Toiles JTF - Au revoir les enfants

Au revoir les enfants

Au revoir les enfants - toile JTF

Au revoir les enfants – 228 x 146cm – Huile – 2013 – JTF

Ce tableau a été réalisé en 2012 pour répondre au fait que des policiers sont entré dans des

écoles maternelles pour en repartir avec « des enfants de sans papiers ». Mes deux fils aînés avaient alors 4 et 5 ans.

Il a été présenté en 2015 dans une classe de 1ère du lycée Ambroise Brugière à Clermont-Ferrand.

Il est exposé au Musée de la Résistance à Vassieux-en-Vercors de mars à juin 2024.

Les deux premiers textes ont été écrits en 2013, le troisième en 2024, comme un état des lieus.

AU REVOIR LES ENFANTS

Texte pour les enfants (que nous fûmes)

La peinture n’est pas faite pour décorer les appartements,

C’est un instrument de guerre offensif et défensif contre l’ennemi.

Pablo Picasso

Les enfants, ce tableau raconte l’histoire d’enfants de différents pays. D’aujourd’hui ou d’il y a bien longtemps. Certains n’ont jamais connu que la guerre. D’autres, comme vous sans doute, ont eu la chance de ne vivre que la paix. Il y a parmi eux des vivants et des morts. En tous cas, les enfants de ce tableau en font cadeau à celles et ceux qui veulent bien les regarder. Ils offrent une vision du possible de l’enfance, où les instants peuvent être fraternellement partagés, les heures également goûtées et le temps librement vécu. Peut-être, peut-être pas…

Les enfants, la fraternité, l’égalité et la liberté…, je ne sais pas si vous savez ce que disent ces mots, mais en tous cas, en France, ils disent la France. Cela s’apprend à l’école. Mais justement, j’ai fait ce tableau parce qu’un jour la France a décidé de sortir des enfants de l’école pendant la classe. Elle avait ses raisons la France. Et les policiers, qui ont appris à oublier qu’ils ont été des enfants, ont obéit. Alors les enfants qui ont été emmenés n’ont pas pu apprendre ces trois mots qui disent la France. Là c’est moins drôle. Ce qui est encore moins drôle c’est que les enfants qui ont assisté à cela et qui sont restés dans les classes n’ont pas compris pourquoi leurs professeurs continuaient à leur expliquer que la France c’était la fraternité, l’égalité et la liberté. Jusqu’au jour où ils se sont inventé une solution : ces trois mots, c’était la France partout sauf à l’école.

Les enfants ont grandi. Quand ils ont terminé leurs études ils ont quitté l’école. Ils avaient fini par oublier ces 3 mots magiques qui n’avaient pas leur place dans l’école. Ni dans l’école, ni nulle part en réalité puisqu’ils les avaient oubliés. Maintenant qu’ils sont adultes ils se souviennent juste du chiffre 3 mais ils ne savent pas très bien pourquoi. Parfois ça les gratte un peu. Ils essayent de s’en rappeler et ils se disent que ça doit peut-être être le 3 des 3 couleurs du drapeau français. Alors comme ça les rassure ils se mettent à aimer le drapeau plus fort que tout. Son bleu, son blanc, son rouge. Ils l’adorent ils l’adorent ils l’adorent. Mais ça n’empêche pas qu’ils ont oublié la liberté, l’égalité et la fraternité. C’est bizarre mais c’est comme ça, à la fin, plus ils aiment les 3 couleurs moins ils se souviennent des 3 valeurs.

Les enfants du tableau ont trouvé la solution au problème. Ils sont généreux et ils me l’ont donnée. Je vous la transmets à mon tour pour que partout, même à l’école, vous puissiez la proposer à ceux qui ont décidé d’oublier de se souvenir… Leur message est très simple. Ils m’ont dit tout faire pour que la France partage ses couleurs afin que vivent ses valeurs.

Les enfants, vous l’avez compris, mon tableau bleu, blanc, rouge est un drapeau. Il porte la parole d’un présent qui va vers le futur. Mais ici ce présent n’est pas le présent du temps présent. Il est le présent, le cadeau, que nous pouvons nous faire à nous-mêmes à travers ce Temps qui n’existe que par nos paroles. Un cadeau donc, mais, à propos de paroles, à cette condition très engagée que ce que nous appelons parfois détail soit toujours soutenu comme étant la mémoire du futur.

Les enfants, nous sommes tous les enfants du tableau ! Alors…

Au revoir les enfants… ? Peut-être, peut-être pas…

JTF, Paris, novembre 2013

AU REVOIR LES ENFANTS

Texte pour les adultes (et les autres)

La peinture n’est pas faite pour décorer les appartements,

C’est un instrument de guerre offensif et défensif contre l’ennemi.

Pablo Picasso

Au revoir les enfants est un tableau dont l’origine est d’une simplicité biblique puisque né de l’expression de ceux de tous bords politiques qui, au lendemain de la fin du mandat de Nicolas Sarkozy, m’ont fait part du bilan qu’ils en faisaient. Un bilan porteur, dans tous les cas, d’une tension exacerbée et semblant au final ne laisser dans aucun cas la moindre place à la parole de l’autre.

Devant ce constat je me suis demandé quel serait l’acte politique de ce quinquennat qui pourrait permettre à ces français devenus incompatibles les uns aux autres de pouvoir, fut-ce pour quelques mots seulement, parler une langue commune.

Nous venions de vivre, est-il besoin de le rappeler, une période extrêmement violente mêlant entre autres les surenchères idéologiques accompagnant l’élection présidentielle et le choc inouïe provoqué par la folie de Mohamed Mérah. Alors, au milieu de cela, noyé par tout le reste et par là-même rendu à un anonymat écœurant, s’imposa à moi ce geste politique du gouvernement de la France qui envoyait les forces de l’ordre interpeller les enfants de « sans papiers » dans les écoles. Celles-là-même où, rappelons-le, avait été décidé que soit lue la lettre d’un autre enfant, Guy Môcquet. Je vais y revenir. Mais avant cela, …

Guernica est un tableau dont l’origine est d’une simplicité biblique… Il s’agissait à travers lui, pour Picasso, de dénoncer la barbarie conjuguée du Franquisme du fascisme et du nazisme, barbarie symbolisée par le bombardement de la ville basque de Guernica. Il y a quelques années de cela, poussant ma réflexion à ce sujet, j’eus l’occasion de développer que Guernica existe encore et Guernica n’est plus possible.

Guernica existe encore dans la moindre des guerres que nous connaissons. Mais précisément, lorsque des drones tuent des centaines de civils personne ne peut plus nommer ni le lieu où cela s’est passé, ni les morts, ni le pilote du drone. Et ainsi, peindre l’actualité du tableau de Guernica n’est plus possible.

Alors si Guernica est un nom il n’est plus celui de l’acquis par la mémoire, ni celui de l’éveil par l’évènement. Il est devenu celui du guet par le toujours possible.

Au revoir les enfants, lui, j’y reviens, est le nom du regard des guetteurs. La simplicité biblique de l’origine, que je disais pour évoquer ce qui a initié cette œuvre, a pour moi toujours à faire à ces mots, ils ont des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour ne pas entendre. A l’aune de quoi je ferais remarquer ici que 25 ans après que la mort de 6 millions de personnes fut définie d’être un détail par la parole d’un père, 6 millions de français votèrent pour sa fille. Détail…

Au revoir les enfants, soyez en assurés, est aussi une voix qui traversera le temps – comme la lettre que Guy Môcquet, enfant, adressa à ses parents le jour de sa mort – pour dire à tous qu’un jour, en France, sa mémoire a été trahie. Elle dira aussi que vous ne l’avez pas accepté et que cela fera la fierté et la grandeur de vos enfants.

JTF , Paris, novembre 2013

L’AVENIR DE L’AU REVOIR

Il y a onze ans que j’ai peint ce tableau. Onze années pour qu’il arrive ici, dans le Musée de la Résistance de Vassieux-en-Vercors. Onze années pour qu’aujourd’hui vous puissiez le voir. A cette place. À sa place. Non pas que ce soit ici sa place définitive, mais que sa place soit, ici comme ailleurs, d’être accessible au regard de celles et de ceux qui le supporteront.

Un ici comme ailleurs livré à l’engagement et au courage de celles et de ceux qui l’accueilleront.

***

Nous sommes aujourd’hui en 2024. À reparcourir la lettre adressée aux enfants (que nous fûmes) et la lettre adressée aux parents (et aux autres), lettres écrites en 2013, ce qui me frappe c’est combien le statut des quelques personnages* extraits de l’actualité d’alors a changé. Et combien au final leurs destinées se confondent puisque, quels qu’aient été leurs discours et leurs actes, ils ont été inexorablement rattrapés puis effacés par la vanité de ce qui les aura en leur temps animés.

Effacés par leur propre inanité donc, mais plus encore dépassés par celle de ceux qui depuis, dans la mise en œuvre de nouvelles abjections politiques ou terroristes, les auront remplacés dans le temps. En pire. Tous suivent ce circuit court qui, de la lumière illusionnelle des certitudes du présent à la profondeur éternelle des oubliettes qui les absorberont, se révèle n’être qu’un court-circuit

Un court-circuit qui se renouvelle sans cesse, indéfectiblement, prenant corps à travers les corps et les esprits qu’il mâchure. Insatiable glouton de papier il se donne à terme pour ce qu’il est. À savoir, une source nourricière qui alimente quotidiennement le fantôme anorexique de valeurs évidées.

Je parle là bien entendu des trois couleurs du drapeau français rendues étiques – sans h – et délavées par les effets dénaturants de ce mouvement entropique.

Il n’est pas sûr que la culture de celles et de ceux qui participent activement à ce festin cannibale leur permette de saisir les enjeux du régime qu’ils suivent ainsi. En réalité il est bien certain qu’elle ne le leur permet pas.

En effet, parlant de régime, qu’il soit culinaire ou politique, il s’agit en tous cas de disposer d’une carte. Les alternatives que propose celle-ci doivent alors se résoudre en un choix. La consistance faisant le lest de ce choix dépend entre autres de la perception que chacun peut avoir de l’alternative proposée. Le fait est que celle-ci n’est désormais plus repérable.

Je la rappelle alors en termes surannés, oui, entre aliénation et altérité, l’alternative est irréductible. Et de là, le choix incontournable. Sauf à avoir des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour ne pas entendre (La Bible Jérémie 5.21). Soit dit en passant, c’est d’ailleurs ce sur quoi, guidés par l’expérience, nous pouvons désormais accoter la culture dite plus haut.

Le choix contemporain, que nous supportons, est celui d’une aliénation qui se définit de siphonner le moindre accès à l’altérité. Un Pas d’altérité étayé d’un Pas d’alternative justifiant le Pas de choix. Oui, ici l’aliénation se soutient de faire le choix que de choix il n’y en a pas…

Contrairement à cette rebuffade coupable, le choix de l’altérité est autrement plus radical puisqu’il est, lui, un engagement, qui ouvre l’accès – fin du court-circuit – à l’Autre-insu que nous sommes à nous-même (sans « s »!).

C’est là la source sans fin de recherches et de découvertes, condition de l’ouverture à transmettre en héritage afin que Au revoir les enfants puisse soutenir la note claire de l’accueil.

Bon jour les enfants.. À toute heure.

* Nicolas Sarkozy et Mohamed Merah.

JTF

Die, mars 2024