire et les toutes petites histoires de la famille au Cameroun. Georges était mon grand oncle et je l’avais rencontré peu auparavant lors du mariage de ma cousine Nadine à Lyon.

Il avait alors la soixantaine avouée et la soixante-dizaine plus vraisemblable. Ce coquet géant dansait droit comme le manche d’une chicotte et souple comme un vent décidé à se faufiler où bon lui semble. Je décidais donc d’aller le visiter dans sa cité d’adoption. Je veux dire la cité qu’il avait adoptée, car avec lui les choses allaient plutôt dans ce sens.

Il y eut des marches languissantes le long de l’Arno jusqu’au Ponte Vecchio puis au jardin de Boboli, une autre au pas de charge un 24 décembre en fin de journée pour trouver, in extremis mais sans aucun doute sinon c’est un scandale, Le condiment qui devait donner son sens au dîner de fête qu’il préparait.

Mais aussi un repas du 31 décembre dans la campagne Toscane où il se retrouva engoncé au volant d’une 2 chevaux coincée au beau milieu d’un pré et de la nuit au moment de rentrer à la maison et où nous partîmes, Térésa lui et moi, dans un fou rire de bonheur.

Un jour encore où je le visitais, nous nous sommes retrouvés seuls tous les deux pour passer la soirée. Je lui ai alors demandé si cela ne le gênait pas que je fume de l’herbe. Il me répondit « Ma, Thibaut, je me demande pourquoi tu veux fumer de l’herbe, nous autres dans la famille nous avons déjà ça dans le sang !« . Ce qui ne l’empêcha pas dans la foulée de s’enfiler la bouteille de vin que j’avais amenée avec moi et un peu plus tard nous dansions dans le salon au son de la bonne musique du pays. L’Afrique enchantée.

Les repas pouvaient durer des heures disais-je avec, outre l’emphase de Maxum, la présence sphynxesque de Térésa qui s’animait parfois au détour d’une volute de ses innombrables fines cigarettes pour placer de sa voix éraillée, en quelques mots, un coup de hache incisif.

Des paroles, des paroles, des palabres. Et des anecdotes, truculentes et inimaginées puisque vécues de chairs et de sanguin. Celle-ci par exemple qu’il racontait faussement naïf, agrémentée d’étonnements rétrospectifs, de plaintes d’alors remises au goût du jour, de colères affectées et de dédain noué à l’emphase du grand seigneur.

Il vivait alors à Lyon après avoir été footballeur à Marseille – après avoir pratiqué les parties de foot au Cameroun où le ballon était un citron -, mais aussi boxeur (1). Et la boxe il s’y essaya dans la rue où non content d’avoir frotté ses phalanges multifonctions sur un visage appelé à être remodelé il mordit le nez de l’agent de police qui tentait, le fou, l’ignare, de s’interposer. Il fut donc condamné.

Là, il faut imaginer une pause dans l’historiette racontée, pause axée sur un pressant réajustement de l’équilibre du repas par la relance d’une cuisson ou d’un élément dispensable au goût mais incontournable pour faire monter la sauce de son suspens.

Le récit reprend et par la grâce du langage nous nous retrouvons soudain à la gare de Perrache, toujours à Lyon, où Georges venait prendre son train. Il raconte avoir soudain entendu des grands cris, s’être retourné et avoir vu un train qui démarrait avec un passager dont le pied était coincé dans la porte et qui était traîné au sol avec sa tête qui rebondissait sur le quai.

N’écoutant que son naturel, Georges courut et supporta entre ses mains la tête de l’infortuné jusqu’à ce que le train s’arrête enfin. Nouveau silence. « Tu sais Thibaut, le monsieur me disait « Monsieur, sans vous je serais mort » et je l’ai regardé et je lui ai dit « Ah mais si j’avais su je n’aurais pas couru pour vous sauver ! »… C’était le juge qui m’avait condamné …!  »

Il dévoilait alors ses dents et ses gencives pour accompagner un rire qui s’est coulé à jamais dans mes oreilles.

Il l’aurait sauvé évidemment. Ou pas. Mais oui, il l’a sauvé. Et des histoires telles il en avait tant. Il m’en a raconté aussi sur la famille mais ce ne fut finalement pas le grain qui me toucha le plus. Même si je me souviens justement d’une fois où, en plein questionnement sur la trame familiale, je l’avais coincé et le sommais de me dire ce qu’il savait. Ah, son regard et sa parole, éperdu devant ce neveu tout en feu tout en flammes…

Bon, mais je ne suis ni en train de faire une hagiographie de Maxum ni dans la volonté de faire le tour de nos rapports. Peut-être le jour de l’écriture d’un roman, picaresque bien entendu. Je sais par contre très simplement reconnaître en lui le représentant magnifique de sa propre vie et le témoin d’un temps niché au creux des époques qu’il a traversées.

Le temps du Cameroun colonial et post-colonial, celui des uns, des autres et de ceux qui firent liens ou tampons. Le temps de la France et puis de l’Italie. Le temps d’un homme affranchi parmi les Hommes et qui ne faisait pas porter par qui que ce soit le poids de sa propre liberté. Le temps encore qui le lia pendant plus de 30 années à Térésa.

Maxum fut donc entre autres footballeur, boxeur, sculpteur, créateur de bijoux – un jour, me faisant choisir des bagues pour mes proches il m’en désigna une « Celle-là Thibaut je crois qu’elle est pour toi » – et peintre, peintre, peintre.

Mais acteur aussi. Et il s’en sera fallu de peu pour que « Le grand blond avec une chaussure noire » ne devinsse « Le grand noir avec une chaussure blonde« . (2)

Trop bon jou(iss)eur dans sa propre vie pour cela !

 

Georges Zogo Fouda, dit Maxum

 

Et lorsque j’ai montré à Tim, sept ans, mon fils, cette image de toi (2), toujours très spontané il a dit: « Il est beau lui !« 

Oui, Tim, oui, tu as vu juste, il est beau Georges Zogo Fouda, frère de ton arrière grand-mère Catherine Fouletier.

Mais au fait, ce surnom Maxum, d’où lui venait il ? Je l’ignore, mais sa consonance latine, qui s’ajuste si bien avec cette Firenze d’Italie où il vécu, éclaire sur les adaptations anticipatives d’une Afrique vitale dont les ambassades, le corps de ses enfants, font des existences rayonnantes.

Merci Georges, pour notre rencontre, merci.

 

(1) A l’annonce de sa mort, en référence à Mohamed Ali, mon cousin Igor Fouletier me dit avec son humour caractéristique « Et bien ça fait deux grands boxeurs en trois jours « .

(2) Dans le film « Le grand blond avec une chaussure noire » Georges apparaît quelques instants en haut de l’escalator à l’aéroport (13min 48s / 58s), secondes qui nécessitèrent une journée sur le plateau de tournage et donc des anecdotes, Jean Carmet, etc.

JTF, Paris, le 08/06/2016

 

« Pour répondre à l’interrogation sur le surnom « Maxum » c’est une altération de son sobriquet « du village » comme on dit ici. Sauf interprétation par une personne mieux qualifiée que moi. – M’barxouma – signifiant la musaraigne. Tout le monde étant affublé d’une appellation familière souvent teintée d’humour, qui fait penser au totem des indiens d’Amérique. » (Pierre Fouletier)

JTF, Paris le 08/06/2016